– Alexandre Lacroix, dans La lettre de Philosophie Magazine, 4 avril 2020
Le 25 décembre 2118
Mon cher enfant,
Ton message m’a blessé, j’ai surtout mal pris que tu m’aies qualifié de “sectaire”, alors que je ne cherche qu’à faire ton bien ; aussi voudrais-je te rappeler d’où nous venons, quelle est notre tradition et d’où proviennent les valeurs que j’aimerais te voir, à ton tour, adopter, parce qu’elles sont à mon sens les meilleurs guides de vie.
C’est il y a presque un siècle, au milieu de l’année 2020, entre les mois de mai et de novembre que se produisit le Grand Schisme. Dans l’hémisphère nord puis dans l’hémisphère sud, l’humanité se sépara en deux voies. À cette époque, une maladie infectieuse apparue en Chine s’était propagée à la surface de la planète. Faute de vaccins ou de traitements, les États n’eurent d’autre recours que d’imposer le confinement afin de protéger la population. Les frontières furent fermées et la circulation des personnes interdite ; il devint obligatoire de rester chez soi et de n’en sortir que pour des déplacements indispensables, ponctuels et de courte distance. Mais quand le pic de l’épidémie fut dépassé et que la nécessité de cette mesure cessa, naquit un mouvement éthique et spirituel spontané que nul n’avait vu venir.
Bien sûr, la grande majorité du vulgum pecus s’empressa de recouvrer sa liberté et sa frénésie ordinaires. Mais un petit nombre d’humains choisirent de rester confinés. Certains d’entre eux purent négocier avec leur employeur de continuer à travailler à distance ; d’autres étaient free-lance, d’autres encore avaient profité de la quarantaine pour créer de nouvelles activités qu’ils pouvaient exercer grâce aux réseaux des télécommunications.
Et c’est ainsi que, si le commerce mondialisé et les rivalités économiques reprirent leur cours, si les mégapoles se remirent à trépider furieusement, quelques esprits indociles résolurent d’emprunter une autre trajectoire historique. On les compara aux ermites et aux moines choisissant la réclusion en Europe, aux mormons en Amérique du Nord, aux otakus au Japon. Ils prirent l’habitude d’assurer eux-mêmes l’éducation de leurs enfants et se tournèrent vers les activités intellectuelles, par nature immobiles et contemplatives – la lecture, l’écriture, la recherche scientifique, la composition musicale. Je ne crois pas exagéré d’affirmer qu’ils devinrent la conscience de notre monde. Ils développèrent leur propre art de vivre, qu’ils protégèrent jalousement. Du reste, ils souhaitèrent qu’on ne les appelle plus les “confinés”, terme péjoratif ; c’est pourquoi nous nous désignons nous-mêmes comme les “citoyens des confins”.
Nous sommes particulièrement fiers de la manière dont s’organisent les mariages au sein de notre communauté. S’il y eut de simples unions de voisinage lors des premières générations, il apparut assez vite que celles-ci n’étaient pas souhaitables et menaçaient de dégénérer en consanguinité. C’est pourquoi des sites spéciaux furent créés afin que les jeunes citoyens et citoyennes des confins fassent connaissance, chastement et à distance. On ironise parfois ; il paraît téméraire de promettre à un être qu’on n’a jamais tenu dans ses bras l’unité de lieu jusqu’à ce que la mort nous sépare. Cependant, nulle part ne se rencontre un sentiment de tendresse amoureuse et des liens de filiation aussi puissants qu’entre citoyens des confins, j’en suis certain.
Maintenant que tu as franchi l’âge de la maturité immunitaire, mon cher enfant, tu es bien sûr libre de tes choix. Tu m’expliques dans ton message que tu es sorti de chez toi, que tu t’es rendu dans un bar puis dans une boîte de nuit, que tu y as rencontré une jeune habitante du siècle et que tu en es tombé éperdument amoureux. Je suis content que tu mènes cette expérience ; du reste, presque tous les citoyens des confins ont eu un jour ou l’autre une escapade, un contact avec le siècle. Mais j’espère que tu comprendras la nature faible et passagère des satisfactions que te procurera le Dehors (sans compter que ton espérance de vie, si tu rejoins le siècle, sera beaucoup plus brève), et que, passé cette fugue, tu viendras retrouver ta place parmi nous.
Je serai toujours là pour t’accueillir.
Tendrement,
Ton père.
Alexandre Lacroix
(J’ajoute : un auteur à lire sans modération…)
– « une nouvelle alerte sur le lien entre crise de la biodiversité et crise sanitaire », dans Le Journal du Dimanche du 5 avril et sur le Site Ouest France, 4 avril 2020
L’épidémie de Coronavirus montre l’urgence de protéger la nature
Dans une tribune publiée au Journal du dimanche, le directeur du comité français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature appelle à tirer les conséquences de la crise sanitaire en lien, selon lui, avec la dégradation de l’environnement.
L’épidémie de coronavirus, soupçonné d’être né dans le monde animal avant de passer aux humains, constitue une alerte « sans précédent » de l’urgence de protéger la nature, plaide Sébastien Moncorps, le directeur du Comité français de l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature), alors que plusieurs grands sommets sont reportés à 2021.
« L’épidémie mondiale du Covid-19 trouve son origine dans les pressions que nous exerçons sur la biodiversité », indique Sébastien Moncorps dans une tribune dans le Journal du dimanche (JDD).
Apparu dans un marché de Wuhan en Chine « mettant en contact des animaux sauvages, des animaux domestiques et la population humaine », le virus « est vraisemblablement issu d’une recombinaison virale impliquant plusieurs hôtes sauvages, parmi lesquels des chauves-souris et des pangolins ».
Ce nouveau coronavirus « illustre les dangers de la surexploitation des espèces sauvages, considérée comme la 2e grande cause de disparition de la biodiversité dans le monde, à la fois pour la survie des espèces elles-mêmes et pour les humains », met en garde Sébastien Moncorps.
« C’est une nouvelle alerte, ici sans précédent, sur le lien entre crise de la biodiversité et crise sanitaire », après d’autres épidémies (Ebola, SRAS, grippe aviaire) issues du monde animal, rappelle-t-il.
« La protection de la biodiversité doit se poursuivre »
« La dégradation des milieux naturels et le trafic illégal favorisent les contacts avec les espèces sauvages, et donc la transmission de pathogènes aux humains, et déstabilisent le fonctionnement des écosystèmes », explique-t-il encore.
« Il faudra tirer les conséquences de cette crise en intégrant pleinement ses liens avec la dégradation de la nature », plaide Sébastien Moncorps, pour qui « la mobilisation engagée pour la protection de la biodiversité en 2020 doit donc impérativement se poursuivre ».
Le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui devait se dérouler à Marseille du 11 au 15 juin, a été reporté à janvier 2021.
Il devait précéder la 15e réunion de la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (COP15) qui doit servir à établir un plan mondial pour protéger et restaurer les écosystèmes, indispensables à l’humanité, d’ici 2050.
Initialement prévue en octobre à Kunming, en Chine, cette COP pourrait finalement avoir lieu dans les quatre premiers mois de 2021.
– Douglas Kennedy dans Le Monde du 1er avril 2020
Douglas Kennedy : « Le capitalisme américain s’effondrera-t-il comme un château de cartes quand le Covid-19 sera dompté ? »
Douglas Kennedy, écrivain
Dans une tribune au « Monde », l’auteur de « La Poursuite du bonheur », confiné dans le Maine, explique ce que le désastre sanitaire et politique en cours aux Etats-Unis doit à Donald Trump et, avant lui, à quarante ans de conservatisme social et de libéralisme économique.
Le Monde – Publié le 01 avril 2020 à 01h07
Tribune. Il y a une semaine, je me suis juré de ne plus regarder les nouvelles à la télé. Parce que j’en suis venu à la conclusion qu’en temps de crise, le flot incessant de l’information continue devient un peu comme la roue d’un hamster dans votre tête. Ça tourne et tourne et tourne en vous submergeant d’images d’un présent catastrophique, en vous répétant indéfiniment ce que vous savez déjà, en suscitant une panique existentielle tous azimuts. Et, comme la roue du hamster, ça ne vous mène nulle part. C’est le mythe de Sisyphe en version électronique, exacerbé par notre époque surconnectée.
Mais, il y a quelques jours, j’ai trahi ma promesse lorsqu’un ami écrivain m’a envoyé un texto de New York : « Allume la télé. Trump est en train de battre ses propres records de démence. »
Trente secondes plus tard, j’étais planté devant le seul et unique poste de télé de ma maison dans le Maine (où je suis « confiné », pour utiliser ce nouveau terme à la mode, avec ma fille de 23 ans, Amelia, et son petit ami, Zach, depuis que l’épidémie a déferlé sur nos vies). Et là, sur CNN [reprenant Fox News], pérorait ce bonimenteur de promoteur immobilier reconverti en star de la télé-réalité puis en chef nominal du prétendu monde libre. En l’occurrence, on aurait dit un animateur de jeu télévisé très mal maquillé et encore plus mal perruqué. Il s’efforçait de rassurer la nation en affirmant que cet épisode viral serait balayé par les vents d’ici au dimanche de Pâques [le 12 avril]. D’ailleurs il espérait bien que les églises aux quatre coins du pays seraient combles lors de cette célébration annuelle de la résurrection du Christ après son mauvais quart d’heure sur la croix.
Même à l’aune des critères de la folie trumpienne, cette déclaration était totalement irrationnelle. Trump est un New-Yorkais. Moi aussi. Or l’avancée implacable du Covid-19 a fait de notre ville natale commune l’épicentre américain du virus, avec un nombre de cas qui double tous les trois jours. Le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo – dont la voix revêt un réalisme rageur et un puissant leadership local en ces temps vertigineux – avertissait ce même jour de l’imminence d’une catastrophe sanitaire pour la ville. Et expliquait que New York avait besoin de 30 000 respirateurs artificiels mais n’en possédait que 400 et attendait les 7 000 promis par le gouvernement fédéral. Tout comme il déclarait que les 3,8 milliards de dollars affectés à New York dans le plan d’urgence du Sénat étaient insuffisants, compte tenu de la dévastation qui était en train de s’abattre sur la ville. C’étaient, selon lui, 15 milliards qu’il fallait.
Trump, cet enjôleur invétéré
Mais le plus fascinant dans le fantasme pascal de Trump est la façon dont il ciblait astucieusement les évangéliques agitateurs de Bible qui ont adopté cet homme des plus farouchement vénal et dévergondé comme un de leurs compagnons de croisade. Trump a eu pour maîtresses des stars du porno, dont l’une a raconté que le sexe avec lui « était les pires quatre-vingt-dix secondes de [sa] vie ».
Trump traite les femmes comme des objets jetables. Mais Trump s’est présenté aux élections de 2016 en tant que conservateur social. Et il a choisi pour vice-président Mike Pence : un fondamentaliste chrétien, homophobe et antiféministe avoué, qui a la « charmante » habitude d’appeler son épouse « Mère ». Le choix de Pence était un coup de génie, permettant de rallier la base évangélique à la cause de Trump. Et l’histoire d’amour de cette dernière avec cet enjôleur invétéré aux accents chrétiens douteux atteignit de nouveaux sommets lorsqu’il nomma à la Cour suprême deux juges profondément conservateurs : Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, accusé d’agression sexuelle.
Ces hommes ne se cachent pas d’être contre l’avortement, et la majorité républicaine à la Cour signifie désormais que l’arrêt Roe v. Wade – rendu en 1973 par la Cour suprême et légalisant l’avortement au niveau national – pourrait être renversé dans les années à venir. Or l’éradication de Roe v. Wade est le Saint Graal des évangéliques dans la guerre culturelle qui divise les Etats-Unis depuis 1968.
Même dans ce moment de grave crise mondiale, Trump continu[e] à cultiver dans notre discours national les profondes divisions qu’il a lui-même allègrement amplifiées et aggravées
A vrai dire, le besoin qu’a eu Trump de lier Pâques à la promesse d’une renaissance commerciale était un clin d’œil assumé aux chrétiens blancs conservateurs qui ont contribué à le faire élire contre toute logique il y a presque quatre ans et qui resteront fidèles à cet homme qu’ils savent être un parfait hypocrite si la prochaine élection a bien lieu en novembre de cette année (mais comme tout est sujet à annulation ces temps-ci, je ne serais pas surpris que cet ultime symbole de choix démocratique soit également suspendu sous peu).
Cependant, c’était aussi un rappel que même dans ce moment de grave crise mondiale – laquelle a révélé l’impréparation totale du gouvernement fédéral américain pour aider ses citoyens à survivre à ce « crépuscule des dieux » virologique –, Trump continuait à cultiver dans notre discours national les profondes divisions qu’il a lui-même allègrement amplifiées et aggravées.
Petite leçon d’histoire : Richard Nixon a remporté la Maison Blanche en 1968 grâce à sa « stratégie du Sud » fondée sur la haine des Etats du Sud contre la législation des droits civiques (qui garantissait les droits des Afro-Américains en tant que citoyens égaux dans le corps politique national), votée par le Congrès sous l’impulsion du démocrate texan Lyndon Johnson. Nixon avait également joué sur la peur qu’inspiraient aux mâles blancs les minorités, les femmes, les radicaux et les hippies prônant l’amour libre (on était en 68, après tout), affirmant qu’il existait aux Etats-Unis une « majorité silencieuse » qui rejetait le progressisme éduqué de New York, de la Californie et des grandes villes du Nord.
Il dénigrait aussi publiquement tout ce qui pouvait être perçu comme intellectuel et cultivé (bien qu’il fût en privé fan de jazz et historien amateur). Mépriser les choses de l’esprit est une vieille habitude américaine… surtout parmi les populistes. Ronald Reagan à son tour courtisa la droite chrétienne en 1980, laquelle acquit soudain un immense capital politique durant sa présidence. Et les deux Bush – Junior étant lui-même devenu un « born again » pour guérir de son alcoolisme – donnèrent également aux évangéliques ce qu’ils voulaient.
Le cauchemar qui attend des millions de personnes
Ainsi Trump parlait-il à sa base quand il a joué la carte du « retour au boulot pour Pâques ». Tout comme il essayait de convaincre Wall Street et les grandes entreprises que le « business as usual » n’était pas loin. Quelques heures avant d’écrire cet article, j’ai eu au téléphone une amie de l’Institut Pasteur, à Paris. Elle m’a dit : « Notre état actuel de confinement, de fermeture des frontières, d’arrêt de la vie quotidienne (à part pour les stricts besoins alimentaires ou médicaux) durera, au mieux, six semaines supplémentaires… et encore, c’est l’estimation optimiste. » Les dégâts économiques vont être colossaux. Et avec la dévastation fiscale viendra la dévastation personnelle. Aux Etats-Unis – où il ne reste presque plus rien du filet de protection sociale après des décennies de coupes, et où l’Obamacare est un système de santé national largement inadéquat (bien qu’essentiel) –, le cauchemar qui attend des millions de personnes sera terrible.
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Depuis les « reaganomics » [la politique économique libérale du président Reagan] des années 1980, la classe moyenne américaine, autrefois prospère et stable, a été détruite. Mon île natale de Manhattan était jadis habitée par des familles des classes populaires (je suis bien placé pour le savoir, ayant grandi dans une famille de quatre dans un appartement de 60 m2). A présent, Manhattan n’est accessible qu’aux nantis. Pour être un jeune artiste dans n’importe quelle grande ville américaine aujourd’hui, il faut soit être rentier, soit avoir deux ou trois jobs à la fois. Et dans les Etats-Unis profonds, la lutte pour la survie économique est rude dans le contexte de la monoculture hypermercantile. Le capitalisme américain s’effondrera-t-il comme un château de cartes quand le Covid-19 sera dompté ? Mes amis de la gauche américaine voient un espoir dans le carnage imminent ; l’espoir qu’il puisse provoquer un revirement de pensée radical, un New Deal, afin de sortir le pays d’une immense dépression. Bien entendu, j’adorerais moi aussi assister à une telle volte-face nationale. Tout comme j’ai regardé avec consternation la majorité républicaine au Sénat essayer de tordre le plan de sauvetage des grandes multinationales aux dépens des travailleurs américains qui sont désormais en chute libre économique.
Je ne vais pas jouer les savants politiques et affirmer que le seul effet collatéral positif du Covid-19 sera la mort de la présidence Trump. Surtout qu’il est le Raspoutine des politiciens modernes. Vous vous souvenez comment ce charlatan mystique russe, atteint d’une balle par les ennemis qui voulaient mettre un terme à son infamie, réussit à se relever et à leur bondir dessus ? Trump possède la même résilience toxique. Etant donné qu’il y a maintenant deux Amérique – qui se détestent sincèrement –, il ne serait pas étonnant que la base de Trump continue à le soutenir… même si cela suppose de voter contre ses propres intérêts.
La guerre culturelle n’est jamais très loin
J’écris ces mots à quelques mètres d’un littoral somptueux dans un Etat gouverné par une femme progressiste formidable (Janet Mills), où le mariage gay comme le cannabis sont légalisés, où l’on trouve autant de bière artisanale qu’on veut, des merveilleux festivals de musique classique, des cinémas d’Art & Essai, des universités prestigieuses et des restaurants bio. Le Maine, tout au long de sa majestueuse côte atlantique, incarne tout ce que nous, Américains éduqués de gauche, chérissons. De la même façon qu’il existe une partie de l’Etat rurale, conservatrice, économiquement rudoyée, qui vote Trump et considère les habitants de la côte comme l’incarnation de l’élitisme snob. La guerre culturelle n’est jamais très loin de votre porte dans l’Amérique contemporaine. Ni, désormais, la perspective de terribles difficultés. Juste avant de quitter New York, je suis allé écouter un ami pianiste dans un petit club de jazz. Divorcé, père de deux enfants, il vivote de concert en concert en complétant ses revenus par des cours de musique.
« Nous sommes à quelques jours d’un confinement général, m’a-t-il dit autour d’un verre entre deux sets. Quand ce sera le cas, les clubs de jazz seront fermés, mes élèves ne pourront plus venir chez moi… et l’argent se tarira. En étant pianiste à New York, je n’ai aucunes économies. Comment je vais faire ? »
Je n’ai pas su quoi répondre à sa question désespérée. J’ai pourtant entendu une bonne douzaine de mes amis artistes se la poser au cours des deux dernières semaines à New York et ailleurs. Même s’ils reçoivent une aide financière symbolique du gouvernement fédéral, ils savent que lorsque l’Amérique reprendra le travail, ils seront endettés jusqu’au cou. Et une fois que le moratoire sur les expulsions sera passé, ils risquent de se retrouver à la rue. Grâce aux partisans de l’économie de l’offre et aux adorateurs de Milton Friedman, qui ont dicté la politique fiscale américaine depuis quarante ans, nous vivons désormais dans une version high-tech du capitalisme du XIXe siècle… alimentée par un puissant sous-texte de darwinisme social. Dans quelque temps, quand nous serons tous poussière, je ne serais pas surpris que les historiens du futur écrivent : « Lorsqu’une menace virale invisible déferla sur le pays au début de l’année 2020, elle montra avec une clarté impitoyable à quel point le rêve américain autrefois tant vanté était devenu moribond. »
Traduit de l’anglais par Julie Sibony
Douglas Kennedy est écrivain. Ce New-Yorkais d’origine (né en 1955, il a grandi dans l’Upper West Side) a commencé à écrire pour le théâtre, avant de composer son premier livre – un récit de voyage – tout en menant une carrière de journaliste. Après Cul-de-sac (1994) – repris dans une nouvelle traduction sous le titre de Piège nuptial chez Belfond, éditeur de tous ses livres, en 2008 –, celui qui a pour maîtres Graham Greene et Somerset Maugham connaît son premier grand succès public et critique avec son deuxième roman, L’Homme qui voulait vivre sa vie (1998). Suivront Les Désarrois de Ned Allen (1999), qui boucle une trilogie de thrillers psychologiques, puis La Poursuite du bonheur (2001), qui l’installe définitivement, en Europe et tout particulièrement en France, comme un auteur de best-sellers. Après La Symphonie du hasard (2017-2018) – triptyque familial dans l’Amérique des années 1970-1980, son prochain roman, Isabelle, l’après-midi, devrait paraître courant mai-juin.