Non, rassurez-vous, ce texte ne sera ni glauque, ni moralisateur. C’est d’oiseaux qu’il s’agit. Des oisillons tombés du nid, ou bien est-ce le nid qui est tombé avec eux. Un coup de vent peut-être. Ce ne sont pas des bébés-oiseaux, ils ont des plumes et sont tous les trois bien ronds. De petites mésanges, je suppose. Disons que ce sont des enfants-oiseaux.
Hier soir, ils criaient, collés les uns contre les autres. Ils devaient avoir froid. Pourtant, le soleil dardait l’un de ses derniers rayons juste sur eux. Mais il leur en aurait fallu plus pour retrouver la tiédeur du nid, maintenue uniforme par les plumes et les petites feuilles entrelacées des parois, et le corps chaud de la maman-oiseau.
Ils étaient sur le côté du sentier, à un ou deux centimètres du bord qui les aurait peut-être protégés un peu du froid avec ses touffes d’herbe et ses premières ronces. Au milieu du chemin, ils auraient déjà été piétinés. Ils sont tellement vulnérables, là, incapables de voler pour prendre la fuite, si survenait un chien ou un chat !
Ils pépient sans relâche. Dans leurs tout petits cerveaux d’oiseaux, ils perçoivent une immense absence, un trou béant : la maman-oiseau, la nourriture, la chaleur, la protection, cela forme un tout qu’ils ne savent pas dissocier. Ils ressentent également la présence des autres, les frères et soeurs, apeurés eux aussi. Se serrer comme ils le font, c’est un peu de chaleur, un peu de protection.
Les cris s’affaiblissent déjà. L’un des trois s’éloigne des autres. Il part en reconnaissance. C’est assez stupéfiant. Il disparaît longtemps, même. Comme on part avec un jerrycan chercher une station-service. Les deux autres sont prostrés. Ils ne pépient quasiment plus. L’un a caché son bec dans l’aile de l’autre.
Une famille passe sur le sentier. Ils ont vu les oiseaux quand ils sont passés en sens inverse. La maman était là. Voilà une information. Qu’a-t-elle voulu faire ? Les ramener un par un vers un lieu mieux protégé ? Les nourrir sur place ? Et pourquoi ne revient-elle pas ? Une hypothèse : quelqu’un a touché les enfants-oiseaux avec ses doigts. Peut-être a-t-il voulu bien faire en les déplaçant sur le côté du sentier. Un ami joint par téléphone me dit : il ne faut surtout pas les manipuler, il ne faut pas qu’ils portent sur eux une odeur humaine.
C’est peut-être pour cela que la maman ne revient pas. Je me suis tenu à l’écart pour qu’elle ne soit pas effrayée par moi si elle revenait vers ses petits. Mais peut-être ne les reconnaît-elle déjà plus. Le plus aventureux est enfin revenu. Ils sont tous les trois serrés les uns contre les autres. Seul le dernier pépie encore, d’abord vaillamment, puis il ralentit lui aussi. Il s’économise peut-être, sachant que ses forces vont diminuer, il doit choisir entre en conserver un peu pour rester en vie ou jouer son va-tout pour se faire repérer et obtenir de l’aide. C’est un raisonnement bien humain, direz-vous, mais l’enfant oiseau qui suit son instinct ne retombe-t-il pas sur les mêmes options ?
Le plus valeureux s’affaiblit. Il n’a plus le choix. Il se tait. Le soleil a cessé de les réchauffer. L’un d’eux tremble. Ils vont mourir, c’est clair. Il n’y aura pas de miracle. Leur mère les a abandonnés à leur sort. L’humain compatissant qui tourne autour d’eux depuis une heure ne peut rien faire. Défaut de compétence, certainement. Certains lecteurs seront peut-être en mesure de lui expliquer ce qu’il aurait pu faire.
Les oiseaux sont-ils tristes quand ils voient leur mort approcher? Leurs petits yeux noirs qui expriment la résignation, le renoncement, semblent tout savoir de ce qui les attend. On le voit quand on parvient à les arracher aux griffes d’un chat, déjà esquintés, les pattes cassées. A moins qu’ils se contentent de vivre avec intensité les sensations du présent : l’abandon, le froid, la soif, le réconfort qu’ils essaient de se procurer mutuellement.
La tristesse est naturelle. Elle en découle. De même qu’un oiseau rayonne parfois d’optimisme, manifeste une intense joie d’exister et s’époumone en chantant à tue-tête, il y a des soirs où le bruit sourd des vagues en contrebas, la pénombre qui envahit un lieu familier, certaines ondes de basses fréquences que perçoivent, je suppose, les oiseaux, évoquent la poisse : une ambiance genre Concarneau vu par Simenon.
Et ils ont peur ? De la solitude ? De la souffrance ? De ce bref instant où eux comme nous basculent de vie à trépas ?
Et nous, ce que nous éprouvons pour eux, est-ce comparable à ce que nous inspirent les humains ? De l’empathie ? De la compassion ? Il y avait un article dans Le Monde sur les religions orientales, je ne l’ai pas encore lu.
Ce matin, vers 6 h 30, je me décide à aller voir. Ils sont là tous les trois, encore groupés, morts. Morts de froid certainement dans la nuit. Est-ce douloureux pour une bête de mourir de froid ?
Aucun humain ne leur a marché ou roulé dessus. Aucun animal ne les a déchirés de ses dents. Ils semblent paisibles. Pour que cette paix se prolonge, je m’autorise à en jeter deux dans un coin d’herbes hautes. Et le troisième, je le dépose à un mètre de haut, dans une feuille. Je trouve que cela lui va bien.
» …ce qu’il aurait pu faire ».
Tout simplement les mettre à l’abri dans un carton et contacter un membre associatif du réseau de récupération et d’aide à la faune sauvage en difficulté.
Merci Rémy pour ces conseils. Questions :
1) je les mets à l’abri dans un carton. J’enfile des gants afin de ne pas les toucher ? Est-ce important ou pas, à partir du moment où on les déplace et où l’on ne pourra plus compter sur la mère ?
2) Je crois que le centre de la faune sauvage se trouve à Pornichet ? Où trouve-t-on une liste des « membres associatifs »? Le jour où j’ai fait cette démarche, soit les numéros ne répondaient pas, soit ils étaient trop loin et ne pouvaient pas intervenir.
Merci d’avance. Avec une réponse détaillée, tu rendras service à pas mal de personnes en plus de moi.
Je te reconnais bien là Gérard , tu arriverais à nous tiré les larmes des yeux .
Fort beau texte qui témoigne de votre intelligence du coeur , de votre sensibilité i s’exprimant au travers d’un fait ordinaire devenant extraordinaire ! C est un plaisir de vous lire, quel qu’en soit le registre vos textes rassemblent .
Merci à vous Gérard .
Très beau texte mais tellement triste !!
Je comprends que cette histoire puisse paraître triste. Ma première idée était de raconter cette histoire d’oisillons comme on le ferait pour un récit d’humains. Ensuite de montrer que la nature qui nous enchante à Pénestin déborde les catégories courantes du beau et de la vie. Le beau : voir mon texte de 2020 « Ce jour-là la mer était laide ». La vie : elle inclut aussi la mort. Elle nous y confronte. Chacun y réagit à sa façon. Cela peut être l’indifférence. Ou une autre forme de distance plus difficile à définir : deux jeunes ados en vacances dans le coin et qui ont eu connaissance de mon coup de téléphone à leurs parents leur ont dit : on irait bien voir si on peut aider, mais comme on vient juste de se mettre à table, on ira plutôt après manger. A partir de quel degré de proximité avec nous dans le règne animal un humain décide-t-il de tenter d’intervenir face à un danger de mort : un chat ? un oiseau ? un poisson ? un moustique ? Les Hindouistes vont jusqu’au moustique. Pour nous, la frontière se situe quelque part entre le chat et l’oiseau (j’avais aussi un texte sur une mouette il y a 3 ou 4 ans où j’allais contre les lois de la nature pour protéger une mouette malade…) Mais rien n’est figé. Nous allons probablement tous devenir végétariens sous peu, contraints et forcés par les conséquences du dérèglement climatique : est-ce que cela aura des conséquences sur nos « sentiments » vis-à-vis des « bêtes » ? Après tout, c’est nous qui les entraînons dans un bateau qui prend l’eau de toutes parts, beaucoup en meurent sans « comprendre » pourquoi ? Et puis, dernière question : que sait, que pense, un animal ?
Ouf !!! J’ai cru à un accident de trois « toutous » imprudents partis chasser le dahut en pleine nuit sur la falaise de la Mine d’or. Ceci dit ce sont parfois aussi de drôles d’oiseaux …..
Mais ce n’est pas beau de nous faire peur comme cela en utilisant le procédé des gros titres des « canards » à sensation.
Pour rester dans le registre de la « gens animalia ».