Je m’étais réjouis de cette réunion. La fibre à Pénestin, c’est un sujet réellement important. Un progrès attendu qui permettra le développement du télétravail, essentiel pour retenir des actifs sur la commune, qui facilitera les communications, qui contribuera à désenclaver notre village, qui n’est déjà plus depuis longtemps le bout du bout de l’estuaire qu’il fut dans le passé, cerné par les marais, mais qui souffre encore d’un certain isolement dans des domaines comme le commerce, les transports publics ou la culture.
Et puis, très vite, je me suis ennuyé sans très bien savoir pourquoi. On a dû me voir bailler. Peut-être ce style d’animation de réunion un peu trop rôdé, avec ses questions collectées au début, ses « jokes », ses enchaînements gérés de façon très (trop ?) pro. Pourtant, la salle était pleine, et les présents semblaient avoir des quantités de questions à poser. Ils avaient même l’air de plutôt s’y connaître en prises RJ 45 et branchements de box. Un public averti, là où personnellement je rame plus souvent qu’à mon tour.
« Voilà un mot qui devrait nous rendre optimistes »
Je relis mes quelques notes pour essayer de comprendre ce qui a pu causer ce décalage avec mes congénères. Je lis aussi les 2 pages proposées sur internet et intitulées « Le déploiement de la Fibre SFR à Pénestin ». SFR est en charge de la poursuite du « déploiement » (voilà un mot qui devrait nous rendre optimistes) dans les Zones moyennement Denses (= AMII, allez comprendre !) Un NRO (Nœud de raccordement optique) est installé à Camoël, auquel sont raccordés des PM (points de mutualisation). Déjà 2600 foyers pénestinois sont éligibles pour profiter d’un débit 40 fois supérieur à celui de l’ADSL. 1000 foyers supplémentaires seront raccordés d’ici fin 2022.

Vers la fin de la deuxième page, les choses prennent tout leur sens : « Avec près de 7 écrans connectés par foyer (du Smartphone à la télévision connectée en passant par les PC et tablettes) (…), la demande de débits explose. La fibre, grâce aux débits de plus en plus performants qu’elle propose, constitue la meilleure technologie pour répondre à cette demande. (…) expérience exceptionnelle (…) technologie ultra moderne. »
Et puis le coup de massue final : « Avec la fibre, vous pouvez : « télécharger un film (700 Mo en 7 secondes (…), jouer en réseau et prendre vos adversaires de vitesse ( !), (…), transformer votre TV en écran de cinéma. »
C’était donc cela ! Certains d’entre nous ont 7 écrans chez eux. Sans le dire, c’est donc cette fameuse « société des écrans » que l’on nous propose de « déployer ». Avec une insistance sur le cinéma, un si bel art devenu un piège qui nous cloue sur nos canapés.
Une triste uniformisation de nos modes de vie
Je vous avoue volontiers que j’emporte en voyage ma liseuse kindle qui peut contenir des centaines de livres, et que je prends des photos et des vidéos avec mon portable.
En fait, nous sommes tous différents, chacun a ses habitudes : séries, films, jeux en ligne, lecture, bateau, marche, jardinage, musique, vie associative…

Mais quand on aperçoit en plein après-midi les larges écrans plats allumés à l’intérieur des maisons, on se dit que les « commerçants » de SFR, Orange, Bouygues et Free ont déjà bien avancé leurs pions et que la diversité que j’évoquais est en train de céder la place une triste uniformisation de nos modes de vie. Nous n’avons pas mérité cela, nous qui avons la chance de vivre dans une commune d’une telle richesse naturelle et qui a tant à proposer également en termes de vie sociale et associative.
Quand on voit que les chiffres dépassent le nombre d’habitants, on se dit d’ailleurs que l’enjeu est en partie de permettre aux estivants de retrouver dans leurs résidences secondaires les mêmes facilités qu’à Paris, Nantes ou Angers. Il faudrait parler aussi de ceux qui sont du mauvais côté de la « fracture numérique », qui peinent à se connecter à internet (et qui d’ailleurs me disent souvent qu’ils ne lisent pas ce blog). Pourquoi SFR ne subventionnerait-elle pas les associations qui organisent des ateliers d’informatique ?
Il y a tant à dire sur le sujet ! On a l’impression, quand on nous parle de « déploiement », de « demande qui explose », de « technologie ultra moderne », qu’on nous ramène finalement à ce modèle stéréotypé que Marcuse décrivait déjà en 1964 dans « L’homme unidimensionnel » : « Ce qui prévaut dans la civilisation industrielle avancée, c’est une absence de liberté douce, confortable, raisonnable et démocratique, causée par le progrès technique lui-même. »
« Vous pouvez comprendre ça, ou pas ?! »
Vers la fin, les langues se délient. On parle retards, difficultés de raccordement, lenteurs pour obtenir un rendez-vous. Chacun y va de son anecdote, c’est peut-être l’aventure moderne que de parvenir à se connecter. Une dame dit que son voisin a attendu 6 mois pour obtenir son branchement. Et là, soudain, tout dérape. L’animateur s’est senti visé, il perd son sang-froid. Il répète qu’en cas de problèmes, on peut le contacter directement à son adresse mail. Il répond dans un délai de 2 à 3 semaines. Certains s’étonnent. Il leur répond : « Mais je vous rends service ! On peut quand même travailler moins de 24 h par jour. Vous pouvez comprendre ça, ou pas ?! » La dame répond. Il lui dit : « Sinon, je ne vous laisse pas mon adresse mail et les gens se débrouillent ! » Et il répète encore deux fois cette phrase odieuse : « Vous pouvez comprendre ça, ou pas ?! » Il conclut en disant : « Si votre voisin attend depuis 6 mois, il peut bien attendre 15 jours de plus », tandis que certaines personnes dans le public se récrient.
Ce doit être le stress des cadres. Ou un manque d’empathie. Beaucoup de choses qui s’emmêlent. De la souffrance certainement. Tout le monde souffre, ceux qui vendent, ceux qui achètent. Je ne suis pas là pour critiquer : je voulais juste tenir un discours qui relativise un tant soit peu l’optimisme ambiant, et pointer ce moment où l’on comprend tout d’un coup que les « technologies ultra modernes » ne sont pas la panacée de nos maux.

La technologie fibre ne se limite pas aux écrans. Elle pourra apporter d’autres services comme la télé-médecine, faciliter le télétravail, etc.