Dans l’article précédent, j’ai abordé la composition et les attributions du comité de suivi Loscolo dans les deux versions qui en ont été données successivement après chacune des deux enquêtes publiques. La composition était centrée au départ sur les professionnels et les riverains et le sujet unique des discussions concernait les nuisances. Elle s’élargit, dans la deuxième version, « au-delà des riverains, (à) toutes les personnes concernées, et notamment celles qui se sont exprimées lors de la présente enquête : Association Mès et Vilaine, AUMM, etc. » (Rapport d’enquête de M. Zeller, p. 25), mais les textes (Note en réponse de Cap Atlantique et Rapport d’enquête) sont particulièrement flous sur les attributions qui seront celles du comité de suivi. Quant à l’arrêté du préfet, il ne mentionne même plus l’existence du comité. Un tel flou fera certainement des déçus parmi ceux qui escomptaient une définition large de ses attributions.
Je vais à présent aborder la question de la méthodologie. C’est trop tôt, me direz-vous, car ce point relève sans doute du règlement intérieur, qui est à l’ordre du jour de la première réunion le 21 septembre. Il y a pourtant beaucoup à dire sur le sujet et ce serait une négligence grave d’arriver à cette réunion les mains dans les poches sans avoir du tout réfléchi à la question.
Le cadre juridique
Première question : existe-t-il un cadre juridique définissant le fonctionnement d’un tel comité ? N’étant pas juriste, je ne suis pas en mesure de donner une réponse univoque à cette question. Il existe des CSS, Commissions de Suivi de Sites, instaurées en 2010 par le Grenelle 2 de l’Environnement et régies par l’article L125-2-1 du Code de l’Environnement. Une bonne synthèse est disponible sur le lien http://www.corse.developpement-durable.gouv.fr/la-commission-de-suivi-de-site-s-a332.html Je ne suis pas parvenu à savoir si la définition des CSS s’appliquait ou non à notre « comité de suivi » local. Je ne poursuivrai donc pas sur cette piste, mais toute personne disposant de lumières à ce sujet est bienvenue pour nous apporter des précisions. (Notons que si « nul n’est censé ignorer la loi », il est réellement difficile à un citoyen de s’informer sur ce type de sujet lorsqu’il ne dispose pas, comme une mairie ou une communauté de communes, de compétences spécialisées et de moyens humains et matériels. Il en découle une inégalité qui aura toute sa place dans les raisonnements qui vont suivre.)
A défaut d’une approche juridique, je vais simplement « raisonner » sur le sujet qui nous occupe. Dans un très beau texte, Kant définit cette « capacité à raisonner par soi-même » comme le trait premier caractérisant le citoyen. (« Réponse à la question ‘Qu’est-ce que les Lumières ?’ », 1784)
Un comité de suivi, c’est quoi, pour quoi faire et comment il s’y prend pour le faire ?
Lorsque l’on parle des missions du comité de suivi, deux mots reviennent en permanence : l’information et la concertation. L’idée même de créer un comité de suivi est liée, sous réserve que la démarche soit sincère, à celle de vouloir mieux informer la population et à celle de vouloir l’écouter. Le comité de suivi se situe dans un paradigme qui inclut aussi bien le management participatif que la démocratie participative.
Information et concertation sont liées : pour qu’il y ait échange d’idées et d’opinions, il faut d’abord qu’il y ait une circulation satisfaisante des informations. C’est sur elles que se bâtissent les idées et les opinions. L’information « irrigue » le corps social et constitue une condition essentielle du débat démocratique. Lorsque son accès est aisé, on parle de « transparence » de l’information. Et lorsque des obstacles viennent gêner cet accès, on parle à l’inverse d’« opacité », qui peut aller jusqu’au secret, à la rétention totale de l’information.
Le principe de transparence
La transparence de l’information fait écho à la liberté d’informer et d’être informé. Cette liberté est mentionnée dans de nombreux textes, dont celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, en 1950, qui énonce dans son article 10, que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (…) »
Cette transparence doit-elle s’appliquer aux travaux du comité de suivi ? C’est la moindre des choses, pourrait-on répondre. Elle lui est consubstantielle. Une transparence en direction de l’extérieur, car on n’imagine pas que les riverains, les associations ou les professionnels puissent ne pas être mis au courant de tel ou tel point abordé au comité (d’où l’importance d’une fonction de secrétariat et la nécessité de comptes-rendus remis rapidement aux participants pour qu’eux-mêmes puissent informer leurs mandants.)
Et de même à l’intérieur du comité. Créer un comité de suivi est une démarche exigeante, qui impose dès le départ des obligations, et les deux commissaires enquêteurs le savaient certainement. Personne n’accepterait de participer à ce comité pour la déco ! Il est donc indispensable que toute information en lien avec le projet Loscolo soit immédiatement accessible sur simple demande. En d’autres termes, qu’aucune information ne soit soustraite aux demandes du comité. C’est une question de principe : pas de question sans réponse. Cela se traduit dans la pratique par deux autres principes liés à celui de transparence : celui d’équité et celui de continuité.
Le principe d’équité
Un comité est un petit groupe de personnes investi d’un pouvoir de décision ou de surveillance. Aucune définition ne fait référence à une hiérarchie ou à des inégalités entre les membres d’un comité. Cela se traduit par exemple par le fait que si deux personnes y représentent une association, dont son président, toute hiérarchie entre eux se verra gommée pendant le temps de leur participation aux réunions. De la même façon, le maire d’une commune ou le patron d’une entreprise de mytiliculture ne sera plus maire ou patron dès lors qu’il entrera dans la salle de réunion. Les relations dans un comité ne peuvent être que d’égal à égal.
Cela vaut bien sûr pour les informations qui circulent à l’intérieur du comité. De par les fonctions qu’ils exercent à l’extérieur du comité, certains membres disposent d’informations plus complètes que d’autres. En acceptant de participer à un comité, ils acceptent l’obligation de partager ces informations avec les autres membres du comité. Cela vaut aussi pour les informations jugées confidentielles dans d’autres contextes. S’ils ne s’acquittent pas de cette obligation, cela nuira gravement au bon fonctionnement du comité et d’autres membre seront susceptibles de dénoncer ces manquements et au-delà, de dénoncer un dysfonctionnement qui altère la raison d’être même du comité.
Le principe de continuité
Le comité a pour fonction première d’assurer un suivi de certaines opérations qui intéressent la collectivité. Ce terme de « suivi » est doté d’une référence temporelle et s’oppose à un processus qui serait haché, irrégulier. Son processus est au contraire régulier et continu. Un suivi ne peut s’interrompre sans cesser d’être un suivi.
Il est donc essentiel de veiller à cette continuité en s’assurant que toute information et tout document est transmis sans retard aux membres du comité. La continuité est par définition permanente et ne saurait se borner aux seules réunions. L’administration du comité (son secrétariat) doit être en mesure de répondre aux demandes des participants au fur et à mesure qu’elles sont énoncées, et de les informer au fur et à mesure que de nouvelles opérations sont menées ou planifiées. Le calendrier et l’état d’avancement du projet sont les outils de base de son suivi et ils devraient être actualisés en permanence et non uniquement au moment des réunions du comité.
Il serait bon que le règlement intérieur du comité de suivi qui sera discuté lors de la première réunion prenne en compte ces trois principes. Il est à cet égard très dommageable que le chef de projet, M. Durieux, à qui j’ai demandé par mail s’il adhérait aux trois principes indiqués ci-dessus, ait fait le choix de ne pas répondre à cette question. Je renvoie à mon commentaire de l’article précédent sur le sens à donner à ce type de silence. J’avais également demandé à disposer du calendrier des travaux et il m’a demandé de patienter jusqu’à la réunion. Cela peut se comprendre avant une première réunion, mais au-delà, il est souhaitable que ce type de demande reçoive une réponse favorable.
Une volonté politique forte
Plus largement, le respect des trois principes de transparence, d’équité et de continuité ne peut s’appuyer que sur une volonté politique forte. M. Durieux est un technicien et non un élu. Cap Atlantique est une intercommunalité qui n’est pas réputée faire primer le politique sur la technique. Ajoutons que l’on cherchera en vain un dossier sur la mytiliculture et le projet Loscolo dans le bulletin municipal de Pénestin sur les 5 dernières années (je n’ai pas regardé au-delà…) Il n’est cependant pas question ici de faire un procès d’intention à qui que ce soit et on attend avec intérêt de connaître les positions que prendra Mme L’Honnen, Vice-présidente de Cap Atlantique en charge de la pêche et membre du comité de suivi.
Notons enfin que si le comité de suivi apparaissait ne répondre ni aux exigences de transparence, ni à celles d’équité, ni à celles de continuité, on sera en droit de s’interroger sur sa conformité aux intentions qui ont présidé à sa création. On serait en droit d’en tirer des conséquences qui peuvent être de divers ordre : démission groupée, recours en justice, demande de dissolution du comité en l’attente d’une structure plus adaptée aux enjeux de la situation (que certains candidats aux futures Municipales de Pénestin pourraient être conduits à proposer).
On ne saura pas en revanche si le comité de suivi est conforme à l’arrêté du Préfet du 23 juillet 2019, puisqu’il n’y est pas fait référence (cf. article précédent). Cela risque de poser une difficulté sérieuse, car, mise à part une référence assez floue de M. Durieux à la DDTM qui, selon lui, « confirme cette possibilité réglementaire », on est assez ignorant quant aux possibilités d’amender l’autorisation environnementale délivrée par le préfet. Il est probable que le comité de suivi sera conduit à demander de tels amendements. M. Durieux lui-même a reconnu, dans sa réponse à l’association Cappenvironnement qui l’interpelait sur la compensation forestière, que les deux parcelles proposées n’étaient pas un bon choix et que l’arrêté préfectoral qui les mentionne « pourra évoluer une fois les nouvelles solutions trouvées » (cf. mon article « L’affaire Loscolo continue à faire des vagues », du 10.8.2019). Il y a là un certain imbroglio et on saisit mal comment un comité de suivi qui n’a pas d’existence légale aux yeux de l’arrêté pourra conduire à modifier ledit arrêté, et qui plus est, selon une procédure « réglementaire ».
Des « prescriptions » et des « mesures »
Terminons par un dernier point, toujours en rapport avec les questions de méthodologie. Dans sa « Note en réponse » qui figure en annexe 2 du rapport d’enquête de M. Zeller, Cap Atlantique évoque la concertation / consultation des riverains et cite l’organisation d’un « temps d’échange courant 2019 avec les riverains sur le cahier des prescriptions architecturales, urbaines, paysagères et environnementales qui fixe des règles de construction et d‘implantation des bâtiments. »
Il ne s’agit pas ici directement du comité de suivi, mais les termes employés, notamment celui de « cahier des prescriptions », correspondent à ses tâches à venir. Le « suivi » d’un projet s’appuie en effet sur les prescriptions formulées dans l’arrêté préfectoral en vue de prévenir les risques et inconvénients susceptibles de survenir pendant les travaux et pendant l’exploitation. La notion de « risques et inconvénients », ainsi que celle de « prescriptions » renvoient au Code de l’environnement. Elles sont complétées, toujours dans ce Code, par des « mesures », qui assurent la prévention des dangers et inconvénients.
Sur le principe, on peut comprendre ici que lorsqu’un projet implique des « risques et inconvénients », l’autorité émet des « prescriptions » pour s’en prémunir, et le maître d’ouvrage prend des « mesures » pour satisfaire à ces prescriptions. Mais je ne suis pas certain que le langage juridique, avec toutes ses subtilités, accepte un tel niveau de simplification… Toujours est-il que le travail du comité pourrait être conçu comme consistant à vérifier que des « mesures » sont bien prises pour répondre aux « prescriptions ».
Cependant, les choses sont certainement plus complexes. Selon le Code de l’environnement, c’est à l’arrêté du préfet de définir les mesures : un comité de suivi n’a donc pas pour rôle de combler les lacunes éventuelles de cet arrêté. Un exemple ? L’article 5 – 4 de l’arrêté indique les valeurs maximales à respecter pour les rejets en mer, mais il n’indique pas les mesures à prendre au niveau des dispositifs de traitement pour respecter ces valeurs. Or, l’article L. 512-1 du Code de l’environnement stipule que « L’autorisation (préfectorale) ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l’arrêté préfectoral. » Dans un tel cas, le comité de suivi est impuissant : on est dans le domaine du recours pour réclamer au minimum une modification, si ce n’est la suppression, de l’arrêté.
La voie des recours
Le cas peut aussi se produire que l’arrêté n’émette pas de prescriptions là où il aurait dû le faire. Exemple : la gestion des déchets organiques a été ignorée dans l’arrêté, alors que l’Autorité environnementale avait recommandé de mettre en place un protocole de surveillance des nuisances olfactives subies par les riverains (p. 3 et 9 de l’Avis délibéré de la Mission régionale de l’autorité environnemental de Bretagne). Là non plus, le comité de suivi ne dispose pas d’un cadre légal pour agir et la seule voie semble être celle du recours.
Des recours gracieux ont déjà été envoyés à la Préfecture du Morbihan par certains riverains et d’autres le seront encore certainement d’ici le 26 septembre, date limite se situant deux mois après l’affichage en mairie de Pénestin de l’arrêté. Cette voie des recours est finalement peut-être plus sage que celle d’un comité de suivi qui n’a, en l’état, pas d’existence juridique, et qui pourrait vite se retrouver les mains liées.
Avec à cela encore une raison supplémentaire : l’« autorisation préfectorale au titre du domaine public maritime et des cultures marines » n’a toujours pas été promulguée, or, selon l’article 4.2 de l’arrêté du 23 juillet, sa propre application est suspendue à la publication de ce deuxième arrêté, au moins pour la partie concernant le réseau d’alimentation en eau de mer. Cela signifie que l’on peut aujourd’hui défricher, mais que l’accès à l’eau de mer pour remplir les bassins de décantation reste soumise à cet arrêté qui tarde de façon inquiétante, d’autant plus que l’on a connu en août un changement de préfet. Une gestion prudente de l’argent public commanderait de ne pas engager de dépenses alors que 1) il y a des recours, et 2) il manque un des deux arrêtés.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Il est possible qu’on paie aujourd’hui un certain nombre de carences, de maladresses et de manques à la fois d’écoute et d’anticipation. L’hypothèse formulée dans l’article précédent, selon laquelle la Préfecture aurait choisi de ne pas suivre Cap Atlantique dans un dossier peu soutenu par la profession et entaché d’irrégularités, est loin d’être absurde. Si c’était le cas, il faudrait envisager sans tarder le « coup d’après » : vérifier la volonté des candidats aux prochaines Municipales d’organiser une négociation en lieu et place de l’actuel comité de suivi, qui permettrait d’élaborer enfin une solution pour ce dossier qui est vital pour Pénestin, pour ses mytiliculteurs et pour ses habitants.
J’anticipe ici les réflexions qu’on pourra légitimement me faire en précisant que j’ai ajouté le dernier paragraphe afin de ne pas laisser sans réponse les interrogations que cet article pouvait susciter. Je reconnais qu’il outrepasse l’approche journalistique, mais la fonction d’un journaliste n’est pas uniquement de rapporter des faits et d’en proposer des analyses. La vérité prend de multiples formes et le journaliste peut aussi assumer, comme me le disait quelqu’un aujourd’hui, la fonction de « poil à gratter ». Albert Londres disait qu’il faut « porter la plume dans la plaie »… J’ajouterai que je n’ai aucune ambition personnelle et que je ne suis candidat à rien.