L’appel aux dons du diocèse pour l’achat du presbytère : donner pour se « racheter »

Je n’ai pas reçu le bulletin municipal, comme souvent. Inutile de réclamer, je l’ai déjà fait et cela ne change rien. Pas reçu non plus le dépliant du diocèse qui appelle aux dons pour l’« Acquisition et rénovation du presbytère de Pénestin » (voir ci-dessous). Dans notre village fait de hameaux souvent excentrés, je dois être en dehors de la route des distributeurs de prospectus, et finalement, je ne perds pas grand-chose. Le diocèse non plus : je n’aurais pas donné. Je n’ai, en effet, rien à me faire pardonner.

Pourquoi cela ? Eh bien, parce que quand j’ai fini par le lire, j’ai été pris d’une vraie colère, de ces colères qui montent et vous font devenir tout vert comme Hulk, vous savez ! Pourtant j’aime bien les cathos, j’aime bien discuter avec eux et j’aime bien me souvenir de l’époque où j’étais enfant de choeur. C’était avant de lire une certaine phrase de Bakounine, l’anarchiste rival de Marx au 19e siècle : « Si Dieu existe, l’homme n’est pas libre. Or, l’homme peut et doit être libre. Donc, Dieu n’existe pas ». j’avais 16 ans et pfouitt ! ma foi déjà chancelante s’est effondrée sous les coups de boutoir de la raison : si… or… donc…, tombée dans le ruisseau ! 

« la vertu de révolte et d’indignation qui lui a appartenu, il y a bien longtemps »

Je lisais aussi Camus, athée et partisan d’un dialogue sincère avec les Chrétiens pour lutter ensemble contre le mal, contre l’injustice et, pendant la Seconde guerre mondiale, contre les « forces de l’horreur ». Mais pour cela, il eût fallu que le croyant ne renonce pas à son exigence, qu’il « ne se laisse pas arracher la vertu de révolte et d’indignation qui lui a appartenu, il y a bien longtemps ». Et voici que l’évêque du diocèse de Vannes, Monseigneur Centène, vient conforter le risque qui guette ceux qui n’ont pas besoin, comme les athées, de reconstruire une morale à la force du poignet : le risque de se laisser aller à la paresse, de se vautrer dans le confort et dans la certitude de son bon droit.

Le bon droit… « Le scrupuleux respect du bon droit » lorsque le diocèse achète le presbytère à la mairie de Pénestin. Un achat réalisé « en bon entendement avec la municipalité vendeuse ». Que c’est mal écrit, tout cela, face aux mots ciselés de Camus ! Et que de vilains comportements, de « mocheté » cela traduit ! Chez un Communiste, on appellerait cela de l’idéologie. Chez un évêque, c’est de la fatuité. La bonne conscience suinte, les bons sentiments dégoulinent. Nous faisons le bien, dit l’un, nous allons dans le sens de l’histoire, dit l’autre. L’avenir est radieux pour l’un, lumineux pour l’autre. Méfiez-vous de l’adjectif « bon » qui revient trois fois dans ce petit dépliant, toujours à contre sens : « Au service de la bonne vie de l’ensemble paroissial Pénestin-Camoël-Férel… ».

Lorsqu’elle lance un moderne « appel aux dons », avec des QR-Codes, dans une maquette faussement bicolore qui fait jurer le bleu canard avec un orange trop foncé pour être honnête, l’Église retrouve ses atavismes et ses habitudes de langage. La conclusion résume le forfait : « Merci pour votre soutien et votre générosité. Je vous assure de mon dévouement et de ma prière. » Il faut savoir lire : c’est une absolution. Chacun est dans son rôle. Vous, les chrétiens non-pratiquants, vous avez « bien vécu », comme dit mon médecin. Ne vous inquiétez pas. Une seule qualité suffira à vous « racheter » : soyez généreux et je prierai pour vous. 

ils feraient valoir leur « bon droit » à la vie éternelle

Il fut un temps où l’Église vendait des indulgences. Ceux qui avaient vécu comme des mécréants achetaient ces passeports pour raccourcir leur purgatoire, acquéraient ces gages qu’ils iraient malgré tout au paradis. Ils vivaient dans leur siècle, ils massacraient, ripaillaient, trahissaient, mais en « bons » chrétiens, assurés de se trouver du « bon » côté de la barrière, ils feraient valoir leur « bon droit » à la vie éternelle. Verser une obole, faire l’aumône, acheter des indulgences : c’était la seule condition. Le clergé les absolvait, Dieu leur pardonnait. L’argent des riches leur suffisait pour s’assurer une place au paradis d’une religion des pauvres. Le double langage, policé et modéré, rachetait les actes de ces Tartuffes. La religion avait renoncé à lutter contre le mal et l’injustice. Comme un commissaire politique dont la fidélité est récompensée par les largesses du Parti. Ce sont ces lâchetés qui m’ont fait perdre la foi à 16 ans, l’âge des illusions.

Aujourd’hui, la structure du discours ecclésiastique reste la même. Vautrez-vous dans le matérialisme. Profitez. Bâfrez. Nous veillons sur votre salut. Un curé de terrain comme le père Stéphane, un recteur, comme on dit ici en Bretagne, lui, il fait le job. Je l’ai vu un jour faire durer un baptême pendant presque une heure pour, m’a-t-il dit ensuite, marquer le coup, s’assurer que la famille, le parrain, la marraine, retiendront qu’ils ont une responsabilité face à l’enfant, tandis que leur table réservée au restaurant pouvait attendre. J’attendais moi aussi au fond de l’église, comme il revient à un journaliste : prendre le temps de s’imprégner d’un lieu, aller d’instinct vers ce qui lui est extérieur et étranger. J’ai souvent dit, quand on s’étonne de mes fréquentations, que s’il y avait à Pénestin un assassin de vieilles dames, j’irais le rencontrer. Le père Stéphane ferait peut-être de même. 

Mais que faire, que dire, lorsqu’un évêque absout ainsi les impénitents, lorsqu’il écrit que l’achat du presbytère a été réalisé « en bon entendement avec la municipalité vendeuse », en sachant que ladite municipalité brade ce bien commun presque 300 000 euros en-dessous de sa vraie valeur ? Il parle de « rénovation » alors que les Domaines, même dans leur évaluation litigieuse, ont constaté que le bâtiment était en parfait état et avait déjà été rénové, se faisant complice du maire qui s’est fendu aux frais de la commune, cerise sur le gâteau, d’un cadeau supplémentaire de 24 000 euros au prétexte de cette rénovation.

Le camp des puissants et des arrogants

Les personnes « proches du dossier », comme on dit, côté diocèse, vous le confirmeront. Demandez-leur si le diocèse n’aurait pas dû, de même que la mairie, faire un geste pour répondre à l’opposition massive qui s’est exprimée au sein de la population par une pétition de 830 signatures : non, non, nous n’avons aucune raison de modifier les conditions de la transaction telles qu’elles ont été établies. A ce prix, on pourrait presque les comprendre : on les comprendrait éventuellement s’ils étaient de simples commerçants. Mais beaucoup moins s’ils sont supposés défendre des intérêts supérieurs et montrer l’exemple. 

L’évêque fait de même : pas un mot à propos de ce rejet, il n’y a pas matière à débattre. Il fait valoir tour à tour, dans un discours à sens unique, les arguments symboliques et ceux d’une gestion avisée : « faire rayonner l’Amour de Dieu »« Vous pouvez déduire de votre impôt sur le revenu 66 % de votre don »… Et il termine en disant que les prêtres et les communautés paroissiales « servent le bien commun », utilisant le même terme que l’opposition municipale qui s’insurge que l’on brade ainsi le patrimoine de la collectivité. Est-ce un trait d’humour ? Se moque-t-il lui aussi du peuple, comme le maire qui demande dans le bulletin municipal où sont les 830 signatures et pourquoi on ne les lui a pas remises ? Ou encore comme le président de la République qui promulgue à 4 heures du matin, par goût de la provocation à ce qu’il semble, une loi contestée ? L’évêque a choisi son camp, celui des puissants et des arrogants… Il nous vexe, il nous humilie.

° ° ° ° 

Quelle que soit votre opinion, je vous invite à vous exprimer aussi en réponse à ce texte, avec franchise et dans le respect des personnes. Ayons le débat argumenté, sincère et nuancé, auquel le clergé se refuse. Pour ma part, je me suis souvent « engagé pour » dans ce blog, mais je crois que parfois il faut aussi savoir « s’engager contre ».

2 commentaires sur “L’appel aux dons du diocèse pour l’achat du presbytère : donner pour se « racheter »”

  1. Bon voilà, l’artillerie lourde est sortie et le diocèse use de tous ses moyens pour faire un appel aux dons !
    Nous, nous sommes plus limités, alors depuis quelques mois nous sommes au marché pour rencontrer les pénestinois(se), dialoguer, leur expliquer notre démarche et parfois notre vision de la commune.
    Nous avons commencé il y a maintenant 7 mois, d’abord pour récupérer des signatures pour une pétition qui, avec un score de 830, pourrait laisser loin derrière certains candidats aux élections.
    Cela a été ignoré et la seule voie était d’engager une action en justice mais pour cela il faut des sous !
    Nous avons donc repris nos « permanences » du dimanche matin au marché, bricolé un tract en noir et blanc que nous avons distribué nous-mêmes dans les boites. Pas de tract en 4 couleurs, pas de distribution par une entreprise spécialisée dans la pub comme l’a fait le diocèse.
    Aujourd’hui nous sommes presque parvenus à réunir la somme nécessaire mais bien loin des 360 000€ que demande le diocèse aux pénestinois. Il est vrai que nous n’avons pas de place au paradis ou de rachat de l’âme à proposer ni de déduction fiscale, simplement un peu de liberté et le plaisir de vivre dans une commune où chacun a sa place loin des petits arrangements entre amis.
    Alors venez nous voir dimanche au marché pour soutenir notre action.
    Jm pour Association Sauvegarde du Patrimoine de Pénestin
    Contact : sauvegardepatrimoine56@gmail.com

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