Chroniques locales du temps jadis. Ambiance pénestinoise … ou les élections municipales de 1929.

par Jean-Yves R.

Alors que s’approchent désormais en ce printemps 2020 de nouvelles élections municipales, un document retrouvé dans mes archives familiales et distribué à l’époque aux habitants de la commune offre une vision très pittoresque, c’est le moins que l’on puisse dire, de ce que furent celles de mai 1929 à Pénestin, il y a de cela 91 ans.

Tous les protagonistes cités n’étant plus de ce monde, me mettant ainsi à l’abri de toute velléité (même si certains y reconnaîtront quelque ancêtre ou membre de leur famille, comme c’est mon cas), il m’a paru plaisant de l’exhumer et de l’enrichir de quelques commentaires car ce libelle, rapporté tel quel ci-après, est à n’en point douter un « monument » de la littérature locale de l’époque ! Ses auteurs, des électeurs pénestinois courageux puisqu’ayant gardé l’anonymat, agissaient, à les lire, aux intérêts d’une seconde liste… à moins qu’ils ne fussent eux-mêmes de ces candidats.

Ces ragotiers délateurs en furent toutefois pour leur frais, les Pénestinois faisant l’objet de leur diatribe – le Conseil municipal ne comptait alors que 12 membres (pour 19 aujourd’hui) – enlevant la majorité des suffrages et la Mairie à l’issue du scrutin !

Chacun appréciera les différentes descriptions, pour parties cocasses, mais qui vaudraient sans doute aujourd’hui à leurs auteurs – fussent-ils identifiés – une possible traduction en justice pour diffamation, car en matière de gens « honnêtes et capables » comme se décrivirent ces singuliers lanceurs d’alerte avant l’heure, on eut pu trouver mieux !

Morceau choisi :

« ATTENTION ! Électeurs on vous trompe !

Vous avez à choisir entre deux listes en présence.

Une, composée de gens honnêtes et capables, et l’autre, qui est une liste d’ambitieux, d’incapables et de semeurs de haine.

Que peut faire pour la Commune Tara Yvonnick ? Il habite Brest, il ne sera jamais aux séances du Conseil municipal. Il ne paye pas un sou d’impôts à Pénestin et il use nos routes sans payer un centime de prestations.

On sais que Perraud, du Foix, n’a accepté d’être sur la liste que pour faire plaisir à son patron.

On sait très bien que Mahé Eugène n’a accepté que pour faire plaisir à Lalande Léon. (= le Maire sortant)

On sait aussi que Guihard François est un incapable, un gueulard, qui prétend acheter vos voix en payant à boire.

Tout le monde sait que Brière ne va jamais à la messe et qu’il lit des journaux hostiles à la religion.

On sait que Plantard a fait tout ce qu’il a pu pour se retirer de la liste.

Tout le monde est d’accord pour reconnaître que Guiho Isidore a trahi ses vieux amis du Conseil municipal, n’est pas aimé, étant peu serviable, et a une ambition démesurée.

Nous ne parlons pas de Léon Rio, qui est bien l’être le plus insignifiant de la création.

Quant au fayot : Coquet, qui prétend vous donner la lune, avec l’appui de Pézet (mais qui n’a encore rien pu obtenir de sérieux, malgré ses vantardises), on sait que ce Finistérien, habitant depuis peu notre pays, n’a pu faire qu’un sous-off., après 15 ans de service, ce qui n’est guère brillant et ne lui donne pas beaucoup de relief pour diriger une Commune. Il affiche sa haine contre l’école nationale, mais il profite de la pension de sa belle-mère, veuve d’instituteur.

C’est un incapable ambitieux qui ne pourra jamais rien faire pour vous.

Enfin, le fameux Métayer Joël ! En voilà un qui ferait mieux de se cacher !…

Tous ceux qui l’ont fréquenté, il y a quelques années, à son arrivée au pays, l’ont entendu manger du curé, manger des sœurs, avec haine et acharnement.

Il a tourné sa veste pour les raisons qu’il a avouées lui-même, publiquement, devant des témoins de Tréhiguier ; au surplus, à quoi bon insister, tout le monde est parfaitement fixé là-dessus.

N’oubliez pas que cette liste est patronnée par le sieur Ferraud, un Niçois qui n’a jamais cessé de combattre la religion. Il a essayé, par tous les moyens, de vous faire du mal avec son chemin de la côte.

Si la liste Coquet triomphait, vous savez très bien que ce divorcé, cet excommunié de Ferraud dirigerait, en dessous, la Commune, en compagnie du frère du communiste Bernier.

Électeurs, un coup de balai ! Vous ne pouvez pas confier la Commune à une équipe pareille !

UN GROUPE D’ELECTEURS. »

Au premier tour du dimanche 5 mai, les habitants de Pénestin avaient eu le choix – sauf erreur – entre une liste dite « républicaine-catholique » menée par MM. François Coquet et Isidore Guiho, une liste de droite menée par M. Bouret (où figurait un certain M. Turpin) et une liste de gauche emmenée par le Dr Stéphan Tara (accompagné entre autres de MM. Roque et Garel).

Le scrutin s’étant conclu par des ballottages plutôt favorables à la première, les Pénestinois avaient alors assisté entre les deux tours, au sein des deux autres listes minoritaires, à une valse de désistements, un ralliement (M. Turpin appelant à voter pour la liste Coquet-Guiho) mais aussi plus étonnamment à des rapprochements qui tenaient, comme dit l’expression populaire, « de la carpe et du lapin » puisque quatre candidats de la liste de droite faisaient alliance avec huit de celle de gauche pour constituer une nouvelle liste dite d’ « entente communale »  emmenée cette fois par MM. Roque et Garel. Quant au Dr Stéphan Tara, déjà battu en avril 1928 lors des législatives ayant vu Ernest Pezet élu député de la 2ème circonscription du Morbihan, considéré comme « trop rouge », soupçonné d’être « franc-maçon » et dont « personne n’aurait voulu » (in Le Nouvelliste du Morbihan » du 26 mai 1929), il avait pris le parti de se retirer après ce nouvel échec et allait se tenir tranquille, « ce qu’il avait le mieux à faire » ! (dixit toujours Le Nouvelliste) … après avoir purement et simplement licencié ses co-listiers.

Les listes s’étant ainsi réduites à deux, il n’est donc guère difficile de comprendre que la fameuse missive distribuée aux Pénestinois, bien qu’anonyme, émanait assurément des « soutiens » de la seconde liste recomposée.

Le résultat sans appel des votes au soir du dimanche 12 mai en faveur de la liste la plus modérée – passée avec plus de 40 voix de majorité – en fut précisément le suivant, classé par le nombre de suffrages reçus :

François Coquet (propriétaire) 176 ; François Roussel, (cultivateur) 173 ; Émile Bernard (cultivateur) 172 ; Louis Perraud (cultivateur) 172 ; Jules Plantard 170 ; Eugène Mahé 169 ; Yvonnick Tara (commissaire-priseur) 168 ; JosephBrière (commerçant) 165 ; Joël Métayer (mytiliculteur) 165 ; Léon Rio (mytiliculteur) 165 ; François Guihard 163 ; Isidore Guiho (capitaine au long cours e.r.) 163.

Pour une raison que j’ignore, seuls Émile Bernard et François Roussel avaient échappé au tract assassin.

L’ « incapable ambitieux » François Coquet fut élu Maire, puis brillamment réélu aux élections de 1935, recueillant sur son nom 272 voix sur 300 exprimées pour 387 électeurs inscrits sur une population de 1136 habitants (1936), ce à la tête d’une liste Démocrate Populaire cette fois sans opposition. Également élu Conseiller d’arrondissement de La Roche-Bernard en mars 1939, il devait rester le premier magistrat de la commune jusqu’en fin novembre 1941 où il donna sa démission au motif – suivant la version officielle parue en presse – d’un problème de santé et d’une recommandation de ses médecins.

Nul doute que la situation de Pénestin sous occupation allemande et qui plus est désormais en « zone interdite » en cette fin d’année ne pouvait être pour lui que sources supplémentaires de préoccupations et de soucis vis-à-vis de ses administrés, outre son aversion pour le régime collaborationniste de l’État Français.

Sans compter en plus, dans ce contexte particulier, l’agression verbale irrespectueuse dont il avait été l’objet le 13 septembre précédent – par garde-champêtre interpellé – de la part d’un couple retiré dans la commune, les Person, sur lequel il avait « osé » diligenté une enquête, les mêmes n’ayant pas hésité trois jours plus tard à réitérer en menaçant le dit garde-champêtre, M. Le Lay, de lui « casser la figure » ! Ce qui vaudrait aux deux irascibles, niant pourtant tous ces outrages lors de leur passage au tribunal correctionnel, d’être condamnées à 200 et 400.00 francs d’amende.

Comme devait le souligner l’« Avenir du Morbihan » dans son article du 29 novembre annonçant son retrait, l’ancien marin et pilote d’aviation décoré de la Médaille militaire, « homme intègre et dévoué », avait su gérer Pénestin pendant plus de 12 ans avec « bienfaisance », notant que « sous son administration, les charges communales de voirie » avaient été « extrêmement allégées et les finances communales gérées avec la plus grande sagesse », infligeant ainsi un camouflet définitif aux courageux délateurs anonymes de 1929.

Moins de deux mois plus tard, Pénestin connaissait une autre péripétie. Au motif officiel disant que « considérant qu’à la suite de la démission du maire il n’est pas possible de constituer dans la commune  de Penestin (Morbihan) une municipalité apte à gérer, de façon satisfaisante, les affaires communales », le Conseil municipal était dissous et remplacé par une délégation spéciale composée de M. Yvonnick Tara (président) secondé par MM. Joël Métayer, Léon Rio, Basile Baholet (élu en 1935) et Jean Vaugrenard.  Daté du 15 janvier 1942 (et paru le 17), l’arrêté était signé par Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy. Un nouvel arrêté du 6 mai suivant signé cette fois du conseiller d’Etat secrétaire général pour l’administration allait en modifier la composition en évinçant de la délégation et de son poste Yvonnick Tara pour le remplacer par Joël Métayer et en réintroduisant l’ancien Maire démissionnaire.

Coïncidant en réalité avec une véritable épidémie où des Maires courageux opposés au régime en place, soit quittaient leurs fonctions, soit en étaient démis par Vichy, on retiendra qu’au nombre des 20 communes françaises citées le 17 janvier 1942 au J.O. pour le même motif, figurent aussi Camoël et Saint Congard pour le Morbihan.

« Ernest Pezet, personnalité résidente de Pénestin »

François Coquet, comme son ami le député puis sénateur Ernest Pezet n’étaient politiquement ni des « bouffeurs de curés » ni le jouet des communistes, mais appartenaient à ce courant des années 30 à 50 de la « droite libérale catholique et sociale » – Pezet étant d’ailleurs l’un des fondateurs du « Parti Démocrate populaire » -, avant de s’impliquer tous deux dans la Résistance. Il m’est d’autant plus aisé de l’écrire que ces deux personnalités pénestinoises (et leurs épouses) réunissaient autour d’eux un petit groupe d’amis qui partageaient tous ces mêmes convictions modérées comme Mme Marie-Madeleine Mazan-Petit-Breton (la veuve de …), le colonel Le Lay et son épouse et mes grands-parents paternels, comme mon père (né en 1921) qui les connut tous nous le racontait.

© Jean-Yves R.

Brancelin

dernière mise à jour : mercredi 19 février 2020

(D’après les sources principales suivantes : la presse morbihannaise, le bulletin municipal de Pénestin, le Journal Officiel de la République française, les sites Wikipedia et de l’Assemblée nationale… et mes archives familiales)

5 commentaires sur “Chroniques locales du temps jadis. Ambiance pénestinoise … ou les élections municipales de 1929.”

  1. Gérard, au début de cet article, on ne comprend pas tout de suite que ce n’est pas ton écriture et ton histoire mais celle de Jean-Yves R. Je me suis dit : “Tiens, nous n’avons pas les mêmes ancêtres!” 😉 Il faudrait ajouter dès le début du texte l’auteur, tout comme il apparait dans le texte au sujet de la colonie de vacances en 1936.

  2. article tout autant intéressant que amusant. Si cela peut vous intéresser, je dispose d’un certain nombre d’archives sur mon grand père Ernest Pezet ainsi que sur Penestin et la propriété du Halguen. Je suis à votre disposition.
    Gildas Pezet

    1. M. Pezet bonjour. Désolé de ne découvrir votre commentaire qu’aujourd’hui. Il est vrai que durant la période que nous venons de passer j’avais un peu relâché mon attention sur les “suites” de mes petites “chroniques pénestinoises”. Tout ce qui concerne l’histoire de Pénestin m’intéresse et d’autant plus ici, comme dit dans l’article, que mes grands-parents et mon père (les familles Rio-Guillou) connurent votre grand-père ou M. Coquet. J’ai dont mes archives 2-3 courriers échangés par le mien avec le vôtre ainsi que le petit carton reçu lors du décès de mon grand-père en décembre 1951. Ce serait avec plaisir de pouvoir se rencontrer. Cordialement.

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