J’ai proposé aux trois candidats de réaliser un portrait d’eux dans le cadre de ces Municipales. Le portrait, tel que des journaux comme Le Monde, Libération ou Le Figaro s’en sont fait une spécialité, est un genre qui cherche à lier l’intérieur et l’extérieur, le détail et la visée d’ensemble. Il ne répugne pas à faire usage d’une certaine subjectivité en vue d’atteindre une vérité du « personnage ». Faire un portrait est une expérience, pour celui qui décrit et celui qui est décrit.
Seul M. Boccarossa a accepté ma proposition. Les deux autres candidats l’ont déclinée.
Nous sommes le 23 juillet 2019. L’entreprise « Moutons Gloutons » vient de commencer à débroussailler une tranchée de 5 mètres de large sur tout le pourtour de la zone Loscolo, afin d’y installer une « barrière antibatraciens ». Lorsque j’arrive, Dominique Boccarossa est déjà sur place, en pleine conversation avec Philippe, le patron de l’entreprise. Une conversation tout ce qu’il y a de plus cordial, contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer. Là où d’autres auraient engagé une épreuve de force, DB a simplement demandé à Philippe de contourner les arbres les plus gros, ceux qui font une vingtaine de centimètres de diamètre. Et Philippe a accepté, quitte à se faire réprimander par ses donneurs d’ordre. Lui que son travail conduit à observer jour après jour le cycle de saisons, il a trouvé un interlocuteur sur la même longueur d’onde que lui. Et la scène se reproduit 6 mois plus tard, lorsque Philippe revient pour le débroussaillage plus complet de la zone. « Regarde, dit-il à DB, j’ai préservé cette partie où il y a un fossé. Et je ne me suis pas approché trop près des chênes avec ma machine. On finira à la main pour ne pas les abimer. »
DB aime les arbres, il entretient une relation sentimentale avec eux. Dans son verger, à Kerséguin, il taille et greffe avec soin. Il parle de chaque arbre, il les touche, les caresse du plat de la main. Un peu comme un ancien président de la République qui emmenait ses visiteurs à Latché, dans les Landes, pour leur parler de ses arbres. Un jour, je l’interroge : « De quand date ton goût pour les arbres ? » Il réfléchit : « J’ai planté des arbres quand j’avais 15 ans et je ne les ai jamais revus. C’est bizarre, non ? C’était une période de rupture. Il faut peut-être remonter plus loin : mes souvenirs d’enfance sont ceux avec ma grand-mère italienne. Il y avait des jardins ouvriers près de notre pavillon de banlieue, en Seine-Saint-Denis. J’allais avec elle, on travaillait la terre, on cultivait nos légumes. Elle faisait des « barbecues » sur place, comme on les ferait maintenant. On faisait griller un légume et on le mangeait. Parfois c’était un piment : ça, c’était une autre affaire. »
L’environnement n’est pas une fin en soi
DB est un terrien. L’environnement n’est pas une idéologie pour lui : c’est un élément de sa vie quotidienne. S’il parle de l’urbanisation des terres agricoles, il a à l’esprit les chemins qu’on a bitumés autour de chez lui, les haies qui ont disparu, les falaises qui s’écroulent. Ce n’est pas non plus une fin en soi : c’est simplement le point où tout finit par converger, l’économie, l’emploi, la culture… Ou encore la mer et la campagne. Et enfin, l’environnement est une science, des faits à établir, des thèses à démontrer, des choix à justifier et à argumenter.
Lorsqu’il a commencé à étudier le dossier de la mytiliculture il y a 4 ou 5 ans, il a passé des heures à discuter avec les professionnels, il a visité les ateliers, il a posé des centaines de questions. Parallèlement à cela, il a tout lu, il a constitué des dossiers et est devenu incollable. Mais il ne fait pas de la théorie : il met bout à bout des observations. Dans les ateliers du Lomer, il sait expliquer où précisément l’on a gaspillé de l’espace. Et considère d’ailleurs que cela relève d’un bureau d‘études. Comme tout ceux qui ont beaucoup appris, il connaît ses limites et même le doute.
Il avait fait la même chose pour le dossier des campeurs caravaniers, pour les pistes cyclables, pour la loi Littoral, pour les documents d’urbanisme comme le SCOT et le PLU. C’est un bosseur qui voit les choses sous leur aspect concret, comme faisait sans doute sa grand-mère. C’est un pragmatique. Il observe les choses parce qu’il en est curieux. Il écoute les gens pour la même raison. Mais observer, cela va un temps et depuis sa jeunesse, DB aspire à changer les choses et pas seulement à les observer. « Changer la vie », comme disait le même président qui me revient involontairement à l’esprit pour la deuxième fois, bien que DB ait peu à voir avec lui. C’est peut-être parce que je leur trouve à tous deux du charisme : une force du verbe et une capacité à entrainer les autres. Peut-être aussi parce qu’ils se sont tous deux voués à une tâche et une mission et qu’ils ont cessé de s’appartenir.
L’éblouissement de la baie de Pont-Mahé
Durant les 30 années dont il a passé les plus belles saisons à Pénestin, avant de s’y installer définitivement il y a 8 ans avec sa compagne Martine, il a cédé comme beaucoup d’autres à l’éblouissement de la baie de Pont-Mahé, des marais du Lesté, des hameaux disséminés dans cette ancienne partie la plus pauvre de Pénestin, l’Armor. Il a aussi perçu les menaces qui pesaient sur cette nature exceptionnelle et cette population qui l’est tout autant. Il a voulu les protéger. Ce n’était pas dans ses gènes de rester assis, mais au contraire de s’engager, de s’indigner, comme nous y exhortait Stéphane Hessel. Il a fréquenté Mès et Vilaine. Il a prêté sa plume et son éloquence aux combats parfois âpres pour faire respecter les lois. Il a appris, là aussi, aux côtés de sa présidente. Puis leurs chemins se sont séparés et il a créé une nouvelle association : CAPPenvironnement.
Un dimanche, je fais la connaissance de deux de ses amis les plus anciens, qui l’ont connu dans ses combats « d’avant-Pénestin ». DB était comme eux chargé de production audiovisuelle, réalisateur, concepteur de décors, dans cet univers mal connu du cinéma indépendant. Il en vivait mal et avait un deuxième job, dans une agence d’architecture. Il sait ce qu’est un budget pour en avoir ficelé de très improbables. Il sait ce que c’est que diriger, pour avoir mené, motivé, rassemblé des équipes. Il sait ce que c’est qu’inventer, innover, créer, c’était sa raison d’être. Et il sait ce que c’est que lutter, car le cinéma indépendant n’est que cela : un combat permanent.
DB a présidé l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion, vieille de 30 ans déjà, et qui repose sur une idée centrale, l’altruisme : des cinéastes défendent et accompagnent d’autres films que les leurs. « Et il était comment, DB, à l’époque ? » Rémi prend le temps de la réflexion : « DB est quelqu’un d’intelligent. Cela lui ouvre des tas de possibilités. Mais cela entrave parfois un peu ses contacts avec le commun des mortels. Son cerveau fonctionne trop vite. Il lui faut patienter pour que les autres le suivent. » Alors qu’il peut être si généreux et attentif, c’est peut-être pour cela qu’il est économe de gestes et de paroles inutiles. Il parle beaucoup, parfois trop, parce qu’il veut expliquer et expliquer encore, mais il considère que c’est à chacun de faire le chemin, de voir s’il adhère à ses propositions.
Un long éclat de rire qui le secoue comme par surprise
DB ne sourit pas beaucoup. Il prend les gens et les choses au sérieux. Mais parfois il est brusquement pris d’un long éclat de rire qui le secoue comme par surprise. Il n’aime guère montrer sa vie personnelle, il est pudique, et n’aimera peut-être pas beaucoup ce portrait. J’ai dit plus haut qu’il ne s’appartient plus : oui, il est devenu « un personnage », il vaut pour ce qu’il représente. Son image prend parfois le dessus sur son être réel. Il clive, comme on dit, par la force des choses : certains ne l’aiment pas et il poursuit son chemin sans s’en inquiéter. Ce n’est pas un refus. C’est en partie parce qu’il considère que son temps est compté : il doit réaliser des choses.
Maire de Pénestin ? Peut-être. La tâche est vaste, mais il a « les épaules », comme on dit. Il a déjà commencé à se donner aux autres dans un élan aussi inexplicable que pour ses proches. D’ailleurs, ses filles, dont l’une a suivi sa voie en s’engageant dans un doctorat sur l’environnement, savent qu’elles peuvent tout lui demander. Un don sans charité, un don qui s’impose comme une évidence. Ses grands-parents ont quitté l’Italie parce qu’ils avaient faim et froid : on fait les choses parce qu’elles s’imposent à nous.
Je trouve bien dommage que les deux autres candidats n’aient pas donné suite à votre demande, ce portrait sympathique ne peut pas être comparé avec celui des autres têtes de liste. j’espère juste que les électeurs fassent le bon choix.
Nouvellement installée dans la région mais ne résidant pas à Penestin, je ne sais rien des rivalités et luttes intestines tenaces qui semblent animer cette campagne des Municipales. Une chose est sûre, ce blog découvert il y a à peine un mois m’en apprend plus que Ouest-France ou le Journal de la Presqu’île… sans compter que le style de « Monsieur Gérard « est autrement plus agréable à lire que celui des titres précédemment cités.
Ce beau portrait donne vraiment envie de rencontrer M. Boccarossa. Dommage que je ne vote pas à Penestin !
Beau texte et beau portrait qui renforce mes impressions déduites à la lecture du précédent article concernant la Culture ! Je comprends d’autant plus que je me suis retrouvé en partie dans l’évocation de certains traits de caractère de D.Boccarossa …. sans compter le milieu de l’architecture. Tant pis tout autant que dommage pour les Pénestinois que les deux autres postulants n’aient pas voulu jouer le jeu… car il vaut toujours mieux savoir à qui on a affaire avant … qu’après.