Il faut que je vous dise pour commencer que j’ai téléchargé le bouquin de l’économiste Nouriel Roubini – celui qui avait annoncé avant tous les autres la crise des subprimes de 2008 – « Mégamenaces : Dix dangers qui mettent en péril notre avenir. Et comment leur survivre ». Il écrit dans son chapitre d’introduction :
« Nous chancelons à présent au bord d’un précipice, et le sol tremble sous nos pieds. Pourtant, la plupart d’entre nous imaginent encore que l’avenir ressemblera au passé. C’est une énorme erreur. Les nouveaux signaux de danger sont clairs et impératifs. Les risques économiques, financiers, technologiques, commerciaux, politiques, géopolitiques, sanitaires et environnementaux se sont transformés en une entité beaucoup plus vaste. (…) Une seule menace, c’est déjà affligeant. Dix mégamenaces qui agissent en même temps c’est bien pire. (…) Faute d’une chance extraordinaire et d’une croissance économique quasiment sans précédent, tout cela finira mal. Nous sommes bien trop profondément engagés. »
Nous sommes bien trop profondément engagés… Cela s’est vu avec l’accélération désormais bien visible des dérèglements climatiques l’été dernier, puis à l’automne. Cela se voit chaque jour en Ukraine, à Taiwan, en Inde, en Chine, et, comme nous l’explique très bien Roubini, nous sommes tous interreliés sur cette « putain de planète », ça, c’est moi qui l’ajoute. Et aussi les jeunes Allemands de Lützerath qui tentent d’empêcher l’extension d’une mine de charbon et dont la plupart des blessés ont été mordus par les chiens que la police lâche sur eux.
Des discours limités à une heure chrono
Alors, puisque nous sommes en période de vœux, et puisque cet article concerne ceux des maires de Pénestin vendredi 13 et Camoël dimanche 15, laissez-moi vous souhaiter, nous souhaiter, cette « chance extraordinaire » et cette « croissance économique quasiment sans précédent », afin d’éviter, peut-être, que « tout cela finisse mal ».
Vendredi, j’arrive un peu en avance au Centre Petit-Breton et croise d’abord Fred Brettier, le chargé de la communication et du patrimoine à la mairie, qui m’explique qu’ils ont cherché à raccourcir la durée des discours. Exact, l’ensemble ne dépassera pas une heure.
Le maire s’approche et me tend la main : « – Bonjour Monsieur le Maire » – « Bonjour Monsieur Cornu ». J’ai publié la veille un article critique à son égard. Dans le passé, il est arrivé que dans des circonstances similaires, il se raidisse, produisant autour de lui une sorte de halo électrique qui dessèche l’air, un peu comme le silence qui succède à un accident de la route. Alors, bravo ! Je pense depuis longtemps que la politesse et le respect mutuel sont un premier échelon indispensable de la démocratie. Avoir des désaccords n’empêche pas d’être courtois. Ne dit-on pas que la buvette de l’Assemblée nationale est un modèle de convivialité entre élus d’opinions différentes ?
Je m’installe, observe un habitant dont je tairai bien sûr le nom, qui piaffe d’impatience d’intégrer le Conseil et qui, debout près de la scène, jette des regards circulaires comme s’il était le maître de cérémonie de ces voeux. La vanité est souvent un obstacle au débat sincère des idées. La salle se remplit et c’est vrai qu’il y a du monde. Peut-être pas « proche de 400 personnes », comme l’écrit Ouest-France ce matin, mais autour de 250.
Une légère gouaille dans les fins de phrases
Le maire débute son discours. Une légère gouaille dans les fins de phrases manifeste d’emblée qu’il a remonté la pente depuis décembre où il se disait en burn-out, victime de celles et ceux qui avaient eux-mêmes fini par craquer à force de réclamer plus de dialogue et d’écoute de sa part. Le sourire conquérant rappelle sa campagne de 2019-2020. Il demande, en l’honneur de Jean-Claude Baudrais, maire pendant 25 ans décédé l’année dernière, « une minute de silence que je voudrais terminer par un applaudissement nourri au regard de tout ce qu’il a fait pour la commune ».
Il poursuit : « Et nous, me direz-vous ? Il y a moins de trois années que nous sommes aux manettes, ce qui au regard de mon prédécesseur est peu, et je crois que nous n’avons pas à rougir de notre action. Avec les adjoints, les conseillers municipaux, et aussi grâce à la collaboration des services techniques et administratifs, nous avons pu remplir de nombreux objectifs et nous engager dans l’accomplissement de notre projet politique. »
Le discours est tout entier présent dans son préambule comme l’œuf dans sa coquille. Vous avez déjà compris : le maire de Pénestin fait ce qu’il sait faire. Il invente, il enjolive, il affabule. Je suis désolé, j’aurais aimé vous dire qu’il a tiré le bilan de l’année écoulée et tracé les grandes lignes de ses projets à venir. Vous auriez pu juger sur pièces. Mais lorsque quelqu’un ment, lorsqu’il triche et louvoie entre les faits qu’il invente et ceux qu’il omet, la vérité commande d’appeler les choses par leur nom : une imposture est une imposture, un mensonge est un mensonge. A quoi bon tenir un blog sinon ? Ne pas dénoncer un mensonge ou une imposture, c’est s’en rendre complice.
Voici notre commune telle que son maire la rêve. “Les conseillers municipaux sont au rendez-vous”, n’est-ce pas ? (même s’il n’adresse plus la parole à trois d’entre eux/elles et répand son fiel sur eux) Il n’a pas remarqué le départ de Cindy, la chargée des animations (poussée à la démission par un harcèlement méthodique après deux années d’un investissement jugé par tous très satisfaisant). Le maire peut ainsi, sans la nommer, faire le bilan du « renouvellement par la mairie des animations » proposées en été et de la « volonté de faire de Pénestin un territoire d’art », il peut féliciter « l’ensemble de l’équipe animations » (sans dire non plus que trois élues de la Commission animations, celles-là mêmes qui se plaignent de l’absence de concertation, viennent d’en démissionner en signe de protestation).
Et la DGS (Directrice générale des services) n’a pas la haute main sur la décision de rédiger ou non des compte-rendus écrits des réunions de commissions, lorsqu’elle répond aux élus : « je n’ai pas que ça à faire ». Une décision hautement politique et relevant à ce titre de ceux que la population a élus. Le maire avait acquiescé devant plusieurs témoins, l’air juste un peu embarrassé. Il suffirait pourtant de recruter un stagiaire capable de manier un logiciel de reconnaissance vocale afin de pouvoir transcrire les enregistrements sans y investir un temps démesuré…
« Le bien-être au travail est le gage d’un service de qualité »
L’exposé du maire décrit une réalité parallèle. Il remercie et flatte chacun des adjoints, je parle sous ton contrôle, Joseph, n’est-ce pas, Michel, grâce à Christiane, le marché est redevenu la vitrine de Pénestin (demandez donc aux commerçants du marché ce qu’ils en pensent et si ce n’est pas une certaine Corinne, désormais ignorée, qui a fait l’essentiel du travail !) Le sourire des personnels à l’accueil de la mairie est une vitrine lui aussi, « ce que nous n’aurions peut-être pas dit il y a quelques années ». Il se laisse griser par les mots et dépasse allègrement toutes les bornes : « Le bien-être au travail est le gage d’un service de qualité ». Tout va très bien, Madame la Marquise, pom, pom ! Plus on avance, plus le maire, en position « up », en mode « séduction », guette ou quête l’approbation et cherche à susciter des sourires complices. Nicolas Criaud, maire de Guérande et président de Cap Atlantique, joue le jeu et sourit à ses plaisanteries, même s’il est vrai qu’il quitte ensuite la salle sans s’attarder.
Changeons de sujet. Le pot qui suit est l’occasion de reparler avec certains du décès de Pascal Métayer, dont il n’a pas été question dans les vœux, et peu d’une façon générale. Dans mon article, la semaine dernière, j’ai voulu faire une sorte d’éloge de la tolérance, celle que défendait déjà Térence, un auteur latin, lorsqu’il disait que « rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Oui, je sais, comme on me le dit, que Pascal Métayer était « mal vu » de pas mal de gens. Mais je ne connais rien de plus détestable que le discours consistant à dire qu’« en face », ce sont « tous des cons », ou des incapables, des nuls, etc. Ceux qui étaient proches de lui ont apparemment mieux compris certaines libertés que je me suis autorisées, que ceux qui le critiquent n’ont admis que je le présente comme une personne « normale ».
Je croise le maire de Camoël, Bernard Le Guen, qui me propose de venir à ses propres vœux, le dimanche, où il rendra hommage à Pierre Gautier (cf. http://www.penestin-infos.fr/pierre-gautier-la-malice-de-ses-yeux/ http://www.penestin-infos.fr/a-ferel-un-bateau-une-assoc/ ).
Dimanche, me revoici donc dans cette salle pas très grande, près de la médiathèque de Camoël, où il faut ranger sa chaise après les discours pour faire place au « pot de l’amitié », dans un village où l’on peut dire comme à Pénestin qu’il fait bon vivre, sans pour autant provoquer une discussion sur les batailles qu’il a fallu mener ces dernières décennies pour préserver cette qualité de vie. Pourtant, la départementale les traverse comme un clou le corps d’un crucifié, et ils pâtissent comme Férel d’une absence notable de commerces et de restaurants.
Comme un musicien baroque qui vous dit : écoutez cette cantate, c’est superbe, non ?
Mais justement, Bernard Le Guen annonce l’installation en cascade de nouveaux commerces, d’un restaurant gastronomique, et il le fait avec une expression qui semble traduire une réelle satisfaction pour sa commune, dans laquelle cet ancien enseignant exerce son deuxième mandat de maire après avoir déjà siégé auparavant comme adjoint. Si vous me suivez, je vous dirai qu’il est comme un musicien interprétant le répertoire baroque du 18e siècle, et qui donne l’impression d’un léger décalage par rapport à son instrument et à l’oeuvre qu’il joue, afin de vous signifier : écoutez les détails de cette cantate de Bach, vous ne trouvez pas que c’est superbe ? Une partie du 19e siècle romantique vous dirait au contraire : regardez-moi, regardez mes doigts qui courent sur le clavier, regardez comme je suis virtuose, possédé, transi… Ne vous méprenez pas, j’adore aussi le 19e.
Le Conseil municipal des Jeunes est rafraichissant : on les laisse lire leur texte sans leur mettre de pression et sans craindre que le trac les fasse bafouiller. Du coup, aucun ne bafouille. Le Conseil des Sages joue lui aussi sa partition. Les maires des autres communes ont répondu nombreux à l’invitation, et ils s’attardent ensuite, un verre à la main, disponibles envers ceux qui viennent s’adresser à eux. Nicolas Criaud, dans son discours, a plaisanté de bonne grâce sur ses lapsus. Il a aussi tenu des propos intéressants sur la loi « Climat et Résilience » d’août 2021 qui limite les « extensions » et contraint les PLU à construire sur ce qui existe déjà. Il a évoqué cette « contrainte » sans expliquer ce qui la justifie et qui apparaît pourtant clairement dans l’intitulé de la loi : la défense de la biodiversité, de la vie (nous y compris), désormais menacée sur notre planète, en commençant par nos villes et nos villages. Je n’y reviens pas, je ne veux pas vous déprimer !
Je garde dans l’oreille la voix de Pierre Gautier réentendue dans une vidéo que je ne connaissais pas. Deux autres personnes au moins, peut-être plus, ont connu les deux morts : ceux-ci tissent des liens mystérieux entre les vivants. Au moment de partir, je vais remercier Bernard, notre hôte, de son accueil, et dans la voiture je me dis ensuite : mais je l’ai tutoyé ! Je ne m’en suis pas rendu compte. Il n’en a d’ailleurs paru ni choqué, ni surpris.
PS. Le site de la mairie de Pénestin a publié lundi le texte complet du discours de M. Puisay et un powerpoint (en pdf) plus complet que celui présenté vendredi dernier aux voeux. Félicitations, Frédéric, c’est du bon travail de com. On s’y laisserait presque prendre si l’on renonçait à exercer son esprit critique. La com “met les formes”, et elle le fait parfois très bien, mais le contenu demeure ce qu’il est et les faits sont têtus.
https://www.penestin.fr/fileadmin/PENESTIN/Discours_voeux_Penestin_2023.pdf
https://www.penestin.fr/fileadmin/PENESTIN/Voeux_2023.pdf
Merci Gérard pour ce compte rendu de la cérémonie des « Vœux du maire ».
Il permet de relativiser le panégyrique municipal et nous offre l’occasion, comme tu l’écris, de maintenir en éveil notre sens critique (et non de critique).
Il est intéressant de noter que, dès qu’il y a une réunion, l’estimation du nombre de participants est variable ! Ici 400 contre 250, ce qui toutefois reste peu en rapport des 821 signatures obtenues (sans galette ni mousseux) par la pétition contre la vente du presbytère !
Merci également de nous faire découvrir nos voisins de Camoël et surtout le Conseil municipal des Jeunes qui nous apporte une touche d’optimisme.
J’en profite pour exprimer mon admiration pour les trois élues qui ont préféré se retirer de la liste majoritaire par respect des habitants qui les ont élues et ainsi pouvoir tenir leurs engagements.
Longue vie à toi et ton blog !