Vous vous souvenez ? A l’époque, il y avait des clubs photo où l’on passait la pellicule dans son bain révélateur, puis dans deux autres encore pour la développer. Il y avait aussi des ciné-clubs où l’on se retrouvait pour voir ensemble des films, puis pour en discuter avec des personnes averties qui vous apprenaient des tas de choses sur l’histoire du cinéma, ses courants, ses grands (et petits !) représentants, ses œuvres mythiques et magiques.
Il y avait alors une idée forte : celle que l’on pouvait éduquer le regard. Maintenant que nous sommes littéralement submergés d’images, nous avons l’impression de tout connaître de leur fonctionnement. Pffui ! Quelle illusion ! Nous avons un regard banalisé sur des images banalisées ! Et nous serions certainement bien incapables de distinguer entre les différents aspects d’une image : son cadrage, sa composition, sa lumière, la façon dont elle s’articule avec celles qui la précèdent et la suivent, avec la bande-son…
Un exemple ? Le début du Chien Andalou, de Luis Buñuel et Salvador Dalí, 1928, juste avant le passage du muet au parlant. Je devrais pouvoir vous montrer la séquence entière sur ce blog, mais je n’ai pas encore appris à insérer des vidéos. Voici donc un photogramme, un instantané. Qu’en dites-vous ?
Oui, vous allez dire que c’est horrible, insupportable, une provocation ! C’est bien du Dalí, ce cinglé à moustaches, qui prétendait que la gare de Perpignan était le centre du monde. Oui, là il s’est trompé : le centre du monde, c’est entre Hoedic et Houat, je vous dirai plus tard pourquoi…
Nous avons un regard banalisé sur des images banalisées !
Alors, qu’est-ce qu’ils ont voulu dire, ces deux illuminés, dont c’était le premier film ? Voulu « dire » ? Non : si on parle de « dire », ce sont des mots. Or là, il s’agit d’une image. S’ils avaient « voulu dire », ils l’auraient dit. Avec des mots. Là, ils ont signifié quelque chose avec une image. Après, se servir des mots pour essayer de comprendre une image, ce n’est pas du tout absurde : c’est un exercice de réflexion et de partage, car les mots sont un moyen pour échanger nos idées. Mais un cinéaste, son moyen, son outil, sa brique : c’est l’image.
Première chose, ils comparent cette image avec une autre placée bout à bout : un nuage effilé traverse la lune. Même mouvement de droite à gauche, la lune est ronde comme l’oeil, le nuage « tranchant » comme le rasoir. Quand vous aurez cessé de frissonner, vous me direz sans doute que c’est une métaphore. Bien vu (ou « bien dit », si vous préférez). Un peu plus qu’une métaphore, pas loin d’une allégorie. Buñuel et Dalí fréquentent les Surréalistes à Paris, ils prennent la matière de leurs rêves pour écrire le scénario. Vous avez aimé Eluard, Breton… ?
La lune et le nuage, cela donne de la hauteur, pour parler simple. Le mythe, la science, la religion, le savoir, la croyance… On lève les yeux à la recherche d’une… vérité, peut-être. Et les yeux, l’oeil, justement ? Le regard. Sur les images. Le spectateur, puisque cela se passe dans un film. Oui, le spectateur de cinéma. Non, cet œil ne veut pas dire « le spectateur de cinéma » ! C’est une image. Une image forte, par son contraste, pour commencer, entre le visage féminin et la violence de cet acte de le trancher. Et cette violence, elle a à la fois un sens et un contexte.
Lui apprendre à voir, à cet œil qu’elle aveugle ??
Elle modifie l’oeil de la façon la plus abrupte qui soit. Mais métaphoriquement, puisqu’il a été question de savoir, de vérité : elle ne serait pas en train de l’éduquer, le redresser, lui apprendre à se tenir droit, à se poser, à voir, quoi, à cet œil qu’elle aveugle ?? C’est un peu de la dialectique, il faut mourir à son ancien regard pour qu’en naisse un nouveau…
Mais pourquoi faut-il donc user pour cela d’une telle violence, avec un bourreau sans visage qui tranche au milieu d’un visage, l’acte le plus horrible qui soit ? Vous vous souvenez qui étaient les ennemis des Surréalistes ? Ceux à qui étaient destinées toutes leurs provocations ? Les bourgeois, pardi ! Ressortez vos Flaubert ! Ou souvenez-vous du jour où vous avez traité votre père de bourgeois ! Si vous êtes plus jeune, faites-vous raconter.
Le bourgeois, c’est le conformisme. C’est un regard porté sur le monde qui banalise tout ce qu’il atteint. Aller contre le conformisme, contre la banalité, c’est un combat, une lutte à mort. C’est bizarre, non ? il n’y a plus de bourgeois, le mot a disparu, les petits-bourgeois d’antan sont devenus la classe moyenne, moyenne sup et moyenne inférieure pour faire plus crédible. Quant au conformisme et à la banalité… Ils sont encore là et bien là. Il ne reste plus qu’un Sylvain Tesson et quelques rares autres pour les combattre encore.
Et le cinéma !! Le cinéma pour nous montrer des images vraies et fortes, pour nous changer de la lavasse de la pub qui ronronne partout et tous les jours, qui joue aussi des métaphores, mais qui jamais n’atteindra la puissance de cet œil tranché par un nuage !
Vous l’avez déjà vu, ce film ? C’est comme un poème, c’est encore meilleur la deuxième fois !
Tout ça pour dire que c’est une super idée de lancer un ciné-club à Pénestin. Vous avez déjà vu tel ou tel film à la télé ? Ou même dans une salle de ciné pop corn ? Revoyez-le en contexte, avec d’autres, discutez-en, cela n’a rien à voir. Vous jetez un poème à la poubelle après l’avoir lu ?
Isabelle a été assistante de programmation au MK2 à Paris, Boccarossa réalisateur de cinéma indépendant, Alain Ganne ingénieur du son. Profitons de leur expérience et de leurs connaissances.
Le ciné-club fonctionne sur un principe associatif. Capciné a adhéré à la fédération Interfilm qui regroupe environ 300 ciné-clubs en France, preuve que le principe continue ou recommence à intéresser pas mal de monde.
6 séances sont prévues jusqu’à l’été, le dernier lundi de chaque mois à 20 h 30. Le prix des places a été calculé pour équilibrer celui de la location des films à Interfilm tout en restant accessible : 5 euros. Ce prix de location est de 90, 160 ou 250 euros selon les films. Les plus chers n’ont pas été retenus et le budget total est de 900 euros, si l’on inclut l’assurance et les divers frais. Tout le reste, la com, la préparation… : c’est du bénévolat. N’allez pas leur demander si leur assoc est bien à but non lucratif !
Je dis tout ça parce que Malraux était un exceptionnel cinéphile qui a écrit que « le cinéma est un art ; et par ailleurs, c’est aussi une industrie ». Et parce que Godard avait repris à son compte la citation de Mao : « Il faut toujours avoir les chiffres en tête ».
Dans un ciné-club, on n’achète pas sa place à l’unité, on paie son adhésion à l’association. 6 x 5 euros : 30 euros. Mais comme ils sont sympas, vous pouvez céder votre place à une autre personne si vous avez un empêchement. Vous pouvez même parrainer quelqu’un qui viendra une fois pour voir et paiera 5 euros. Pour adhérer, les infos sont sur : https://capcinepenestin.fr et vous contactez Isabelle.
Le calcul est facile : ça fonctionne s’il y a 30 adhérents. Et la salle socioculturelle est limitée à 40 places par temps de covid. Sinon, il paraît que toutes les assoc de ciné-club reçoivent une subvention de leur mairie. Ici, je n’ai pas vérifié, mais il me semble qu’ils n’ont même pas encore fait de demande.
Bons films ! (tant pis, je crois que je vais renoncer à rédiger une deuxième partie à l’article précédent sur Le Corbeau…)(27.1 – oui, ce n’était pas la peine. Tout ou presque se trouve dans la conférence dont le lien est donné par Guy Gouret dans les commentaires.)
Programme
Excellente initiative ! Bravo !
Pourquoi le centre du monde est-il entre Hoedic et Houat ?
Un peu de patience. On en reparlera.
Gerard, merci de tes analyses passionnantes…
A écouter/voir pour se préparer à ce 1er film : https://www.cinematheque.fr/video/1135.html
et à son contexte
Génial !!
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