Le 12 mai 2023, MM. Boccarossa et Bernard, élus d’opposition, se rendent à 14 h 30 à la mairie. Ils demandent à rencontrer Mme Laurence Robin, la secrétaire générale. Ils souhaitent avoir connaissance de deux documents concernant le presbytère, vendu en décembre dernier au diocèse, et dont la vente fait à présent l’objet d’un recours contentieux devant le tribunal administratif de Rennes. Mme Robin leur fait savoir qu’elle est en rendez-vous.
Trois heures passent. Trois heures ! C’est difficile à concevoir. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs, que nos élus, nos « représentants », font antichambre de cette façon. Trois heures plus tard, M. Bauchet, premier adjoint, vient les voir. Enfin ! Direz-vous. C’est pour leur dire que la mairie ferme, et qu’ils doivent quitter les lieux.
Nous sommes à Pénestin, France.
J’ai eu l’occasion de séjourner en Allemagne de l’Est avant la Chute du Mur, puis en Roumanie, juste après la fin de la dictature. C’étaient des pays où faire attendre les clients, les administrés, les usagers, était un art. J’ai vu mes amis roumains devenir soudain obséquieux lorsqu’ils avaient une standardiste au téléphone, des universitaires de haut vol, parlant 7 ou 8 langues et capables de traduire tout San Antonio sans avoir jamais séjourné en France, ni jamais parlé le français avec des natifs. Oui, ils s’écrasaient comme des carpettes : ce qui était en jeu, c’était l’obtention de médicaments pour leurs vieux parents, ou d’une place de crèche. Alors, ils s’écrasaient. Bienvenue dans une dictature ! (et ses prolongements qui se maintiennent encore longtemps après une révolution)
la mairie, censée être la maison du peuple
Si je donne ces exemples, c’est parce qu’à eux deux, MM. Boccarossa et Bernard totalisent une compétence hors pair, la connaissance la plus complète que l’on puisse imaginer sur notre commune de Pénestin, le passé où s’est forgé son identité, et les enjeux qui tracent les contours de son avenir. Alors, quand ces deux élus se rendent à la mairie, censée être la maison du peuple, celle où chaque habitant de la commune devrait se sentir chez lui, on s’attend à ce qu’ils soient traités avec un minimum de respect. Faire attendre pendant trois heures un élu, ou tout personne quelle qu’elle soit, puisque nous sommes dans une République qui place au sommet de ses valeurs, après la liberté, l’égalité et la fraternité, voilà qui est choquant, inacceptable.
L’égalité et la fraternité : je vous entends rigoler… Ces valeurs ont-elles encore place à la mairie de Pénestin ? Celle-ci n’a-t-elle pas dévié vers quelque chose qui s’appellerait : les passe-droits et les copinages ? La mairie de Pénestin n’anticipe-t-elle pas la pente générale que suit notre époque et qui aboutira à la transformation de nos démocraties en des régimes autoritaires. Une pente dont la réponse, ou plutôt l’absence de réponse, au mouvement contre la retraite à 64 ans constitue un bon exemple.
M. Bauchet, premier adjoint et remplaçant du maire « empêché » (un premier exemple de novlangue à la façon de George Orwell : en vacances = « empêché »), s’est transformé lors de son 3e mandat d’adjoint en un spécialiste de ces absences de réponse, ces silences, qui sont le signe le plus visible des pentes autoritaires qui nous guettent.
Souvenez-vous, en janvier 2021, de l’affaire de la lettre de Cap Atlantique subtilisée aux regards des membres de la commission d’urbanisme. M. Bauchet avait dû démissionner de sa présidence de cette commission. Puis, « l’affaire Bauchet » proprement dite : alors que la vente d’un terrain communal à sa fille est voté en conseil, le premier adjoint n’en informe pas l’assistance et participe au vote. Facile : elle apparaît sous son nom marital et le conflit d’intérêts est de la sorte rendu « invisible ».
L’intervention de M. Boccarossa correspond précisément à la fonction d’un contre-pouvoir
Lorsque M. Boccarossa, au vu de documents concernant cette vente, s’étonne, deux mois plus tard, de voir apparaître une « Mme Bauchet », M. Bauchet commence par nier contre toute évidence devant le Conseil Municipal avoir participé à ce vote, puis avoue en minimisant l’importance du respect des lois (« cela ne change pas le résultat du vote », etc.) Son gendre, M. Vallée, membre lui aussi du conseil, a également voté sans faire état de son lien familial et tente de se faire oublier. M. Bauchet est sous le coup d’une procédure judiciaire (« présumés innocents »).
L’intervention de M. Boccarossa correspond très précisément au rôle qu’un penseur comme Karl Popper attribuait aux contre-pouvoirs dans la définition d’une démocratie. Ce qui différencie celle-ci d’un régime de dictature ou de tyrannie, c’est le fait que des représentants des citoyens ont un « regard » (l’expression est reprise par Pierre Rosanvallon) sur la façon dont le pouvoir est exercé, afin d’« empêcher ceux qui ont le pouvoir d’en abuser ». Voilà : c’est clair et net. La présence d’une opposition active, vigilante, est indispensable à la bonne marche d’une démocratie. Elle constitue le mécanisme de contrôle afin d’éviter les abus auxquels un pouvoir est souvent tenté de se livrer lorsqu’il constate la facilité avec laquelle il peut contourner les lois et les bénéfices qu’il peut en tirer. Des abus tels que vendre un terrain moins cher à un membre de sa famille en profitant d’être à la fois juge et partie. (« présumé innocent »)
M. Bauchet a adressé un courrier à MM. Boccarossa et Bernard. Ce courrier, daté du 10 mai, fait état de ces faits survenus le 12 (sic). L’objet indique « communication de documents » et on pouvait s’attendre à ce qu’il dise si oui ou non les documents demandés peuvent être communiqués. Le premier adjoint rappelle que des demandes concernant les documents sur le presbytère ont été faite à plusieurs reprises depuis plusieurs mois, puis reproche aux deux élus d’avoir « occupé » longuement les locaux de la mairie. De l’humour, pensez-vous ? Eh bien non. Le monde à l’envers ? Il y a de cela.
Il poursuit :
« S’agissant de la communication de documents administratifs il vous appartient le cas échéant, après en avoir vainement (sic) fait la demande auprès de l’autorité concernée, et si vous estimez qu’ils sont communicables, de saisir la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) pour avis sur le fondement du livre III du code des relations entre le public (sic) et l’administration. »
Nous sommes confrontés à Pénestin à un exercice à un exercice « pervers » du pouvoir
Les élus d’opposition sont assimilés à tort au « public », mais le pire, c’est encore cette façon de louvoyer pour « ne pas répondre », et de forcer ses interlocuteurs à deviner eux-mêmes le fond de sa pensée. De la même façon que la secrétaire générale, en rendez-vous, dit-elle, pendant trois heures, s’abstient pendant toute cette durée de délivrer le moindre message, laissant les deux élus deviner 1) qu’ils ne sont pas les bienvenus dans la « maison du peuple », et 2) qu’elle les méprise, comment dire ? copieusement ? instillant une relation de haine entre deux sous-parties d’une commune de 2000 habitants, ceux qui ont le pouvoir et ceux, dans l’opposition, qui prennent au sérieux leur rôle de surveiller les abus éventuels de ce pouvoir.
Voilà un cas bien particulier et dont notre commune, tiraillée par de multiples conflits depuis plusieurs décennies déjà, se passerait volontiers : nous sommes confrontés à un exercice « pervers » du pouvoir. Voilà ce qui caractérise notre commune par rapport à d’autres qui seraient tentées, par des moyens plus classiques peut-être, de gêner l’opposition dans sa fonction de vigilance et de surveillance du pouvoir. On les voit, d’ailleurs, exprimer par leurs sourires le plaisir qu’ils ont à humilier leurs adversaires. Que nous sommes loin d’une démocratie respectueuse des personnes et des droits de la minorité ! Bien sûr que la majorité a des droits. Elle met en œuvre le programme pour lequel elle a été élue. Mais la minorité exerce un droit de regard sur l’action de cette majorité : c’est le principe de la démocratie.
Churchill ne disait-il pas que « la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres » ?
Bravo pour votre article.
Exercice pervers du pouvoir me paraît en effet résumer le climat local et, hélas, général de nos démocraties vacillantes.
Je mets mon grain de sel.
Comme a dit une collègue, « Ma grand-mère disait : quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. »
Ces élus et fonctionnaire, qui ne transmettent pas les dossiers, ont quelque chose à cacher.
Ce sont des ours mal léché, fiers comme Artaban, qui veulent décrocher le cocotier et nous rouler dans la farine.
D’autres sont des moutons de Panurge.
Et si la solution était là ? Comme le précise l’article L270 du code électoral, le renouvellement d’un Conseil municipal doit avoir lieu lorsque celui-ci perd “le tiers ou plus de ses membres”. Les trois minorités (je préfère ce terme à opposition qui m’a toujours paru avoir un caractère plus négatif) représentant désormais 7 conseillers sur 19, soit plus du tiers, leur démission en bloc provoquerait automatiquement de nouvelles élections afin d’arrêter la gabegie. La solution ne serait-elle pas alors que se forme une liste unique de Pénestinois et Pénestinoises soucieux avant tout de privilégier la démocratie en s’obligeant à faire passer au second plan leurs propres “idéologies”, de redonner la parole aux habitants, mais aussi de redorer un blason communal de plus en plus terni par les affaires et le comportement autocratique d’une prétendue “majorité” aujourd’hui toute relative.
Les choses ne sont pas aussi simples!
Sauf erreur de ma part, si les 3 personnes qui ont quitté la liste majoritaire démissionnent elles seront remplacées par les 3 suivantes de cette même liste et donc le 1/3 ne sera toujours pas atteint.
La meilleure solution serait qu’un éclair d’éthique, morale, …., atteigne des membres (non impliqués dans les diverses affaires) de la liste actuellement majoritaire et qu’ils rejoignent les 3 personnes sorties de cette liste pour que les minorités atteignent 2 + 2 + 3 + ? > 9.
Peut-être effectivement, mais si je compte bien, il ne reste plus de la liste “majoritaire” que 4 personnes qui seraient encore susceptibles de remplacer les 3 qui ont eu le courage de prendre leurs distances…. Mais ces 4 là – trois années étant déjà passées et l’on sait que souvent les derniers de listes ne sont là que pour servir de “bouche-trou” ou “pour faire plaisir” à la tête de liste – accepteront-elles de plonger dans le marigot majoritaire actuel pour soutenir les turpitudes que nous connaissons – au risque de se “cramer” – ou préfèreront-elles elles aussi prendre prudemment leurs distances ? C’est un pari qu’il faut aussi envisager…. Quant aux deux listes minoritaires leur intérêt est évidemment pour l’heure qu’aucun ex-candidat suivant ceux qui ont été élus ne prenne le relai. Et alors là : impasse.
Faire passer les intérêts personnels avant le bien commun est une bien triste pratique qui semble très prisée à Penestin. Nous ne pouvons qu’espérer que les élus de l’opposition continuent à faire ce travail vers un peu plus de rigueur et de transparence. Nous les soutiendrons car là sont nos intérêts de citoyens et d’habitants de Penestin.
A mourir de rire !
Votre propos est blessant et je suppose que c’est son but. Je laisse les lecteurs juges. Permettez-moi simplement de vous dire bravo pour le niveau et la consistance de votre argumentation.
J’avoue que je reste estomaquée de tant de mépris, de mensonges, de manigances.
Pourquoi avoir quitté la majorité ? Pour que mon nom ne soit plus associé à ce genre de pratique indigne d’élu municipal.
Le respect se perd partout. Même au sein des conseils municipaux.
Tout cela est tellement banal et méprisable.
Tellement banal que, si vous n’étiez pas là, personne ne s’en étonnerait. Et oui, tout cela illustre une dérive plus générale de notre société ou éthique est devenu un gros mot.
Empêcher par tous les moyens des plus mesquins aux plus imbéciles l’opposition de faire son travail, c’est bien évidemment insulter et mettre en danger la démocratie.
Dans d’autres temps on comptait sur les préfets pour y mettre le holà. C’était un temps où ceux-ci « n’oubliaient » pas de payer leurs impôts ou ne partaient pas avec le mobilier national ou l’argenterie.
L’Époque est vraiment inquiétante, l’exercice de la démocratie à Pénestin en est un exemple pitoyable.