par Jean-Yves R.
Les recherches permettent parfois de faire des découvertes auxquelles on ne saurait a priori s’attendre. Ainsi celle qu’un cargo qui porta le nom de la commune de Pénestin, navigua du début des années 20 jusqu’en 1957 et participa même à un épisode de notre Histoire.
Construit en 1920-1921 en Grande-Bretagne dans l’un des chantiers navals établis sur le bord de la Clyde près de Glasgow, de 80,80 m de longueur pour 1.268 tonneaux, c’est sous le nom de « Teal » qu’il fut d’abord baptisé et armé avant de prendre le nom de « Pénestin » lors de son achat par la Compagnie Nantaise des Chargeurs de l’Ouest (l’ex Compagnie Nantaise de Navigation à Vapeur également connue sous le diminutif de «La Nantaise» et créée en janvier 1882) ayant son siège social place du Sanitat à Nantes.
Son utilisation durant les 20 premiers années de navigation n’a pu véritablement être établie, mais on peut subodorer qu’il fut affrété pour divers transports dit de « cabotage » dans une zone de navigation allant des côtes Atlantique à celles de la Manche, voire jusqu’à la Mer du Nord.
Au printemps 1939, alors que des liaisons commerciales existaient déjà entre les deux ports mais de façon informelle, la dite Compagnie Nantaise et la General Steam Navigation Compagny de Londres décidaient la création d’un service hebdomadaire régulier entre Nantes et la capitale anglaise. Cette première qui allait être assuré par le « Pénestin » déjà habitué à ce parcours allait avoir lieu le samedi 20 mai en fin de matinée pour une navigation de deux jours, le départ de Londres pour le retour se faisant le 23. Les départs suivants auront ensuite lieu tous les samedis à la même heure.
La Société Nantaise de consignation et de gérance, filiale de la C.N.C.O., représentante de la General Steam en France et auprès de laquelle devaient être remises les marchandises jusqu’au samedi 10h00 dernier délai, s’engageait à ce que celles-ci soient débarquées à Londres dans l’après-midi du lundi puis mises sur les marchés de la capitale anglaise le mardi matin.
Grâce à la publication journalière des mouvements des navires dans le journal Ouest-Éclair en 1939, on peut reconstituer peu ou prou ce que fut la navigation du « Pénestin » durant les huit premiers mois de l’année, fréquentant essentiellement dans ses rotations les ports de Nantes (ou Saint-Nazaire), La Rochelle/La Pallice, Brest et Dunkerque où il faisait assez souvent escale en revenant de Londres.
Parti du port londonien le 29 août 1939 à destination de Nantes, le « Pénestin » voyait interrompre brutalement ses navigations régulières entre les deux grands ports par la déclaration de guerre du 3 septembre de la France à l’Allemagne.
Puis, la Compagnie Nantaise ayant fait reprendre la mer à ses navires durant la « drôle de guerre », cela n’allait pas être sans risques. En début d’après-midi du 19 novembre 1939, sur la côte nord-est de l’Angleterre, non loin du bateau-feu de l’estuaire de l’Humber, et alors qu’il faisait route de son port d’attache vers celui d’Imminham avec une cargaison de minerai de fer, le vapeur « André (de) Rhuys » (du nom d’un ancien fermier-général de la prévôté de Nantes) battant pavillon de la C.N.C.O. et sous les ordres du capitaine Moy disparaissait après avoir sauté sur une mine, entraînant la mort de 16 de ses 33 marins dont plusieurs des disparus avaient retrouvés à son bord un nouvel embarquement après avoir déjà été torpillés.
Le « Pénestin », quand à lui, allait faire des traversées jusqu’au Devon mais désormais aussi vers le Maroc avant que le cargo et son équipage ne vivent un chapitre particulier en toute fin de la Bataille de France lors de l’invasion allemande du « réduit breton ».
Le 18 juin 1940, alors qu’en provenance du sud de l’Angleterre le cargo faisait escale à Brest, les circonstances allaient le faire participer à l’évacuation de soldats de l’armée française, comme relaté dans « L’épopée de la 13ème Demi-Brigade de la Légion Etrangère » (A.-P.Comor – 1988). Ayant pris une part glorieuse en mai lors de la bataille de Narvik en Norvège et rapatriée par Brest, la 13ème D.B.L.E. s’était retrouvée depuis très peu de jours en Ille-et-Vilaine. Après qu’une course poursuite se soit engagée entre elle qui avait pris le train à Plancoët pour rejoindre la pointe extrême de Bretagne et une avant-garde allemande qui la poursuivait par la route, et tandis qu’arrivés à 21h00 les légionnaires du 1er bataillon trouvaient rapidement place aux cotés de chasseurs-alpins (soit près de 2000 hommes) sur un ferry-boat, le « Twickenham » battant pavillon de la Compagnie dunkerquoise A.L.A. (Angleterre-Lorraine-Alsace) depuis 1936 et réquisitionné en 1939 comme mouilleur de mines,
« …. Le 2ème bataillon s’entasse sur un petit cargo, le « Pénestin » qui doit normalement se rendre au Maroc après avoir charbonné à Plymouth. A 22h., les opérations d’embarquement achevées, les navires mettent le cap sur l’Angleterre au milieu des explosions et des incendies qui ravagent les installations portuaires. Le régiment quitte le sol de France …. ». Après avoir jeté l’ancre en baie de Plymouth le lendemain 19 – jour où les Allemands envahissent Brest -, le « Pénestin » et le « Twickenham » vont devoir attendre 48 heures avant de pouvoir faire débarquer leurs passagers le 21 juin à midi.
Désormais en escale forcée en Angleterre tandis que les autorités allemandes et la Kriegsmarine avaient immédiatement placé sous contrôle toutes les installations portuaires françaises de la zone envahie, un retour du cargo dans ses eaux d’origine s’avérait dès lors impossible.
A la signature de l’armistice le 22 juin 1940, la Compagnie Nantaise se retrouvait ainsi avec douze navires immobilisés, sept dans les ports d’Angleterre, un au Maroc et quatre à Bordeaux.
Au nombre de la vingtaine de navires français de guerre et de commerce cités dans l’Ouest-Éclair du 29 août 1940 comme ayant « rallié » l’Angleterre à cette époque, figuraient aux cotés du « Pénestin » les célèbres goélettes de la Marine nationale « L’Étoile » et « La Belle-Poule » ou le cargo « Penchâteau » également sous pavillon de la Compagnie Nantaise de Navigation.
Entre-temps, l’équipage du « Pénestin » qui avait été autorisé à débarquer s’était vu comme tous les autres momentanément interné au camp d’Aintree près de Liverpool à partir du 3 juillet – jour de l’attaque par la marine anglaise de la flotte française à Mers-el-Kebir dans le cadre de l’opération « Catapult » – avant de se voir autorisé un peu plus tard, pour les marins qui le désiraient, à rallier Casablanca au Maroc au sein des Forces Navales Françaises Libres ou à être rapatriés en France.
L’Amirauté britannique ayant momentanément saisi puis réquisitionné le cargo ainsi que les six autres de la C.N.C.O., son utilisation reste évasive entre 1940 à 1944, étant vraisemblablement intégré, comme d’autres navires marchands français, dans le système de défense, de surveillance ou de transport côtier de la « perfide Albion ».
Ayant ensuite repris la mer sous pavillon national et rattaché au port de Casablanca au Maroc, on peut préciser que le « Pénestin » fut le dernier embarquement à cette période d’un marin breton précédemment engagé au sein des Forces Navales Françaises Libres, le quartier-maître Yves Ropers, natif de Tréguier dans les Côtes du Nord, ce du 25 septembre au 20 octobre 1944.
Toujours est-il que le « Pénestin » survécut au conflit.
Au printemps 1946, à la suite d’entretiens avec le Ministère de l’Économie Nationale (M. André Philipp, ministre du 26 janvier au 24 juin 1946) et de hauts fonctionnaires français, les commerçants en vins Irlandais conclurent un accord pour une reprise des importations de vins de Bordeaux interrompues par la déclaration de guerre en septembre 1939. Les Irlandais comptant à la suite recevoir les premières livraisons courant l’été de cette année 1946, c’est par l’entremise du journal « Le Petit Marocain » des 8 & 9 juillet 1946 (rédaction à Casablanca) que l’on peut apprendre qu’environ 1.000 barriques de 225 litres chacune avaient été commandées et allaient être incessamment embarquées au port de La Pallice à La Rochelle sur le cargo « Pénestin » qui se voyait spécialement affecté par sa Compagnie aux échanges franco-irlandais.
A l’été 1948, le cargo était toujours répertorié au nombre de la flotte de la C.N.C.O. sous la référence : « Cargo Pénestin (1921) 1336 TJB Londres », l’augmentation de 68 tonneaux de jauge brute (indice TJB), équivalent en environ 192.00m3, étant passé des 1268 initiaux à 1336, résultant sans doute de quelques réaménagements pour augmenter sa capacité de transport.
Dans la première moitié des années 50, le « Pénestin » allait aussi fréquenter les eaux de la Méditerranée si l’on se réfère au cliché qu’allait en faire de lui le photographe et éditeur Marius Bar (1862 – 1930), établi au 15 de la place Puget à Toulon et spécialisé, par passion pour la marine, dans la photo des navires de toutes sortes y faisant escale ou dans les ports voisins.
Et ce fut vraisemblablement en partant du port de Toulon que le cargo commença la dernière partie de carrière, le faisant traverser la Méditerranée puis passer par le Canal de Suez avant de rejoindre l’Extrême-Orient.
Car changeant à la fois de latitude et de nom, c’est à partir de 1955 qu’on le retrouve au Vietnam sous le nom de « Le Van Thuong », nom très courant dans ce pays et faisant sans doute référence dans son cas à un petit royaume situé entre le Laos et le Cambodge à proximité des montagnes du Tonkin.
Naviguant en mer de Chine méridionale, il allait y faire naufrage le 5 janvier 1957 près de l’ile de Cu Lao Ré (îles de Ly Son dans le province de Quang Ngai au sud de Da Nang). On ne saurait préciser si la cause en fut une simple fortune de mer ou par un fait lié à la guerre d’Indochine – celle-ci avait commencé deux années plus tôt le 1er novembre 1955 -, mettant ainsi fin à une carrière de 36 années quelque peu atypique.
© Jean-Yves R. – Brancelin
Vendredi 12 juin 2020
Sources principales :
. Presse régionale et autres (L’Ouest-Éclair ; L’Ouest républicain ; Le Petit Marocain …….)
. Site de la C.N.C.O. (dont extraits du rapport de son A.G. ordinaire d’actionnaires du 12 août 1941)
. Site de la Marine marchande (ref. Perchoc)
. Site Forum marine (les paquebots et cargos armés en guerre)
. ” L’épopée de la 13ème Demi-Brigade de la Légion Étrangère » (André-Paul Comor, préface de Pierre Messmer – Nouvelles éditions latines 1988)
Concernant le cargo détruit par une mine, il s’appelait “Rhuys” (comme indiqué sur la photo et sur le nom figurant sur l’étrave) et non pas “André Rhuys”. le commandant Henri Moy, bien que gravement blessé à survécu à ce naufrage et s’est éteint en 1988 à l’âge de 95 ans.