La caissière et le trader, petit conte contemporain

par Pierre Blaize

  • Bonjour Monsieur, il me semble vous connaître, je vous ai déjà vu avec votre femme que je connais depuis les dernières vacances ; vous êtes bien Monsieur Leuro ?
  • Oui, aujourd’hui, c’est moi qui fais les courses, ma femme est épuisée. Vous vous rendez compte, notre bonne n’est pas  avec nous, elle est restée à Paris pour aider son grand-père a-t-elle dit. Moi, je pense qu’elle voulait surtout prendre quelques vacances. En plus, notre jeune fille au pair qui s’occupait des enfants est repartie vers son pays. Alors ma femme s’occupe  de la maison et des enfants. Pensez donc, ils ont 6 et 8 ans et leurs enseignants leur donnent plein de devoirs. Il faut toujours être sur leur dos. C’est l’enfer.
  • Mais vous êtes en vacances ?
  • Non, je suis un réfugié Covid 19. Nous avons pu quitter Paris avant que tout soit bouclé. Vous nous imaginez à 4 plus la bonne et la jeune fille au pair, confinés dans 200 m² ? C’était invivable, surtout que je télé travaillais.
  • Ben, chez moi on est 5 et l’appart doit faire 70 m² sans balcon. Maintenant, à cause de l’état d’urgence sanitaire, mon patron m’a demandé de travailler  60 heures par semaine pour remplacer des collègues malades ou qui doivent garder leurs enfants. C’est mon mari qui s’occupe de tout, il est au chômage partiel et on ne sait quand il sera payé. Pour lui aussi c’est dur. Mais il faut bien que tout le monde fasse sa part, d’autres sont plus à plaindre que nous.
  • Oui, vous avez raison. Il faut dire qu’ici je suis à l’aise, je télé travaille quand je veux, vu que je corresponds avec le monde entier ; ensuite, je vais piquer une tête dans la piscine ou je fais une partie de tennis avec un ami comme moi réfugié Covid 19.
  • Vous avez une piscine et un tennis ? Vous devez avoir un bon salaire !
  • Oui, je ne me plains pas, mais je côtoie des gens qui gagnent beaucoup plus que moi.
  • Au fait, c’est quoi votre métier ?
  • Je suis trader.
  • Trader ? J’en ai entendu parler lors de l’affaire Kerviel mais je ne vois pas en quoi ça consiste réellement.
  • C’est très simple, j’achète et je vends des actions ou des devises pour le compte de personnes, de sociétés ou de fonds de pension qui ont beaucoup d’argent. Je les achète quand c’est pas cher et je les revends quand elles sont chères.
  • Vous êtes comme moi dans le commerce alors.
  • Si vous voulez, mais moi, je prends une part de l’argent que je fais gagner, alors que vous, votre salaire ne dépend pas de la quantité de marchandises que vous vendez.
  • Mais, ça sert à quoi ce que vous faites ?
  • Je vous l’ai dit, je fais gagner de l’argent à ceux qui en ont déjà beaucoup. C’est sympa quand même, vous ne trouvez pas ?
  • Ouais mais tous ceux qui travaillent et qui produisent des choses dont on a besoin sont plus utiles. S’ils n’étaient pas là, votre caddie ne serait pas plein. Vous, vous êtes plutôt inutile.
  • Vous m’énervez avec vos réflexions. Je vais vous dire une chose, vous aussi vous êtes inutile. Je vous en donne la preuve.
  • Un ami qui s’occupe des fusions acquisitions d’entreprises m’a dit que votre patron veut vendre la sienne. Le repreneur est d’accord sur le prix et il va moderniser le magasin et mettre partout des caisses automatiques. Vous voyez bien que vous êtes inutile. Il ne vous reste plus qu’à chercher du travail ailleurs, bon courage.Je vais être remplacée par un robot alors ?
  • Mais vous, vous n’êtes déjà plus tout à fait un humain, vous ne parlez qu’à des ordinateurs, toute la journée, vous dialoguez avec des chiffres, vous ne parlez qu’à votre clavier. Un jour, un robot fera mieux ça que vous. Moi, je vois des gens qui me parlent, qui me sourient ou même qui m’engueulent mais ce sont des êtres humains comme moi.
  • N’oubliez pas votre ticket, gardez-le précieusement pour vous souvenir plus tard de notre conversation les jours où vous aurez le temps de vous demander à si votre vie a eu du sens.

1 commentaire sur “La caissière et le trader, petit conte contemporain”

  1. La question ne se pose pas, le plus destructeur
    n’est pas le virus qui s’amuse de notre malheur,
    mais chez ceux qui cherchent à le tuer…
    Cherchez mH5N1, Homo Sapiens l’a inventé…
    Quand il va réussir à s’enfuir,
    Notre Covid-19 va en rougir!

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