L’enquête publique sur le Parc conchylicole de Loscolo : une méthode qui laisse pensif

Il ne sera pas question ici des arguments pour ou contre l’implantation du parc conchylicole de Loscolo, mais uniquement de la méthode utilisée dans la dernière enquête publique, en relation avec les textes de loi qui l’encadrent. Je m’exprime ici comme citoyen résidant à Pénestin et non comme journaliste. Je rappelle que tout habitant de la commune peut proposer librement son propre bilan que je publierai sur ce blog sous forme de commentaire, de texte ou d’interview.

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L’enquête publique menée par M. Zeller du 14 février au 18 mars 2019 portait sur deux points nécessaires à la réalisation du parc de Loscolo :

  • l’autorisation environnementale pour le défrichement de la future zone d’activités
  • l’utilisation du domaine public maritime pour y implanter une station de rejet et une station de pompage d’eau de mer.

Dans ses conclusions publiées le 23 avril, M. Zeller a émis un avis favorable assorti de réserves et de recommandations (cf. mon article du 23 avril). En dernier ressort, c’est le préfet qui tranche en suivant ou non les conclusions du commissaire enquêteur.

Les enquêtes publiques sont régies notamment par la loi « Bouchardeau » du 12 juillet 1983, « relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement ». Ministre de l’Environnement sous le premier septennat de François Mitterrand, Huguette Bouchardeau avait souhaité que les décisions publiques ayant un impact sur l’environnement fassent l’objet d’une procédure garantissant l’information et la consultation des citoyens. De ces derniers, on attend qu’au-delà des « opinions », ils participent concrètement aux décisions à travers des « appréciations, suggestions et contre-propositions, en mobilisant ce qu’on appelle désormais leur « expertise d‘usage », voire leur « intelligence collective » ». Le rapport du commissaire enquêteur doit, selon l’article 4 de la loi, « faire état des contre-propositions qui auront été produites durant l’enquête ainsi que des réponses éventuelles du maître d’ouvrage ».

Cet approfondissement de la démocratie visé par Huguette Bouchardeau fait écho à l’actualité récente, tout autant que les thèmes liés à l’environnement, au littoral et à la biodiversité.

C’est sur la base de ces éléments que je vais commenter quelques aspects de l’enquête publique sur le Parc Loscolo.

1 – Enquête « ambiguë », citoyens « hors sujet »

M. Zeller évoque, p. 11 de son rapport, une « véritable ambiguïté » qui toucherait « la question du choix géographique du projet ». Pour ma part, je l’avais interrogé sur ce point dès notre première rencontre à sa permanence du 14 février : quel était le périmètre de son enquête ? Quelles questions étaient pertinentes et lesquelles risquaient de se trouver « hors sujet » ? Et qu’en était-il, notamment, de l’importante question des alternatives géographiques face à la localisation du parc à Loscolo ?

M. Zeller m’avait répondu que la question avait été tranchée par la première enquête d’août-octobre 2018 et avait feuilleté devant moi la déclaration d’utilité publique (DUP) faisant suite à cette première enquête. « On a choisi la voiture », m’a-t-il dit, « maintenant, il s’agit seulement de peaufiner les détails, la couleur, les options. »

Mme Souchet-Le Crom, la commissaire enquêtrice chargée de cette première enquête, m’avait expliqué pour sa part que la question des alternatives n’était pas centrale dans son enquête : elle serait abordée lors des enquêtes suivantes (à l’époque, on en prévoyait deux autres). La sienne avait pour objet de dire si le projet Loscolo était un bon projet ou non, indépendamment de la comparaison avec d’autres options possibles.

Les deux enquêtes se renvoient la balle : chacune considère que c’est à l’autre de traiter la question des alternatives. Cette question a été soulevée par plusieurs participants à la réunion publique, ainsi que dans les contributions écrites. Elle occupe également une place centrale dans la pétition que M. Zeller a fait le choix de considérer comme « hors-sujet », malgré l’ambiguïté dont il fait état.

Cette ambiguïté, il l’attribue à des raisons d’organisation : « le fait d’avoir procédé à deux enquêtes successives ». Cependant, il n’a pas souhaité s’exprimer afin de la lever, comme je le lui demandais dans ce blog.

Dès lors, on ne peut qu’être surpris par la vivacité avec laquelle il reporte la faute sur ceux qui n’ont pas compris la question. La pétition est jugée « hors sujet » (p. 12) après quelques paragraphes d’une argumentation péremptoire, quoique creuse (« J’ai voulu répondre par avance aux personnes qui se sont exprimées (sic) quant à l’opportunité du projet et son emplacement, en demandant que l’arrêté préfectoral soit joint au dossier » – C’est pourtant la moindre des choses que le public ait accès à cet arrêté !)

On me dit que ce procédé est fréquent dans les enquêtes publiques afin de se débarrasser à bon compte de certains sujets. Si c’est le cas, cela rejoint très précisément ce que Mme Bouchardeau regrettait dès 1993, 10 ans après sa loi, en disant que son sens était souvent détourné bien que la lettre fût respectée.

A l’heure où l’IPBES (Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) publie un rapport alarmiste et où le président Macron s’engage lui-même en annonçant une mobilisation générale face à l’effondrement de la biodiversité, il n’est plus temps de maintenir de tels faux-semblants.

Il n’est pas acceptable que deux enquêtes publiques se renvoient ainsi l’une à l’autre la « patate chaude » afin de ne pas avoir à traiter la question centrale des alternatives, qui est au principe même de leur définition. Une enquête publique qui exclut cette question n’en est pas une. Pas acceptable non plus que soit déclarée « hors sujet » une pétition qui réclame justement une étude sérieuse de ces alternatives.

2 – Recueillir les avis des citoyens ou les disqualifier ?

M. Zeller avait pour rôle de consulter les citoyens résidant à Pénestin. Au lieu de cela, il les a humiliés. La disqualification de la pétition se reproduit en effet pour toutes les contributions des citoyens ordinaires de la commune :

« Plusieurs résidents s’opposent au projet sans avancer d’arguments précis, alors que d’autres évoquent des points particuliers : la falaise fragile (C19, C25), les circulations (C18), les conflits d’usage sur la plage (L1, C12, C13, C16, C25, les eaux pluviales (C16) », p.11. « Plusieurs observations font état d’une opposition de principe sans arguments spécifiques : C1, C3 & C5 : « Pénestin est un havre de paix, laissez-le ainsi », C24 : « Nous venons en vacances pour trouver un environnement sain et non pollué… » », p.14.

Pour le commissaire, les citoyens ne sont ni légitimes, ni rationnels. Il préfère réserver ses réponses aux professionnels, aux autorités et aux experts : il les prend en considération parce que, dit-il, leurs contributions « sont abondamment argumentées » (p.11). Les simples citoyens n’ont pas voix au chapitre, leurs propos sont caricaturés. Cela lui permet de conclure son rapport à l’exact opposé de leurs interventions, très majoritairement critiques vis-à-vis du projet, mais aussi à l’exact opposé de l’esprit de la loi défendue en 1983 par Mme Bouchardeau et des autres textes qui sont venus la compléter par la suite.

Par ailleurs, pour en revenir à la pétition réclamant « une étude sérieuse des alternatives au projet Loscolo », il ne décompte que 26 signatures en indiquant de façon lapidaire : « il s’agit là des seules informations connues du commissaire enquêteur. »

M. Zeller était en droit de ne pas comptabiliser les 218 signatures recueillies sur le site Avaaz dont Mme Dupé, lorsqu’elle lui a remis la pétition, n’était pas parvenue à obtenir la liste. Mais à quoi bon cette provocation supplémentaire, à quoi bon une telle opacité ? Les signataires se voient doublement disqualifiés : leur raisonnement avait été ridiculisé ; désormais, c’est leur signature, leur engagement même, qui est ignoré. Il aurait été plus respectueux à l’égard de ces citoyens de relater en quelques mots le contexte que je viens de rappeler.

3 – la biodiversité et l’artificialisation des sols

La pétition mentionnée ci-dessus abordait par ailleurs la question importante du non respect par le projet Loscolo des principes édictés en 2010 dans la loi sur le Grenelle II de l’environnement, et repris dans les directives du ministère de la Transition écologique, dont notamment la directive « Eviter, réduire, compenser ». Cette dernière invite à « limiter la consommation de surfaces agricoles, forestières et naturelles » et à « privilégier les espaces déjà artificialisés dans le choix d’implantation d’un projet ».

Le projet Loscolo va à l’inverse de cette directive puisqu’il consomme 8,5 hectares de terres naturelles. Certaines alternatives auraient permis d’utiliser des espaces déjà artificialisés et de se mettre en conformité avec la doctrine en vigueur depuis le Grenelle II. Cet argument n’a pas été pris en compte puisque la pétition a été ignorée.

Il y a une semaine, lundi 6 mai, a été publié le rapport sur la biodiversité de l’IPBES (Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), selon lequel « la dégradation des écosystèmes par les activités humaines pousse la planète vers une sixième extinction massive des espèces ». Le président de la République lui-même s’est exprimé le même jour pour annoncer une mobilisation nationale pour la préservation de la biodiversité et la tenue d’un conseil de défense écologique sur le même sujet. Il a évoqué l’artificialisation des sols, demandant qu’un bilan soit fait de façon précise afin de pouvoir fixer des objectifs à court terme, qui iraient dans le sens d’une « réduction de toute artificialisation nouvelle ». (cf. aussi le commentaire de Philippe Mirrassou à mon article “Mytiliculture : l’heure du bilan” du 3.5.)

Pénestin naviguera-t-elle à contre-courant du vaste mouvement qui s’esquisse ? Voulons-nous être montrés du doigt lorsqu’une loi, certes non rétroactive, encadrera plus sévèrement l’artificialisation des sols ? Je ne souhaite pas que notre commune apparaisse comme une verrue sur la carte du Morbihan. Pénestin n’a pas vocation à devenir le symbole d’un projet d’arrière-garde avant même sa mise en œuvre.

Il est dommage que la mairie de Pénestin et la communauté d’agglomération aient entraîné les mytiliculteurs dans ce projet que beaucoup dénoncent comme un gâchis, eux qui réclament à juste titre une modernisation de leurs entreprises et une amélioration de leurs conditions de travail. Il est urgent d’engager une nouvelle étape afin de mettre enfin les cartes sur la table et d’aboutir par une vraie concertation à des choix respectueux de tous.

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Conclusion : convoquer des Assises de l’avenir de la mytiliculture à Pénestin

Le rapport du commissaire enquêteur est entaché de multiples biais. Sur de nombreux points, il n’est pas conforme aux textes de loi qui encadrent les enquêtes publiques. Il est à sa façon le symbole des travers qui ont conduit à douter de leur efficacité.

Le préfet du Morbihan a le pouvoir de ne pas suivre les conclusions de ce rapport.

Il peut, en accord avec les services de l’Etat et plus particulièrement ceux du Ministère de la Transition écologique et solidaire, nommer un médiateur chargé de réunir tous les acteurs concernés dans des « Assises de l’avenir de la mytiliculture à Pénestin », dont le rôle serait de mettre enfin toutes les options sur la table et de promouvoir une solution concertée conforme à l’intérêt général.

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Ce texte a été transmis à M. Raymond Le Deun, préfet du Morbihan, à M. François de Rugy, ministre de la Transition écologique et solidaire et à Mme Huguette Bouchardeau, auteure de la loi de 1983.

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