Ce lundi 17 juin, le département de la Loire-Atlantique organisait un colloque à la Cité des Congrès de Nantes sur le thème de la « zéro artificialisation nette ». Cela semble technique, mais c’est très simple : « artificialiser » des zones naturelles, agricoles ou forestières, c’est les bétonner, les cimenter, les goudronner, les urbaniser. C’est aussi les rendre imperméables, et empêcher la végétation d’y croître, empêcher la vie animale de s’y développer. Le béton fait reculer la nature et cette dernière n’en peut plus : elle appelle au secours !
Depuis 1950, la surface totale artificialisée a été multipliée par 3,3 (en Loire-Atlantique), alors que la population était multipliée par 2. La journaliste Audrey Pulvar, qui parrainait ce colloque, expliquait d’entrée de jeu que la France dispose de l’un des réseaux routiers les plus denses d’Europe. Mais plus de routes implique plus de voitures, plutôt que l’inverse. Cela réduit la biodiversité. On coupe les voies de passage naturelles de toutes les bestioles petites et grandes qui tentent de survivre sur notre territoire. Et ce faisant, on accentue le réchauffement climatique.
« La seule question, maintenant, c’est de savoir quand et comment stopper l’artificialisation »
Il faut bien que cela s’arrête à un moment donné et il est déjà plus que temps. Cécile Petident, ancienne présentatrice de la chaine de télévision Télénantes et chargée de l’animation de ce colloque, explique : « Zéro artificialisation, ce n’est même plus un sujet de conversation pour savoir s’il faut y aller ou pas. On est sur le point de déclencher la 6e ‘extinction’ massive de l’histoire de notre planète. La précédente, c’était la fin des dinosaures causée par la chute d’un astéroïde. Cette fois-ci, c’est une espèce animale bien particulière, les humains, nous, qui est seule responsable. La seule question, maintenant, c’est de savoir quand et comment stopper l’artificialisation. Les sceptiques, il faut les réveiller. Ce n’est plus l’heure de tergiverser. »
Très bien, me direz-vous, mais qu’est-ce qu’un colloque d’experts et d’élus réunis à Nantes a à voir dans le blog d’infos locales de Pénestin ? La réponse, la voici : l’artificialisation des sols prend plusieurs formes. Audrey Pulvar parlait du réseau routier, il faudrait aussi évoquer les logements, le modèle « pavillonnaire », qui s’étend et consomme toujours plus d’espace, malgré la loi Littoral ou la loi ALUR. Mais aussi, bien sûr, les zones commerciales à la périphérie des centres villes, et plus largement toutes les zones d’activités artisanales, industrielles, ou logistiques. Pensez par exemple que le maire de Chartres a préféré refuser l’installation d’un plateforme Amazon qui aurait créé plusieurs centaines d’emplois (précaires évidemment), afin de préserver l’environnement. Le choix du long terme plutôt que d’un court terme à courte vue.
Pourquoi, chez nous, un projet impliquant le défrichement de 8,5 hectares est-il sur le point d’être autorisé
Alors, lorsque l’on vit à Pénestin, la moindre des curiosités implique tout de même de se demander pourquoi chez nous un projet de parc conchylicole est sur le point d’être autorisé par le préfet du Morbihan, alors que partout, et jusqu’au président de la République (le 6 mai 2019, après la remise du rapport sur la biodiversité de l’IPBES, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité), on sonne la ‘mobilisation générale’ en vue de stopper toute artificialisation supplémentaire. Rappelons que ce projet signifiera le défrichement de 8,5 hectares de terres naturelles, 12 hectares si l’on inclut le réseau viaire, alors que des alternatives existaient sur des terres déjà artificialisées.
Et effectivement, le colloque d’hier apportait des réponses à ces questions. Anne-Laurence Pétel, députée LREM des Bouches-du-Rhône, me confirme à l’issue de l’un des ateliers, qu’une circulaire a bien été envoyée en juin 2018 à tous les préfets au moment du lancement du plan Biodiversité, afin de les inciter à « serrer les boulons » et à ne plus laisser passer de projets consommateurs de terres naturelles, agricoles ou forestières. Dans son département, un projet est passé, ressemblant au nôtre comme deux gouttes d’eau d’un bassin de décantation, mais cela est dû à la négligence d’un sous-préfet… Il est possible qu’un autre courrier récent, émanant de François de Rugy, ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, ait été adressé aux préfets dans le même but, mais je n’en ai pas eu la confirmation certaine.
Philippe Grosvalet a défendu Notre-Dame des Landes
Philippe Grosvalet, pour sa part, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique et organisateur du colloque, apporte de nombreuses informations très intéressantes. Né en 1958, encarté PS à Saint-Nazaire – un voisin, presque –, il a vécu l’expérience de Notre-Dame des Landes, qu’il a défendue avec Jean-Marc Ayrault et Jacques Auxiette, également PS. Lorsqu’il dit que la population du département a souffert, il parle certainement aussi de sa propre souffrance.
Lors de la conférence de presse en fin de matinée, Philippe Grosvalet détaille un peu plus ce qu’il avait exposé précédemment : « Notre génération d’hommes politiques avons été biberonnés au développement économique et à l’effort pour créer des emplois. Il y a encore 10 ans, nous parlions création d’entreprises et réseaux d’assainissement, alors que maintenant, les problématiques concernent la densification ou la trame verte et bleue. Il nous a fallu changer de logiciel, changer de braquet d’une certaine façon. Nous sommes en période de transition, c’est une évidence, et l’inertie est considérable chez beaucoup d’hommes politiques qui continuent de raisonner selon les schémas anciens. Le changement s’est effectué très rapidement et ils n’ont pas eu le temps de s’ajuster au nouveau contexte. Or, il faut aller vite, car il y a urgence. Les élus locaux – et en premier lieu les maires – ont l’impérieux devoir d’agir. »
Une loi qui interdirait tout nouvelle artificialisation
On croirait entendre décrire notre classe politique locale : Monsieur le Maire de Pénestin, bien entendu, mais aussi les personnalités qui s’apprêtent à candidater aux prochaines Municipales et qui ont toutes soutenu un projet qui se situe à l’inverse des impératifs actuels, et peut-être bientôt à l’encontre d’une loi dont il est de plus en plus question, qui interdirait toute artificialisation nouvelle. Audrey Pulvar, reprenant l’expression de certains philosophes, évoque « la cécité des démocraties »…
J’ai interrogé Philippe Grosvalet lors de cette conférence de presse, afin de connaître son sentiment sur notre projet « Loscolo » et de savoir si, d’après lui, il était encore temps pour que le préfet du Morbihan stoppe un tel projet. Il a répondu en parlant des subtilités administratives qui associaient à l’intérieur de Cap Atlantique des communes de la Loire-Atlantique et du Morbihan, disant n’avoir pas eu connaissance du projet. Il ajoutait que les membres du conseil départemental du Morbihan ne seraient guère satisfaits si le président d’un département voisin s’avisait d’intervenir dans leurs affaires. C’est alors qu’un autre invité du colloque, l’auteur et journaliste Olivier Rozemon, lui a répondu que si : étant donnée l’urgence climatique et celle de la biodiversité, il était normal qu’il s’exprime sur ce dossier morbihannais, dont la structure maître d’ouvrage, Cap Atlantique, est tout de même dirigée par le Maire de La Baule, M. Métaireau. A la sortie de cette conférence de presse, j’ai reparlé quelques instants avec M. Grosvalet, qui m’a dit que M. Rozemon avait eu raison et qu’il allait s’informer sur le projet Loscolo. Un homme politique qui reconnaît ses torts, quel soulagement, déjà !…
Ce matin, mardi 18 juin, Ouest France rend compte du colloque, mais met surtout en avant d’autres déclarations de M. Grosvalet à propos d’un projet de Surf Park à Saint-Père-en-Retz : « Faire du surf à 10 km de la côte, alors qu’on est un département littoral, c’est aberrant, anachronique. C’est à se demander comment une telle idée, saugrenue, à pu germer. » Pourtant, le Département avait donné un avis favorable au Plan Local d’Urbanisme contenant ce projet. « Cela a échappé à ma vigilance. Ce qui avait primé, c’est le développement économique et touristique. » Et Ouest France de conclure : « Un point qui semble désormais passer au second plan, au vu de l’opposition des militants et de l’enjeu de préservation des terres agricoles. » Voilà un signe supplémentaire, si besoin était, que nous avons changé d’époque. L’objectif du colloque de Nantes n’était autre que d’insister sur cela.
Ping : Où en est-on du projet de Parc conchylicole de Loscolo ? - penestin-infos
Merci, c’est clair. N’y a-t-il pas eu d’argumentaire en sens contraire ?
Non, il n’y en a pas eu. Il a beaucoup été question de “prise de conscience” dans ce colloque. L’heure n’est plus au débat en ce qui concerne la nécessité d’agir, et les paroles introductives de Cécile Petident que je rapporte sont claires à cet égard. En revanche, il y a débat sur les modalités de l’action. je n’ai sans doute pas suffisamment fait sentir par exemple (je craignais d’être trop long) que l’idée d’une loi qui imposerait la zéro artificialisation nette n’est pas partagée par tous et suscite des discussions. Certains font plus confiance à la politique qu’à la loi.