« Blue Sky » à la Mine d’Or, mardi 27 août

Ni frime, ni contrition. Ils sont là pour faire de la zik, de celle qui n’a pas pris une ride en 50 ans et des brouettes. De celle que les djeuns de maintenant redécouvrent : Maman, t’écoutais vraiment ça à ton époque, Janis, Dylan, les Stones, les Who, les Cream ? Vous vous rengorgez. Ben un peu que j’te f’rai dire, ma poulette. Et qu’à l’époque, tous les ans, y avait un nouveau Beatles ou un Pink Floyd qui sortait, même que j’les ai vus sur scène !

Mardi soir, sur la petite scène de la Mine d’Or, il y avait JLA sixties, Jean Luc et Alain, tous deux la soixantaine, tous deux à la guitare, sur un fond basse-batterie enregistré. Et depuis ce mardi, j’écoute soir et matin les Allman Brothers. Je vais vous expliquer. Vous allez voir, c’est pas banal !

Je précise d’abord qu’à la fin, quand on a remercié l’association des commerçants de la Mine d’Or au micro, tout le monde a applaudi. C’est rare. Il faudra aussi que je vous parle de Jérôme Balthaze qui passait après, avec sa contrebasse bleu-vert fluo, impérial, à la fois authentique musicien et impeccable pro de la scène, j’y reviendrai une autre fois, il y a trop de choses à dire… En attendant, n’hésitez pas à aller découvrir sur Youtube cet artiste prolifique et innovant, qui a posé ses valoches entre Pénestin et Férel voici 4 ou 5 ans.

Jérôme Balthaze

Sale gosse londonien

Jean Luc et Alain ont terminé leur set par les Who, « Won’t get fooled again », 1971. Ca parle de ceux qui se sont battus dans les rues pour faire la Révolution et finalement, tout est resté comme avant. Ca pourrait s’appliquer aux Gilets Jaunes, 50 years after, en version de gauche. Vous vous souvenez du guitariste Pete Townsend, genre sale gosse londonien timide et avec un nez proéminent, qui a trouvé dans le rock une énergie qui lui faisait faire de grands sauts à droite et à gauche, des moulinets avec son bras, et fracasser comme Hendrix ses guitares contre le sol ou sur ses amplis Marshall. Avec Roger Daltrey, le chanteur, ils ont maintenant 80 ans et sont devenus sourds tous les deux à cause des décibels de leur jeunesse. 

J’assume avec eux ce qui pourrait sembler ridicule dans cela. J’adore « My generation » où Daltrey imite le bégaiement d’un chanteur de blues américain. C’est notre génération – oui, la nôtre, à peu de choses près, ils sont tous nés entre 1944 et 46 – dépeinte avec ses travers et ses fulgurances, un autoportrait sans concessions. Et puis ces vers adaptés de Shakespeare repris dans l’opéra-rock Tommy « See me, feel me, touch me, heal me ! » Guéris-moi !! Guéris-moi de mon enfance, de cette grand-mère à qui on l’avait confié, qui se promenait nue sous son manteau et a tenté plusieurs fois de l’abuser, elle lui a offert sa première guitare à 13 ans, il l’a brisée un an plus tard quand elle lui a demandé de jouer moins fort.

On discute avec Jean Luc et Alain. Je leur dis que j’ai aimé « Blue Sky », que je ne connaissais pas. Alain m’explique : tu connais Duane Allman, les Allman Brothers, bien sûr ? Oui, vaguement, de nom, je ne les remets pas bien. Mais si, ils étaient potes avec Eric Clapton ! Duane et son frère Gregg, nés à Nashville, Tennessee, mais après la mort de leur père militaire, tué par un autre soldat ivre, ils ont vécu surtout en Floride, entre Miami au Sud et Jacksonville, dans le Nord, la ville la plus étendue des Etats-Unis avec Los Angeles, où on se méfie de vous si vous marchez à pied le long de la route et où des crocodiles pénètrent dans les jardins des villas de bord de mer. C’est là qu’ils jouent dans de petits, puis de grands groupes. Duane est guitariste et Gregg pianiste. 

La musique, au-delà des sons et des rythmes, ça raconte les histoires des gens et de leur époque

La rencontre de Duane avec Clapton, à Miami où ce dernier est venu enregistrer un album, est décisive. Ils tombent « amoureux » de leurs styles respectifs de guitare. Clapton propose à Duane de participer à son album dont il n’a encore enregistré que deux titres. Et voici Duane en train d’écrire avec Clapton et le batteur Jim Gordon la chanson-titre de l’album, « Layla », l’histoire la plus intime qui soit. Celle d’Eric tombé amoureux fou de la femme de son meilleur ami, George Harrison, des Beatles ! Alain me raconte tout ça d’un trait, je revérifie tout après. Tout l’album, « Layla and other assorted love songs », paroles et musique, rugit comme un fauve en cage face à l’impossibilité de cet amour. Layla d’après un conte arabe sur l’amour qui rend fou, sur le « fou d’amour »« majnûn ». Oui, je connaissais. C’est formidable de retrouver les traces d’un autre qui était pareil que soi, même si on n’a rien appris entre temps. Eric parviendra à ses fins quelques années plus tard et épousera Pattie Boyd qui s’est séparée de George Harrison. Tout l’album est incandescent. Comme les grandes histoires d’amour des autres nous charment !

C’est ce que j’ai compris ce mardi soir de fin août avec ces deux musicos qui me rappellent ceux de mon lycée qui connaissaient tout parce qu’ils épluchaient sûrement Rock’n Folk de la première à la dernière page. La musique, au-delà des sons et des rythmes, ce sont des histoires, les histoires des gens et celle de leur époque. Je l’avais déjà un peu compris en discutant avec des Anglais qui connaissaient toutes les mêmes musiques, sans exceptions, que nous, mais qui les avaient écoutées et vécues dans leur propre langue, ce qui change tout, avec des paroles qui racontaient des aventures, des réalités, des drames, parfois, que nous Frenchies nous ignorions. La musique en prenait un autre sens, ces Anglais me racontaient que tel musicien venait de tel quartier de Liverpool, puis qu’il était devenu pote avec untel, et après, sous Thatcher, il s’est engagé avec les prolos des usines du coin et pour le maintien des services publics. Et plein d’autres choses encore.

Voilà, c’est ça, la pop, au-delà de la zik, ce sont des histoires, des vies. Mais attention ! On va vous dire, dans les classes de jazz par exemple, qu’un morceau de musique, c’est toujours un récit, on vous banalise le truc. En fait, c’est parce que le récit est à la mode depuis 20 ou 30 ans. Il y en a partout : une pub est aujourd’hui un récit, qu’on essaie de vous faire retenir en vous la barbouillant de faux suspenses et de fausses révélations. C’est obscène. Et un homme politique, comme un entreprise, se définit par le récit supposé rendre son parcours plus fun. Ils feraient mieux de bosser les dossiers de la transition écologique.

La route, c’est deux choses : l’expérience du vide ; les rencontres

Mais je vais vous dire, les histoires des musicos des années 1960-70, ça commençait toujours par « la route », aux US ou en Europe : faire la route, to be on the road, d’abord les beatnicks, Kerouac, la Route 66, Rod Stewart, et jusqu’à nous. Faire la route, c’est deux choses : l’expérience du vide ; les rencontres. Le vide, c’est une question façon philo du 18e,« qu’est-ce que je fous là ? », qu’on se pose dans une ville étrangère où rien ni personne ne vous attend, le temps qui s’étire, les heures sont aussi longues que dans un atelier ou une usine. Il faut en passer par là pour libérer le temps de l’inattendu. Etre ouvert à la surprise, à la différence. C’est là que nichent les vrais récits, dont l’étape-clé est la rencontre. Il y a(vait) des codes, « where do you come from ? », des partages, une boîte de conserves, un fond de vin rouge, et puis soudain l’insensé, une curiosité qui vous fait passer des heures à écouter quelqu’un qui n’a rien de commun avec vous, les rires, les projets fous, et si on allait ensemble là, ou là ?!

Beaucoup de gens n’ont jamais connu cela. Ils ont évité le vide, qui leur faisait peur. Ils empilaient tout ce qu’ils pouvaient pour « remplir » : la société du remplissage, vous voyez ce que je veux dire. Une autre forme de vide, moins créative. Beaucoup de gens n’ont jamais fait de « rencontres » non plus. De toute leur vie. On m’a parlé d’une dame qui travaillait au même endroit que moi. Avec son mari, à la retraite, ils se sont installés à Damgan. Ils ont commencé par prendre l’apéritif avec leurs voisins, puis… ben, ils s’ennuient. Prendre l’apéro poliment en égrainant des lieux-communs, ce n’est pas ça, une rencontre. Vous saisissez ?

Clapton émerveillé par la façon de jouer de Duane Allman en 1969. Il ne veut plus le quitter, il lui propose de venir jouer dans son groupe « Derek and the Dominos ». Puis Duane écrit et interprète « Blue Sky » et meurt dans un accident de moto en 1971. A 24 ans. Clapton ne s’en console pas, il s’enfonce dans l’alcool et la drogue. Il en ressortira, plus tard. Merci, Jean Luc et Alain, de m’avoir fait me souvenir de quoi la musique est faite. Vous savez, c’est un peu la même chose pour Mozart ou Scarlatti…

4 commentaires sur “« Blue Sky » à la Mine d’Or, mardi 27 août”

  1. GERARD !!! ,je t”en veux énormément . Comment n’as tu pas pensé à me prévenir de ce concert ? Tu sais pourtant bien que ma culture musicale, très limitée, vas d”Elvis Presley à Dire strait en passant par Chuck Berry ,les Stones etc. Tu m’a poutant vu tenter de jouer lamentablement ” Johnny be good” pour la centième fois et tu ne m”as rien dit !!!!!!!!

  2. La force de la musique pour ceux qui ont le talent de l’écouter…
    J’ai visité il y a qqs jours le MuPop à Montluçon, Musée de la musique populaire, depuis les fêtes de villages, vièles et muses, bals populaires, accordéons et guitares, jusqu’à… l’ELECTRIFICATION !
    Et là, c’est la folie Hendrix, Beatles et les grandes messes Woodstock…
    Aussi déjanté qu’un récital Scarlatti par Scott Ross ou Vladimir Horowitz !!

  3. Hello Gérard…
    Pfffioouuu !
    Quel article !
    On va commencer par résoudre l’équation : x et y sont respectivement Jean Luc, chant guitare et Alain, guitare chant, tous deux nostalgiques passionnés du programme de Woodstock et assimilé, et ces deux inconnues ont fusionné dans un duo appelé JLA sixties.
    Je suis ravi que notre musique ait touché certains auditeurs … il n’en faut pas plus pour nous rendre heureux. Quand au développement autour du divin Duane Allman, sache mon cher Gérard, que même si je connaissais un bon pourcentage de son histoire, tu m’as appris de nombreuses anecdotes.
    Merci beaucoup !
    PS : le 14 septembre, je joue avec un groupe complet (sans Jean Luc … sorry partner) à Château Thebault sur un répertoire similaire mais plus musclé … led zep, deep purple, Hendrix… si ça vous dit
    Long live rock n’ roll !

  4. On ne s’attend pas à trouver ce genre de publication ici, raison de plus pour vous en remercier car c’est aussi intéressant et riche d’enseignements qu’une réflexion sur notre village et ces péripéties. Je m’étonne que les commentaires soient aussi rares quels que soient les sujets évoqués. Vive Pénestin-infos. Viva la Musica.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *