VAGABONDAGES

par Pierre Blaize

L’appel de Gérard à nous exprimer sur notre vie en ce moment est séduisant, j’y souscris volontiers. Devant mon ordinateur, je n’ai pas le vertige de la page blanche mais le vertige de ce que je voudrais écrire le mieux possible et qui tourne dans ma tête, passant d’une pensée à une autre. Tout en vous donnant l’envie d’aller jusqu’au bout.

J’ai choisi ce titre « Vagabondages » car c’est un coq-à-l’âne permanent traduisant ce qui a traversé mon esprit aujourd’hui. C’est l’illustration que, pour notre esprit, le mot confinement ne signifie rien.

Ce matin du 20 mars, je me suis réveillé en me raclant la gorge. Cela fait plusieurs jours. Une pensée fugitive, le coronavirus ! Holà Pierre, pas de panique ! Au printemps, le soleil nous attire dehors, mais comme l’on dit, le fond de l’air est frais.

Au petit déjeuner, la radio nous accompagne égrenant les mauvaises nouvelles. On peut croire que le monde s’est arrêté, que les Syriens ne se font plus massacrer, que les dictatures ont disparu, que les réfugiés ne frappent plus à une porte qui se ferme de plus en plus. Le coronavirus ne fait pas que tuer des gens, il rétrécit le monde.

Ces mauvaises nouvelles nous rappellent aussi l’essentiel, avoir des services publics de qualité dotés des moyens de leurs missions hors d’un carcan financier à courte vue. Les économies faites jusqu’à aujourd’hui se payent maintenant comptant au prix fort. Adieu la règle stupide des 3% de déficit du PIB que le président Sarkozy voulait inscrire dans la constitution. Les leçons de cette pandémie seront-elles suivies d’effet, y compris en matière environnementale ?

Coïncidence ou pas, je viens de finir la lecture d’un livre que j’avais déjà lu il y a 40 ans, « La fin du rêve » de Philip Wylie. Sorti en 1974, c’est un livre de science-fiction ou mieux d’anticipation, Il décrit la situation de l’humanité en 2023 et comment elle en est arrivée là. Un récit prémonitoire dans lequel l’auteur décrit d’une façon clinique la destruction de l’humanité causée par son comportement. Tout ce qui est décrit est malheureusement en germe aujourd’hui si nous ne réagissons pas.

John Brunner, autre auteur de science-fiction, écrit dans la préface : « Un jour peut-être des archéologues venus de quelque autre planète auront-ils l’idée d’ériger un monument commémoratif de notre disparition. Si tel est le cas, ils ne sauraient choisir meilleure épitaphe que celle-ci : Ci-gît une race capable de pensée, mais trop paresseuse pour être allée au bout de sa pensée. »

Tiens mon smartphone « bipe », un WhatsApp de mes enfants. Deux petits films et des photos de nos petits-enfants souriants nous montrent à quoi ils occupent leurs journées. Ils voudraient sortir, mais en région parisienne, c’est difficile. Il faudra que je leur rappelle qu’à Pénestin je devais les supplier de sortir se promener alors qu’ils ne voulaient pas interrompre un jeu à l’intérieur ou une lecture.

Une info à la radio, les nouveaux maires ne seront pas installés avant la fin du confinement. J’ai une pensée pour JC Baudrais qui va devoir exercer son mandat plus longtemps. Lui et moi ne nous sommes jamais compris mais il n’empêche que je le plains de devoir continuer alors qu’il aurait besoin de repos.

Habituellement à cette époque, je me prépare à la venue de mes petits-enfants, je suis un peu « speedé » comme ils disent. Je révise les vélos, prépare les balançoires et le trampoline, range les jeux et les jouets dans les chambres. C’est fou comme notre logique d’adulte est différente de celle des enfants. Mélanger dans le même jeu les ustensiles d’une dînette et des figurines de super héros ne les dérange pas. Sans doute leur imagination n’est pas encore bridée par la raison.

Ils ne vont pas venir aujourd’hui ni demain, j’ai tout mon temps et ça me fait tout drôle. Peut-être les verrais-je au mois de mai ?

A la place, ce matin, un peu de jardinage. Les mauvaises herbes ont envahi les parterres. Sont-elles si mauvaises que ça ? C’est nous qui les nommons ainsi parce qu’elles refusent de se plier à nos désirs. Je les arrache à regret mais je ne sais comment leur dire de partager raisonnablement le parterre avec les fleurs que je veux offrir aux butineurs.

En retournant la terre, je mets au jour de magnifiques lombrics, gras à souhait. Il me vient à l’esprit un article de Science et Avenir accompagné d’une carte montrant l’extension en France du ver plat nommé « Obama nungara ». Rien à voir avec l’ex-président des États Unis, ça veut dire « animal plat comme une feuille » en langage amérindien Tupé. Cette espèce envahissante venue d’Argentine  dans des pots de fleurs dévore nos lombrics et nos escargots. Un exemple des conséquences de notre comportement irréfléchi trop souvent soumis aux injonctions de la publicité et à l’attrait de la nouveauté.

Au-dessus de ma tête, un rouge-gorge attend que je lui laisse la place pour se régaler. Je le connais depuis des années, il chante toujours perché au sommet du même arbre. Dans la Hulotte, petit semestriel sur la nature, j’ai appris que les rouges-gorges étaient des parieurs. En effet, à l’approche de l’hiver, certains décident de passer la mauvaise saison sur place au risque de mourir de faim si l’hiver est rude, mais avec la certitude, s’ils survivent, de garder leur territoire et d’augmenter leurs chances de séduire une femelle. Les autres, prudents, s’envolent vers des régions plus clémentes, mais avec,  au retour, la quasi-certitude de ne pas avoir de territoire ou et de devoir se battre pour en obtenir un et peu de chance d’avoir une descendance.

J’avais l’intention de passer la tondeuse, malheureusement elle ne démarre pas. J’avais prévu de la faire réviser  mais je n’ai pas vu passer l’hiver et aujourd’hui, Meca Service est fermé, trop tard. Tant pis pour moi. Je me console en me disant que ça aurait été dommage de gâcher le silence que nous avons retrouvé. J’ai la chance d’être dans un endroit tranquille mais aujourd’hui, je me rends compte que, malgré tout, j’étais entouré de bruits de voitures, de motos et d’autres engins bruyants (j’y participais aussi avec les miens).

Un battement d’ailes interrompt ma réflexion. C’est un faisan qui appelle ses femelles. Comme tous les ans, mon jardin sert de refuge aux oiseaux lâchés pour les chasseurs. Cette année, ils sont tranquilles et se laissent approcher davantage qu’auparavant. En voilà pour qui le coronavirus est une bénédiction.

Le désherbage fini, il me reste un peu de temps avant le repas de midi. Je décide de lasurer les sièges de la balançoire. Zut, plus de lasure. Mon voisin m’en passerait volontiers mais ce n’est pas la bonne teinte. Maison service est fermé ! C’est à travers de petits faits comme cela que l’on s’aperçoit à quel point notre vie est facile grâce à tous les services à notre disposition. Et encore, nous des anciennes générations, nous avons gardé l’habitude d’anticiper un tant soit peu les besoins. Mais nos enfants, accrochés à leur smartphone, sont habitués à tout avoir à disposition sur un simple « clic » comme il est dit dans les publicités. Ils vont sans doute avoir plus de mal que nous à passer ce cap difficile. L’économie libérale a proscrit le mot stock comme étant un frein à la croissance du PIB. Un stock, c’est de l’argent qui dort, une hérésie pour ces économistes. Le seul stock admis est celui qui circule dans les camions. La crise du coronavirus va-t-elle faire évoluer cette vision ? Ce serait l’occasion de le faire, on peut rêver.

Ce matin, j’ai croisé une de nos chères infirmières, le masque sur le visage. Elle plaisante : « Vous ne me reconnaissez pas ? » Mais si bien sûr, je la reconnais, mais comment a-t-elle le courage de plaisanter alors que ses journées sont encore plus fatigantes que d’habitude. Elles ne peuvent plus recevoir les patients au cabinet et passent leur journée sur la route. Et pour ses enfants, comment fait-elle ? Et pour les commissions ? Va-t-elle tenir le coup dans la durée ? Plein de questions auxquelles elle n’a pas le temps de répondre, sa course continue pour notre service.

Mon vagabondage est terminé pour aujourd’hui, j’espère qu’il vous a intéressé. A travers ces réflexions à propos de tout et de rien, j’ai souhaité faire transparaître le besoin que nous avons les uns des autres et notre lien avec la nature. Merci de m’avoir lu.

Pierre Blaize

3 commentaires sur “VAGABONDAGES”

  1. Il y a quelques jours, dans le temps lointain d’avant le confinement, j’hésitais encore à rejoindre Pénestin et notre très chère plage du Loguy. Merci Pierre de nous faire le cadeau d’humer, respirer, regarder Penestin par le truchement de votre jolie plume !

  2. Encore une fois merci à Gérard pour son blog toujours intéressant et d’autant plus utile et précieux par les temps qui courent. Merci aussi à toi Pierre . Nous partageons beaucoup de ton quotidien (si tu te decides à faire du bruit avec une tondeuse thermique, dis le moi…je t’en déposerai une devant chez toi, une qui démarre, à l’occasion d’une de mes sorties exceptionnelles). A bientôt à tous. Joëlle K

    1. Un bon moment pendant cette lecture qui coule toute seule et qui nous montre que le printemps est arrivé : dame nature s’en moque du coronavirus . Merci Pierre !
      Riche ou pauvre, de droite ou de gauche , dimanche dernier pour une liste ou une autre , aujourd’hui nous sommes tous confinés et ressentons déjà l’absence de famille ou d’amis .
      “un seul être vous manque et tout est dépeuplé” ! on mesure l’importance de la vie sociale !
      Le positif c’est que nous travaillons tous dans nos jardins : Les jardins de Pénestin vont être nickel ! merci Pierre de nous mettre de temps en temps d’aussi jolie prose et en attendant les livres sont là pour combler l’absence de sorties .

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