Après « Sans toit ni loi » au Ciné-club lundi dernier : petit patchwork sur le thème de la liberté

Lundi dernier, ciné-club. « Sans toit ni loi », d’Agnès Varda, 1985. Sandrine Bonnaire. Après le film, le débat tourne autour de deux thèmes : la liberté, la tristesse. Ceux et celles qui l’avaient déjà vu ne se souvenaient pas qu’il était aussi désespéré. On hésite sur le vocabulaire : « routarde », c’est bien ainsi qu’on désignait à l’époque ceux, celles, de moins en moins nombreux(ses), qui « faisaient la route ». Celle-ci était joyeuse, dans les années 1970, grande famille where do you come from ? Oh ! I was there. A long time ago. Can you play on your guitar : Susan takes you do-own, to her place near the river, you can here the boats go by-y… etc. Puis dans les années 1980, la liberté se paie de plus en plus cher, tout le monde s’endurcit. Ou crève. 

Ailleurs, il y a aussi la liberté qui gagne, la liberté d’entreprendre. Why not ? La question, c’est d’être là où il faut, et dans le bon camp. 

On oublie de parler de la démocratie. Ceux qui parleraient le mieux de liberté sont ceux qui en ont été privés. Le mot d’« esclavage » est prononcé. Il faudrait prendre le temps de lire Jacqueline de Romilly, la Grèce antique à la découverte de la liberté. Première page, première ligne : 

« La notion d’homme libre se définit d’abord de la façon la plus simple et la plus concrète : celui-là est libre qui n’est pas esclave (…) L’expérience première, qui a ému et terrifié les Grecs, (…) c’est la possibilité, par la guerre et par la défaite, de devenir esclave. » Emu et terrifié !!

« Ne courbez point un pays libre… sous un joug d’esclave »

En tête vient « l’asservissement féminin ». Pour Hector, « la menace qui plane sur son épouse constitue la honte en plus du chagrin ». Le point de vue d’Hector, me direz-vous. Mais les Grecs n’ont pas négligé le point de vue d’Andromaque ! De nombreuses tragédies témoignent de la souffrance des captives. Dans Hécube et dans les Troyennes, le « choeur des captives » répète sa question angoissée : « Où irai-je ? Chez quel maître ? » L’incertitude d’un récit en cours – pas celui raconté alors qu’il est déjà achevé -, génère l’angoisse. Une angoisse qui démultiplie les souffrances endurées. Parmi ces souffrances, celles du quotidien ne sont pas les dernières.

De qui, de quoi sommes-nous esclaves en 2022 ? La liste serait longue. Mais attendons l’arrivée de nos amis ukrainiens. Ils sauront certainement traduire en une poignante symphonie des temps modernes cet appel antique : « Ne courbez point un pays libre… sous un joug d’esclave ».

Si l’on déroule l’histoire des idées, que dire de l’anarchisme, courant entièrement voué à la liberté ? Prenez au sérieux ces Espagnols morts pour leurs idées durant la Guerre civile de 1936 ! Et écoutez Bakounine, cette voix forte qui résonnait face à Marx dans les congrès de la Première Internationale. Pour lui, la liberté est tellement indispensable qu’elle impose sa nécessité sous la forme d’un syllogisme :

« Si dieu existe, l’homme n’est pas libre. Or, l’homme peut et doit être libre. Donc, dieu n’existe pas. »

J’ai lu cette phrase (plus juste serait de dire que je l’ai reçue dans la figure) à 16 ans et ne m’en suis jamais remis.

Et pour finir, bien provisoirement, il y a les chats (texte daté d’octobre 2020) :

Les maîtres de liberté

Jules râle parce que je ne le laisse pas sortir à cause des chasseurs. Il finit par monter dormir à l’étage. Je sors vérifier deux ou trois bricoles et jeter un coup d’œil sur la mer. Je n’entends pas de chasseurs, ni de chiens. Lorsque je rentre, Jules réclame à nouveau que je le laisse sortir. Je décide de lui ouvrir. Nous allons dans l’arrière-cuisine. J’ouvre. Il sort, puis reste sur le rebord de la fenêtre et esquisse le geste de revenir. Sacré Jules, quel sens provocateur de la liberté ! 

Je me souviens d’un ami qui m’avait dit que lorsqu’il fait très mauvais, un chat reste à l’intérieur et n’est pas tenté de sortir : cela lui serait alors indifférent que la fenêtre soit ouverte ou fermée. Il voulait justifier, s’excuser peut-être, bien que cela ne lui ressemble pas, d’avoir gardé Jules souvent enfermé quand il s’en était occupé durant mon absence. Jules en avait été malade pendant 5 mois, de février à juillet.

Du point de vue de mon chat, la différence entre une fenêtre ouverte et fermée, c’est : la liberté. La liberté de sortir ou de ne pas sortir. Cette fenêtre ouverte ou fermée est la définition même, archi concrète, de la liberté. Comme pour les Allemands de l’Est avec leurs Trabant en octobre 1989, lorsque le mur de Berlin s’est enfin ouvert. Quelle leçon ! La toute première liberté, avant même celle de s’exprimer, c’est celle d’aller et venir.

J’ai toujours dit, depuis longtemps (c’est aussi ma liberté de dire à la fois ‘toujours’ et ‘depuis longtemps’…), que les chats sont mes maîtres de liberté, comme on dit des philosophes grecs qu’ils étaient des maîtres de sagesse. Les chats savent mieux que personne ce qu’est la liberté, cette notion si difficile à définir. Pour Jules, elle est associée à l’aventure, autre notion (parfois) philosophique à laquelle beaucoup depuis Cervantès se sont coltinés. 

Je l’ai compris quand nous avons quitté notre appartement pour une maison en 2016. Un soir, j’aperçois Jules sur le rebord d’un toit, de l’autre côté de la maison de mon voisin. Je l’appelle, il me regarde. Je le connais tellement que j’aperçois son museau formant un miaulement, bien qu’il fasse sombre et qu’il soit trop loin pour que je l’entende et distingue les détails. Je comprends ce miaulement qui dit : 

« non non ne me force pas gentil maître c’est là que je suis heureux comme un chat peut l’être je marche en équilibre entre le sol et la lune j’explore des lieux inconnus de tous j’aime explorer découvrir j’aime l’aventure je marche en zig-zag tu sais comme Francisco dans le film de Buñuel que tu regardes de temps en temps je fais des rencontres des araignées des mulots des humains des chiens d’autres chats quand j’ai peur je me sauve je me cache parfois pendant des heures je suis habile je suis adroit je ne me perds jamais tout ce que je connais sert à ce que je puisse aller à ma guise monter descendre en silence jouer oui jouer je jouis alors de cette LIBERTÉ LIBERTÉ LIBERTÉ sans autre but qu’elle-même que je flaire qui me remplit de sensations indispensables auxquelles seules la faim ou la peur (et l’envie de te voir !) me font renoncer provisoirement / quand je ne connaissais pas encore ces sensations elles me manquaient un peu mais pas trop mais dès que j’y ai goûté mon instinct s’est réveillé l’instinct c’est fort très fort j’ai commencé à mettre en pratique ce que j’avais toujours su toujours de toute éternité moi et tous mes ancêtres qui m’ont précédé qui ont rôdé dans les bois dans les prés sur les chemins dans les dépôts d’ordure dans les ports je n’ai plus jamais pu m’en passer c’est ma vie c’est mon bonheur c’est mon destin / si on m’enferme à nouveau je crierai pendant des jours j’arracherai tous les poils de mon corps je refuserai de manger de boire de me laver je chierai partout je me laisserai mourir j’aime tellement ma liberté alors que je n’ai même pas de mot pour la nommer c’est une liberté sans nom elle est en moi heureusement que mon gentil maître sait écrire et connaît tous les mots de la langue de ses ancêtres lui ce n’est pas l’instinct qui l’anime c’est un intello souvent je veux monter sur ses genoux il veut bien sauf que des fois il me dit qu’il travaille je me couche à côté de lui dans ses papiers sur sa table mais je n’ai même pas le droit de bouger ma queue sur le clavier de son ordi pour rigoler il me dit que je ronfle »

1 commentaire sur “Après « Sans toit ni loi » au Ciné-club lundi dernier : petit patchwork sur le thème de la liberté”

  1. Chat chais ben tourné…
    « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » Encore une liberté passée sous un char (d’assaut…). Les compromis qui occupent notre vie de tous les jours nous laissent-ils un peu de liberté? A croire que la Liberté n’a de sens que pour ceux qui l’ont réellement perdue…
    Ne perdez pas la votre…

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