Lundi 12 octobre, peu avant midi, deux mytiliculteurs viennent déposer à la mairie de Pénestin un recours gracieux contre le permis d’aménager « Loscolo » signé le 13 août dernier par le Premier adjoint. Ce permis est celui qui autorise les travaux pour les dispositifs de pompage d’eau de mer et de rejet à proximité immédiate de la plage du Maresclé, ainsi que pour les canalisations d’acheminement et d’évacuation vers le futur parc Loscolo, à 500 m en retrait de la côte. L’association Cappenvironnement, rejointe par la Ligue de Protection des Oiseaux et 7 riverains, avait déposé dès samedi un autre recours gracieux.
Le recours formé par les mytiliculteurs est un fait inédit dans la déjà longue histoire du projet Loscolo. Jusque là, comme le rappelle Frédéric Bernard dans son courrier du 28 août au président du syndicat conchylicole de Pénestin (cf. http://www.penestin-infos.fr/les-langues-se-delient-chez-les-mytiliculteurs/ ), les professionnels avaient soutenu le projet « par loyauté envers certains confrères qui en avaient besoin », Mussella et le Groupement la Pénestin, précise-t-il. Aujourd’hui, Mussella a fait le choix, justifié notamment par des raisons d’analyse budgétaire, de s’installer au Closo, et le Groupement s’apprête à partager seul avec les établissements Bizeul les coûteuses installations du projet Loscolo.
Les mots « comptent », il est vrai, mais les chiffres encore plus…
En face, 12 entreprises à ce jour se sont coordonnées pour déposer ensemble leur recours auprès de la mairie de Pénestin. La confiance entre les deux parties avait été sévèrement rompue cet été, avec l’affaire de la préemption. Cap Atlantique et la mairie de Pénestin, qui s’étaient engagés à fixer les tarifs de rachat avant la fin 2019, n’ont toujours pas tenu cet engagement et le permis d’aménager a été signé malgré tout. Les mytiliculteurs sont des entrepreneurs qui ont le sens du concret et pour qui les mots « comptent », il est vrai, mais les chiffres plus encore…
Dans ses 11 pages, le recours déposé par les professionnels met l’accent sur les rejets en mer qui menacent, outre les baigneurs, les pêcheurs à pied et les « espèces d’oiseaux d’intérêt communautaire », leurs propres parcs de bouchots sur un plan à la fois sanitaire et économique. Il souligne également que l’opposition d’une part importante des professionnels dont « témoigne l’exercice par plusieurs d’entre eux du présent recours gracieux » rend « difficile de voir comment le projet de Loscolo pourrait être présenté comme ‘nécessaire aux cultures marines’ ».
Il argumente ensuite sur l’incompatibilité du permis d’aménager avec le SCOT (schéma de cohérence territoriale) de Cap Atlantique, et sur la violation de l’article sur la gestion des eaux pluviales du PLU de Pénestin, par une décision du conseil municipal du 21 janvier 2020 ( cf. http://www.penestin-infos.fr/le-projet-loscolo-sinvite-au-conseil-municipal/ ). Il relève l’absence de déclaration d’intention, qui aurait permis une concertation préalable portant notamment sur les solutions alternatives ou leur absence (rappelons que le commissaire enquêteur avait jugé hors sujet une pétition lancée à ce sujet en mars 2019). Une telle déclaration d’intention est obligatoire pour les projets dont le coût est supérieur à 5 millions d’euros ttc.
Il pointe aussi « l’absence manifeste de connaissance réelle des effets des rejets (…) sur les productions existantes » face à l’augmentation des blooms phytoplanctoniques et de l’anoxie (mortalité liée au manque d’oxygène), une situation qui empirerait avec l’apport de sels minéraux et d’eaux à température plus élevée.
« l’implantation de sociétés externes en situation d’oligopole »
Enfin, les mytiliculteurs notent que « les premières estimations de coûts pour s’implanter à Loscolo sont sans commune mesure avec les ressources que les professionnels du territoire pourraient potentiellement consacrer à un tel projet, laissant craindre à moyen terme l’implantation de sociétés externes en situation d’oligopole [note GC : “pouvoir de quelques uns”] qui risqueront d’impacter sensiblement l’équilibre économique de l’activité locale. »
Ce même lundi avait lieu en fin de journée un conseil municipal, dont l’ordre du jour n’avait pas de lien avec le projet Loscolo. Alors que le maire venait de lever la séance, M. Boccarossa, conseiller d’opposition, demanda l’autorisation de poser une question : il s’agissait des propos tenus par le maire dans L’Écho de la Presqu’île du vendredi 9, qui prenait position en faveur du parc conchylicole et indiquait que la main était maintenant à Cap Atlantique. M. Boccarossa fait état des deux recours gracieux que le maire peut décider d’accepter ou de refuser, ce qui semble signifier, indique-t-il, que Cap Atlantique n’a pas encore la main. « Sans entrer dans le débat, la réponse est oui », lui réplique avec une certaine théâtralité M. Puisay, qui ajoute après un bref silence : « Le maire a la main ». Il lève ensuite la séance.
À travers cette réponse, le maire de Pénestin semble décidé à affirmer son autorité face à la contestation des professionnels. On lira avec d’autant plus d’intérêt l’interview parue ce matin dans Ouest France reproduite ci-dessous. Il y indique tout d’abord qu’il compte « vérifier si tous les mytiliculteurs inscrits sur ce recours sont bien d’accord avec ce recours ». Cette formule suscite nécessairement des questions : met-il en doute leur capacité à assumer ce qu’ils ont signé, voire à en mesurer la portée ? A-t-il l’intention de les appeler un par un, et pour leur dire quoi ?
Le maire expose ensuite son « sentiment partagé ». Il ne peut pas faire des propositions « sans les mytiliculteurs ou contre eux. S’ils n’en veulent pas, il faudrait peut-être mettre un coup d’arrêt… » Mais il poursuit : « Or, certains l’attendent. » Chercherait-il à adapter le « en même temps » macronien à l’échelle de Pénestin ? À la fin de l’interview, il réitère sa proposition de faire remplir un questionnaire par les mytiliculteurs, dont s’inspirerait Cap Atlantique pour se repositionner. Mais puisque « certains veulent y aller », il n’envisage pas de retirer son permis d’aménager. Notons au passage que les questionnaires font partie de la « boîte à outils » du marketing, et que la facilité d’en manipuler aussi bien les questions que les réponses en fait un outil qui ne peut remplacer un véritable débat démocratique.
« Je n’ai pas peur du mot ‘environnement’ »
Relevons pour terminer un point qui a suscité quelques discussions lundi soir en conseil municipal. Sur le sujet de l’utilisation de locaux communaux par les associations, le maire refuse la demande de la minorité d’inscrire, en sus des associations sportives, culturelles et « de bien-être », les associations environnementales. Il fait voter un « etc. » en leur lieu et place, face auquel d’ailleurs l’autre frange de l’opposition, M. Lebas et Mme Gilory, aurait peut-être voté « contre» s’ils avaient eu le temps de la réflexion. Lorsque M. Boccarossa demande au maire s’il a peur du mot « environnement », celui-ci répond de façon prévisible que ce ne saurait être le cas puisqu’il est en charge, en tant que vice-président de Cap Atlantique, de la transition écologique concernant le climat, l’énergie et la mobilité.
Cet argument a du poids, c’est évident. Il impose cependant une contrainte, à savoir que le vice-président de Cap Atlantique devrait dès lors manifester une exemplarité dans sa propre commune, non pas tant à travers ses décisions (qu’il prend en son âme et conscience) qu’à travers la qualité du débat démocratique sur les sujets de l’écologie et du climat. J’ai publié (cf. http://www.penestin-infos.fr/cappenvironnement-au-maire-de-penestin-par-la-presente-nous-sollicitons-le-retrait-du-permis-damenager-et-la-suspension-du-projet/ ) il y a un mois le long courrier de l’association Cappenvironnement adressé au maire, et qui développe un argumentaire détaillé et argumenté sur les aspects environnementaux du projet Loscolo. Ne pas répondre reviendrait à laisser mourir le débat public qu’un vice-président à la transition écologique a justement pour mission de susciter.
Plus largement, M. Puisay a hérité d’un dossier difficile, complexe et controversé. Il a hérité d’un fardeau. Quel que soit le choix opéré, les implications seront lourdes pour une profession et pour la commune toute entière. La somme des arguments versés au dossier de part et d’autre montre bien que la responsabilité des décideurs est particulièrement lourde et qu’ils ont tout intérêt à s’en remettre au juge. Nul ne connaît les intentions de M. Puisay : il se peut d’ailleurs qu’il n’ait pas encore fait son choix dans son for intérieur. Entre la voie de la sagesse, qui commanderait de laisser la justice faire son office et trancher à travers l’écheveau complexe des intérêts et des postures, et celle du passage en force (risquant, telle une fatalité, je l’ai déjà écrit, d’aboutir à un Haut de Vilaine-bis), il lui revient de marquer son mandat, dès ses premiers mois, par une grande décision.
Ca fait tout de même 1 tiers des mytiliculteurs qui sont prêts à saisir le juge ! Et quid des autres ? Pas sûr qu’ils soient d’accords. Surtout après les promesses non tenues sur la valeur de rachat des terrains.
Confiance trahie, projet détruit !
Je ne voudrais pas être en ce moment à la place de M. Puisay qui comme le veut l’expression est désormais ” entre le marteau et l’enclume”. Poursuivre dans l’obstination de son prédécesseur responsable de l’impasse actuelle en dépit des multiples arguments qui démontrent désormais l’obsolescence du projet (sans compter le rejet de la majorité des mytiliculteurs, premiers concernés) ou montrer sa capacité d’être un vrai Maire pour tous, libéré de l’héritage passéiste Baudrais, en écoutant la voix de la raison et celles de ses administrés, ….quitte à fracturer sa majorité : tel est le dilemme. De sa réponse dépendra sa crédibilité et la confiance que pourront, ou non, lui accorder les Pénestinois pour la suite de son mandat par rapport aux belles paroles et engagements de sa campagne. La sagesse et la raison sont souvent meilleures conseillères que l’obstination aveugle.
“La fin justifie les moyens” proclamait Machiavel …. et Il convient de préciser que le maire dispose d’un délai de deux mois pour répondre à ce recours gracieux formé à l’encontre d’une décision d’urbanisme et le fait de garder le silence entrainera un rejet tacite à l’expiration de ce délai
Mais ce qui est plus troublant, dans cette recherche de gain ou de perte de temps, c’est qu’une action judiciaire aurait été engagée devant le tribunal administratif , laquelle prévaut sur le recours gracieux ….. et alors qu’un référé administratif pour suspension pouvait et peut être engagé même
en cours de délibéré.
Mais, n’en doutons pas, Mr le Maire va répondre ! …
merci pour toutes ces infos.
visiblement , le maire ne répondra pas favorablement à ce recours gracieux.
Le recours gracieux ne fait que prolonger le délai de recours contentieux . Et le délai de recours , hélas , ne suspend pas le permis d’aménager .
Non, “visiblement”, pour reprendre votre expression, il n’y a pour le moment aucune certitude. Je pense aussi qu’il ne faut pas vouloir simplement analyser une situation comme le ferait un observateur, mais réfléchir à la façon d’agir afin de peser sur son évolution.
Le recours gracieux ne prolonge pas, mais précède un recours contentieux.