J’ai vu un homme pleurer

Nous sommes le 27 mai 2023 à Pénestin en France, 6° puissance mondiale… et j’ai vu un homme pleurer.

Comme souvent mes coups de pédale m’ont mené jusqu’à Loscolo. J’aime cette plage, c’est une des rares plages qui me soit accessible. Je descends la cale jusqu’au sable et je peux marcher tranquillement sur le sable que la mer, en se retirant, a laissé plus ferme. Elle est pleine de merveilles et de trésors, dentales, grains de café, pétoncles, turritelles, parfois de carapaces d’araignées. Une fois j’ai même trouvé une énorme capsule de pocheteau intacte, en somme plein de trésors. Sur l’estran que la mer a laissé humide des galets brillants, irisés comme des Gallé qui viennent remplir mes poches. La plage a aussi ses habitués : la petite dame qui, en toute saison vient marcher dans l’eau, le monsieur qui promène ses chiens, le couple qui marche main dans la main, le jogger, … Nous nous connaissons tous, enfin nous ne nous connaissons pas plus que ça, nous échangeons sur l’air du temps, des banalités qui font la vie et du plaisir de pouvoir profiter de ce bonheur d’être simplement là.

Mais depuis quelque temps, à cause du vent qui souffle, le sable s’est accumulé dans la descente de la cale et je ne peux pas descendre, mais bon ne suis pas le seul. Les parents avec des poussettes, les nounous qui viennent garder les enfants sur la plage, une poussette à deux places ce n’est pas facile à manœuvrer dans 40 cm de sable sec, les vieux à la démarche incertaine s’appuyant sur leur canne…

Je suis assis sur mon vélo, au sommet de la cale sur le parking à regarder la mer et imaginer les trésors que je ne pourrais ramasser, une mouette salue en passant, se laissant porter par le vent…

Sur le parking, quatre larges places sont réservées pour les handicapés. La première est occupée par un couple âgé habitué. Sur la deuxième, un cabriolet vient se garer, un couple de quinquagénaires en descend. Ils sont en tenue de jogging flambant neuve et partent aussitôt en petite foulée courir sur la plage…

Les deux autres sont libres, enfin presque puisque sur la dernière un camping-car a largement empiété et les occupants ont installé une table sur laquelle ils prennent tranquillement leur petit déjeuner.

Arrive alors une petite camionnette qui se gare sur la place disponible sous l’œil réprobateur des camping-caristes attablés. Lui, on voit nettement qu’il essaie de se tortiller pour voir si l’intrus a bien le macaron pour utiliser cette place. Un monsieur en sort, l’air presque gêné d’avoir troublé le petit déjeuner. Il ouvre le hayon de sa camionnette et en sort un fauteuil roulant qu’il déplie. Le camping-cariste cesse de se tortiller accordant au nouvel arrivant la légitimité de son stationnement.

L’homme va vers la porte arrière de la voiture, l’ouvre… il s’est garé un peu près de l’autre véhicule pour ne pas déranger les gens attablés et il ne peut ouvrir sa porte en grand. Avec difficulté il se penche vers l’intérieur du véhicule, on voit deux bras qui viennent enserrer son cou, il se redresse un petit peu, ce n’est pas facile de sortir quelqu’un de la voiture…les parents vous le diront et encore eux ce sont des bébés avec des sièges adaptés…là c’est un jeune garçon d’une douzaine d’années, il s’accroche à son père, il s’extirpe, il pivote et vient se poser dans le fauteuil. L’enfant sourit, il est content il va voir la mer, il va pouvoir humer le sable… bon marcher non ça il ne pourra pas… mais s’approcher, peut-être même le toucher.

Son père ferme la voiture, fait de nouveau pivoter le fauteuil et se dirige vers moi au sommet de la cale. Quand il arrive, il constate l’ensablement, il hésite, ne sait que faire. Nous échangeons un regard furtif, il a un sourire comme un rictus…je le vois poser la main sur l’épaule de son fils, il se penche et lui dit « là ça ne va pas être possible, le vent a soufflé trop fort cette nuit… il y a trop de sable ». Le garçon semble un peu contrarié mais, devant les éléments déchaînés, que peut-on ?

En fait ce n’est pas cette nuit qu’a soufflé le vent, ensablant la cale, cela fait plusieurs semaines. A Pâques, usant de quelques subterfuges, j’avais demandé que le sable soit enlevé et un coup de balai avait été donné pour un peu faciliter l’accès. Là non, les longs week-ends du mois de mai se sont succédé et rien n’a été fait.

Nos regards se croisent de nouveau et je vois au coin de son œil, comme une perle, une petite goutte couler et rouler sur sa joue, gêné, le père a tourné la tête, il s’est senti coupable alors qu’il ne l’était pas. Dans un geste tendre, il a ébouriffé son fils et, la gorge serrée, lui a dit : « Viens, on va aller un peu plus loin, il y a un endroit super chouette ». Il fait ce qu’il peut mais il est seul.

Il s’est retourné vers moi, comme pour chercher une approbation, puis faisant pivoter le fauteuil, il est parti sur la gauche vers le sentier côtier.

Au début du sentier il y a deux bancs, il s’est dirigé vers le premier en faisant rouler le fauteuil sur la route car le sentier n’est pas praticable avec un fauteuil. Péniblement il est arrivé au premier banc, celui qui a le dossier dégradé depuis plusieurs semaines, il s’est assis, ce n’est pas très confortable, l’autre aurait été préférable mais il ne peut pas l’atteindre avec le fauteuil de son fils.

Je l’imaginais disant à son fils combien il avait de la chance de pouvoir profiter du paysage…pour la mer, le sable, les coquillages ce serait pour plus tard…peut-être.

Je suis reparti et, en passant près d’eux, mes yeux se sont embués, comme pour avouer ma lâcheté et mon impuissance…

Nous sommes le 27 mai 2023 à Pénestin en France, 6° puissance mondiale…et j’ai vu un homme pleurer.

6 commentaires sur “J’ai vu un homme pleurer”

  1. Je ne voudrais pas polémiquer, – les sujets locaux étant déjà assez nombreux ces temps-ci – mais n’est-ce pas dans les attributions d’une municipalité d’assurer l’entretien et (par voie de conséquence) la sécurité des ouvrages et lieux publics relevant de son “patrimoine mobilier” ? Et plus encore si l’ouvrage en question permet de donner accès à un lieu à partager par tous. C’est une question de bon sens que devraient avoir les élus en passant régulièrement sur ces lieux “stratégiques” (ou en y faisant passer le personnel technique) pour, si besoin, y faire le nécessaire. Faire cette démarche “ne coûte pourtant pas cher” !! mais l’évidence même ne serait-elle plus de mise non plus à Pénestin ?? Pour le reste (le texte) : un beau récit très bien écrit et même… émouvant.

    1. Vous avez une belle façon de donner votre avis sur une situation. Pas d’agressivité juste de l’humanité. Avez vous transmis ce mot à la municipalité ?

  2. Pourquoi n’y a t’il pas un balai près de cette cale, ce qui permettrait à toutes les bonnes volontés de balayer. Ce pourrait être pareil sur les escaliers de la plage de la Source, qui glissent à force de déborder de sable. Et de bien d’autres ailleurs.
    Pourquoi pas de balais ?
    Parce que nous vivons dans un monde ou le premier con venu piquerait le balai ?
    Parce que nous vivons dans un monde ou chacun se dit: c’est pas à moi de le faire, on doit le faire pour moi, et moi, électeur (ou abstentionniste), j’ai le droit primordial de râler parce que ce que je voudrais voir fait n’est pas fait.

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