J’ai été sévère, dans mon article du 30 septembre intitulé « Un comité de suivi qui ne pratique ni l’information ni la concertation », avec cet ingénieur chef de service à Cap Atlantique dont je disais qu’il prenait ses désirs pour des réalités et les vessies pour des lanternes. Il voulait prouver que le taux de remplissage de la première zone de Loscolo atteignait déjà 50% et essayait de faire croire au comité de suivi que 2 ha sur 4 ha étaient déjà réservés. En réalité, la partie constructible ne couvre pas 4 ha mais 4,5 ha, et les entreprises supposées s’y installer sont au nombre de trois qui ont besoin de 0,5 ha chacune, soient 1,5 ha. J’ai l’air de pinailler, mais avec ces chiffres, le remplissage n’est plus de 50%, mais de 33%, ce qui fait… une différence.
J’ai écrit ci-dessus : trois entreprises supposées s’installer à Loscolo. C’est la version officielle en effet. Mais rien n’est assuré, et Cap Atlantique le sait parfaitement. On pourrait bien descendre encore en dessous des 33%.
Y a-t-il d’autres entreprises, en sens inverse, pas encore comptabilisées, mais sur lesquelles on pourrait raisonnablement compter pour sauver la mise ? Il a beaucoup été question de Mussella, la future entreprise de valorisation des « sous-tailles », les moules trop petites pour passer par les circuits normaux. Las ! Son président, Axel Brière, considère maintenant que Loscolo est trop « risqué ». Au mieux un démarrage en 2022, selon lui, et encore… À supposer que Loscolo démarre un jour. Il est décidé à s’installer à Cancale, où les volumes à traiter seront de toutes façons beaucoup plus importants.
Quant aux autres entreprises non encore décomptées, susceptibles de se déclarer un jour alors qu’elles ne l’ont pas fait depuis 25 ans, il est possible qu’elles finissent par le faire, mais on ne peut bien sûr pas les décompter parmi les entreprises « sûres » d’y aller sous peine d’entretenir la confusion.
Comprendre son raisonnement qui est celui de tous les élus et techniciens de Cap Atlantique
Cet ingénieur a-t-il volontairement menti au comité de suivi ? Ce serait grave et ce serait un mauvais coup porté à la confiance dont se réclament les organisateurs et certains membres du comité. Avant de lui jeter la pierre, je voudrais essayer de comprendre son raisonnement, car c’est en réalité celui de tous les membres, élus ou techniciens, de Cap Atlantique en lien avec le projet Loscolo.
Ils reproduisent un mécanisme très simple et très courant : la « prophétie autoréalisatrice ». Quésaco ? C’est un mécanisme que l’on retrouve à la Bourse, par exemple : lorsqu’on anticipe une hausse ou une baisse des cours, on a de fortes chances de les provoquer. La croyance a modifié la réalité au point qu’elle est devenue la réalité.
Le sociologue Robert Merton définissait ce principe en 1947 : « C’est, au début, une définition fausse de la situation qui provoque un comportement qui fait que cette définition initialement fausse devient vraie. » Cette idée se retrouve dans le commerce, la politique, ou encore la diplomatie, tant il est vrai que se préparer à la guerre pour l’éviter a parfois pour conséquence de la susciter. Pensez aussi à un entraineur sportif qui, à force de répéter à ses joueurs qu’« on va gagner ! », parviendrait à susciter leur enthousiasme… et la victoire !
L’argent va à l’argent et le succès va au succès
Le chef de projet de Loscolo à Cap Atlantique ne fait pas autre chose lorsqu’il déclare devant le comité de suivi : « Ce qu’on se dit, c’est que de fait, progressivement, un certain nombre d’exploitants qui aujourd’hui ne s’imaginent pas aller sur Loscolo seront amenés à y aller. » De même que l’argent va à l’argent, le succès va au succès et vous entrerez plus volontiers dans un restaurant déjà plein que dans un restaurant vide.
Les promoteurs du projet Loscolo anticipent un état du projet où les mytiliculteurs reconnaitront le bien-fondé du projet et se bousculeront pour y avoir leur place. Et ils espèrent ainsi créer cette situation. Le même chef de projet indique aussi : « Ce qu’on fait, c’est à chaque fois un compromis entre ce qu’on anticipe pour dans 10 ans et une adaptation au fur et à mesure. C’est un ajustement permanent. »
Il est bien compréhensible, en fin de compte, que les promoteurs du projet Loscolo préfèrent donner les chiffres de la réalité à venir plutôt que ceux de la réalité actuelle. À leurs yeux, la réalité à venir est plus vraie que celle qui se trouve devant les nôtres. Et Merton, mort à 93 ans en 2003, a un charme fou lorsqu’il évoque « cette définition initialement fausse (qui) devient vraie » !
On pourrait appeler cela du « bluff ». Pour un joueur de poker, ce qui compte, ce n’est pas ce qu’il a dans son jeu, mais ce que les autres croient qu’il a. Mais le bluff représente un cran supplémentaire par rapport aux « prophéties autoréalisatrices » : celui qui bluffe a conscience de ce qu’il fait, il fait croire délibérément aux autres quelque chose qui est faux.
Ils n’y croient pas, ils n’en voient pas l’intérêt. C’est tout.
Les membres de Cap Atlantique, surtout les « technos », souffrent de voir que la réalité ne se conforme pas à leurs schémas tellement rationnels : depuis 25 ans, les mytiliculteurs de Pénestin ne sont qu’une minorité à adhérer à ce projet qu’on essaie de leur « vendre ». Ils n’y croient pas, ils n’en voient pas l’intérêt. C’est tout.
Que faire alors ? Leur déni de la réalité pousse les « technos » dans une « fuite en avant » toujours plus extrême, persuadés que l’avenir leur donnera raison, et s’efforçant de minimiser les conséquences de leur projet en termes de biodiversité, de cadre et de qualité de vie, de tourisme, de sécurité routière. Bien sûr, il n’est pas facile de renoncer à un projet sur lequel vous avez passé deux ans, pas facile d’expliquer à vos élus que vous aimeriez décrocher de ce projet qui vous scotche comme le ferait une addiction.
Qu’il s’agisse de bluffer ou, disons, de biseauter (puisqu’il a été question de poker !), on est vite pris au piège. Et c’est humain, tellement humain ! Mais vous ne m’enlèverez pas de l’esprit qu’un projet qui réclame de biseauter les cartes pour aller à son terme ne peut pas être un bon projet. Ni que la vérité, dire le vrai, est une valeur qui s’impose à tous.
Il ne faudrait pas que Pénestin se retrouve dans la situation de Saint Père en Retz avec son « Surf Park » ou de Brétignolles avec son projet de port de plaisance… Des projets qui opposent une partie de la population à une autre lorsqu’on ne sait plus à quelle vérité se fier.
Camus écrivait, dans « Le mythe de Sisyphe » : « On peut poser en principe que pour un homme qui ne triche pas, ce qu’il croit vrai doit régler son action. »
Ping : Manifestation à Herbignac demain samedi matin à 10 heures : contre la destruction de la Salle de l’Europe et de 4 ha d’espaces naturels pour créer… des commerces ! - penestin-infos
Les menteurs disent qu’« ils mettent leur raison au service de l’erreur ».
Remarquons, dans cette formule, les mots « mettre au service de », qui sont décisifs.
Notons aussi que le menteur est pleinement responsable du mauvais usage de sa raison.
Bonjour Paul,
Je te laisse bien sûr la responsabilité de tes propos. Pour ma part, je n’ai pas voulu traiter ces personnes de menteurs ou de menteuses, mais au contraire essayer de comprendre comment on peut être de bonne foi, a priori, et se laisser aller à déformer la réalité pour l’accorder à ses souhaits. Entre temps, j’ai reçu le compte rendu de Cap Atlantique et je découvre à quel point la construction d’un discours à leur avantage, voire promotionnel (eux parlent de pédagogie), est un art. On en reparlera.