L’éboulement du Maresclé et ses suites : il faudra créer une commission extra municipale

Hier lundi, je reçois d’abord la visite de Jean-Claude Ménard, spécialiste des questions d’érosion et de submersion marine, président de l’Association « Estuaire Loire et Vilaine ». La revue du même nom qu’il dirige a proposé en 2020 deux numéros spéciaux, l’un sur les questions d’érosion (1) et l’autre sur celles de submersion. Nous descendons à la plage pour constater l’état de la falaise 4 jours après l’apparition d’une percée d’eau qui creuse inexorablement une impressionnante faille dans la roche, menaçant le sentier côtier qui la surplombe. Diagnostic du jour : la situation empire lentement mais sûrement. Le débit d’eau qui s’était légèrement ralenti dimanche après-midi a retrouvé toute son intensité, avec par moments des accélérations par saccades brusques et sonores. « Ca » travaille. La nature travaille, elle prend son temps, mais ne nous y trompons pas : elle avance coûte que coûte et nul ne pourra stopper sa marche. J.-C. Ménard rappelle qu’à la Mine d’Or, la falaise a reculé de 40 mètres en une cinquantaine d’années. 40 mètres…

Il craint que les fortes marées actuelles, avec un coefficient de 102 ce mardi matin, attaquent la falaise par le bas, complétant l’action du ruissellement qui opère de haut en bas. Lorsque la houle est importante, les vagues creusent des cavités au bas des falaises et produisent des secousses et des chocs qui déstabilisent l’ensemble. Un enrochement pourrait constituer une protection contre ce déchaînement périodique des éléments, mais le scientifique conseille plutôt l’usage de boudins « géotextiles » remplis de sable, qui absorbent la force plutôt que de s’y opposer frontalement (https://cosaco.univ-littoral.fr/wp-content/uploads/2018/03/Techniques-douces-ANCORIM-1.pdf ). Face à leur manque d’esthétique, on peut considérer qu’ils constituent un moindre mal dans la mesure où ils sont souvent en partie recouverts de sable (et que d’autres solutions sont pires!)

exemple de boudins géotextiles en France

La chute de la canalisation du tout-à-l’égout pourrait provoquer une pollution sévère

J.-C. Ménard observe aussi que le bas de la falaise semble composé de roche plutôt dure, l’argile étant complétée par du micaschiste. Cela rassure en partie sur la solidité de la falaise, mais sans se faire d’illusions. Par ailleurs, là où aboutissent les chutes d’eau, on observe désormais la présence de gravier provenant des ajouts « humains » sur le haut de la falaise : le sentier, bien sûr, mais aussi une canalisation devenue très apparente en bord de falaise, celle du tout-à-l’égout installé en 2012. Si la falaise s’effondre, même partiellement, cette canalisation chutera avec et se cassera, causant une pollution de l’océan qui affectera les milliers de bouchots installés entre la plage et l’île de Bel Air. Le service compétent de Cap Atlantique sera ou a été prévenu, mais il y a urgence et cela fait encore une journée de perdue. On peut imaginer qu’il faudra couper, ou plus précisément dévier, le tout-à-l’égout, et peut-être nettoyer les canalisations, si les conditions de sécurité le permettent, sans attendre qu’elles soient détruites par la chute de la falaise.

Evidemment, on ne remercie pas les services qui ont installé cette canalisation en bord immédiat d’une falaise fragile vouée à reculer tôt ou tard. De plus, il a fallu forer et creuser une tranchée pour procéder à cette installation, ce qui a créé des points de drainage et d’écoulement des eaux pluviales. Ces opérations sont sans doute l’un des jalons qui ont accéléré la dégradation du système. On peut aussi s’interroger sur la nécessité d’abattre, il y a 4 ans, le grand pin qui contribuait à retenir la falaise par ses racines et dont la chute l’a endommagée. De même pour ce qui concerne le goudronnage sur 200 mètres environ du sentier côtier : une artificialisation de ce type a nécessairement un impact sur les circuits de l’eau. Espérons que les responsables qui auront la charge des prochaines décisions feront l’analyse de ces actions passées, car ce sont en partie les mêmes qui étaient déjà aux manettes à l’époque.

On découvre aussi, au fil des conversations, qu’il a existé il y a longtemps de cela un terrain de camping officieux sur l’un des terrains faisant face à la brèche dans la falaise. Il ne regroupait que quelques familles, mais disposait d’une arrivée d’eau. Il n’est pas certain qu’elle ait été coupée dans les règles de l’art : à vérifier. Un riverain aujourd’hui décédé avait aussi installé une buse encore visible en haut de la falaise afin d’écouler les eaux de son terrain. Pluviales ou usées : on ne le sait pas avec certitude. Il y a deux ans, la SEPIG était aussi intervenue pour rechercher les causes d’un écoulement anormal depuis l’un des terrains, en direction du sentier qui descend à la plage. Arrivé sur les lieux, M. Mahé, adjoint au maire chargé des réseaux, demande si l’eau de pluie qui ruisselle des toits des maisons du quartier est récupérée et canalisée. Il connaît par avance la réponse. Cette eau s’infiltre dans le sous-sol des terrains et… vit sa vie ! 

Le test réalisé lundi prouve que l’écoulement ne vient pas de la rupture d’une canalisation

Il revient justement aux services de la SEPIG, venus ce lundi plus nombreux et équipés du matériel nécessaire, de procéder à un test afin de déterminer si l’eau qui ruisselle le long de la falaise provient de l’une de leurs canalisations d’eau potable. Ils s’y reprennent à plusieurs fois pour parvenir à couper l’arrivée d’eau pour les habitations du quartier et vérifier ensuite si le ruissellement se poursuit sur la falaise. Un peu après 11 heures, l’eau est enfin coupée. Un délai de 20 minutes, puis retour à la plage : l’eau continue à s’écouler comme auparavant. Par acquit de conscience, ils prolongent la coupure jusqu’en début d’après-midi, mais le résultat est identique.

L’hypothèse qui se fait jour est que les fortes pluies du début de la semaine dernière ont saturé les sols, puis, comme le dit l’un des agents de la SEPIG, que l’eau a trouvé son chemin. Il est possible qu’elle se soit accumulée dans une cavité proche de la falaise en produisant un effet de pression qui aura fait éclater la roche et libéré sa sortie. Tout cela est assez flou, et il n’est pas certain qu’on aboutisse à une explication plus précise. En revanche, si c’était le cas, espérons (je me répète) que les organismes et services chargés de cette recherche auront la démarche d’informer le public au lieu de se soustraire à sa curiosité, qui est aussi une forme de contrôle citoyen sur un sujet dont les implications sont extrêmement lourdes, je vais y venir.

Précisons auparavant que la sécurité est renforcée. Les barrières qui bloquent le passage sur le sentier sont attachées les unes aux autres. La police municipale organise des rondes. J.-C. Ménard explique que le risque est réel, et que cela n’a pas de sens, même pour des riverains ou pour des habitués de cette partie du littoral, de se mettre en danger en traversant malgré tout. C’est lui aussi qui offre à Gérard Picard-Brétéché, en charge de la sécurité dans la commune, une évaluation du risque au bas de la falaise : oui, il faut installer des poteaux et des rubalises pour empêcher les curieux d’approcher. L’ensemble peut s’effondrer brutalement et brusquement à tout moment, et je m’associe aux conseils d’extrême prudence formulés par les uns et les autres.

Les barrières interdisant l’accès à la plage vont contre un principe de base de la sociologie

Cependant, dans l’après-midi, des barrières sont installées en haut du chemin d’accès à la plage pour interdire le passage, avec un panneau « risque d’éboulement ». J’ignore de quel service de la mairie ou de quel élu émane cette décision. En effet, ce n’est pas la plage en elle-même qui est dangereuse, mais uniquement la partie sous la falaise, qui est à présent amplement signalée. J’ai expliqué en tous cas pour ma part à M. Picard-Brétéché, qui n’y est pour rien, qu’il est contre-productif de vouloir imposer des règles ou des interdictions disproportionnées par rapport à l’objectif visé, car les intéressés s’habituent dès lors à les outrepasser, et cette habitude tend à s’ancrer dans leurs comportements. Je sais que les tenants d’une démarche autoritaire d’un côté et disciplinée de l’autre ne seront pas d’accord avec cela, mais je m’appuie ici sur un principe de base de la sociologie : les faits sociaux ne sont pas régis par des liens automatiques de cause à effet comme le sont les faits physiques. Les acteurs sociaux sont doués de volonté et d’une capacité de réflexion. Max Weber a montré il y a un siècle déjà qu’ils interprètent les situations auxquelles ils sont confrontés et élaborent leurs « réponses » en fonction de cette interprétation.

Si je fais à présent le bilan des diverses conversations auxquelles j’ai assisté ces derniers jours, il apparaît que des décisions importantes devront être prises, qui affecteront l’aménagement de la zone limitrophe entre Maresclé et Loscolo, la vie des riverains et le tourisme. Deux alternatives se posent :

1 – faut-il tenter de protéger le plus longtemps possible la falaise (et si oui, de quelle façon ?) ou faut-il prendre acte de son recul inexorable et laisser faire la nature ? S’il y a effondrement ces prochains jours, la question se reposera en fonction de la nouvelle disposition des lieux qui en ressortira.

2 – faut-il se contenter de modifications uniquement ponctuelles du chemin côtier (notamment un déplacement en cours de négociation de quelques mètres sur le terrain en face de la partie fermée actuellement) ou faut-il revoir beaucoup plus radicalement le plan de ces sentiers afin de se préparer à des évolutions du trait de côte au-delà des 5 ou 10 prochaines années ?

Tout cela justifie largement la création d’une commission extra municipale

Ces questions valent aussi pour l’autre falaise de la plage du Maresclé de l’autre côté du sentier d’accès Sud. On les retrouve aussi, bien sûr, à la Mine d’Or du côté de la jonction avec Poudrantais. Elles impactent profondément la vie des usagers de la plage et du sentier, qui arpentent celui-ci jour après jour, s’y retrouvent, s’y installent sur les bancs pour lire face à la mer ou converser, y invitent leurs proches, y courent, y promènent leur chien. Il y a là une vie tout autant personnelle que sociale, qui est au coeur de ce qu’on peut considérer comme un art de vivre précieux aux yeux des habitants de notre commune.

L’importance de ces enjeux en termes d’identités individuelles et collectives, d’une qualité paysagère exceptionnelle, de protection de la biodiversité dans la coupure d’urbanisation entre Maresclé et Loscolo, d’une économie du tourisme qui draine vers notre littoral des touristes venus parfois de l’autre bout du monde, le fait que ces questions n’aient pas été anticipées et discutées lors de la campagne électorale (2), et leur déploiement sur une échelle de temps longue, tout cela justifie très largement qu’il soit demandé au conseil municipal de créer un comité consultatif, nom officiel des commissions extra municipales. J’en fais la demande ici. Il serait souhaitable que cela soit discuté dès le prochain conseil ce mois-ci.

Il faut savoir aussi que les questions concernant les sentiers ou chemins littoraux sont régies par des règles qui ont été précisées par la loi Littoral de 1986. Toute modification ou suppression d’un sentier côtier doit faire l’objet d’une enquête publique (article L121-32 du Code de l’Urbanisme). Il est d’autant plus important que ces questions soient abordées dans leur dimension vécue et dans leurs implications sociales et environnementales par des riverains, usagers, associations et élus, afin de préparer cette étape à venir de l’enquête publique qui, malgré son nom, court le risque de donner la priorité à des approches plus techniques, voire technocratiques. Pour illustrer cela, je rappelle par exemple que si c’est bien le maire qui a appelé l’agent d’astreinte de la SEPIG dimanche matin, comme indiqué dans Ouest-France ce matin, c’est Albert D., un Pénestinois de base, qui avait remis sur la table cette idée (« il suffirait peut-être qu’ils ferment un robinet quelque part pour faire cesser l’écoulement »…), ensuite transmise au maire par téléphone, devant moi, par M. Picard-Brétéché. Je pourrais citer d’autres exemples de la pertinence et de l’inventivité des idées proposées par de “simples” habitants, qui suppléent parfois à des oublis ou des manques de la part des élus ou des techniciens.

Les commissions extra municipales ne sont pas une question d’opinion, mais une nécessité

J’avais déjà proposé la création d’une commission extra municipale sur les questions de sécurité routière et des pistes cyclables dans le centre bourg. J’y reviendrai aussi très prochainement. Le maire m’avait répondu en date du 24 novembre 2021 qu’il n’y était pas opposé et qu’il reviendrait vers moi après avoir recueilli les avis de ses adjoints fin novembre, et du groupe majoritaire début décembre. A ce jour, j’attends sa réponse sur un sujet dont l’urgence et l’importance sont comparables à celles du littoral à présent.

La mise en place de commissions permettant un dialogue entre élus et citoyens n’est pas une question d’opinion, c’est une nécessité. M. Lebas et son équipe réclament un tel dialogue dans le bulletin municipal de janvier et pointent l’illégalité de la consultation sur le devenir de l’ancienne mairie et le silence observé face à ses questions en Conseil municipal. Il converge avec les critiques formulées de longue date par M. Boccarossa et son équipe. Il est extrêmement probable que certains membres de l’équipe majoritaire se sentent proches eux aussi, en leur for intérieur, de ces demandes. Il serait tellement plus simple que le maire décide une bonne fois pour toutes de suivre les principes sur lesquels il s’était lui-même engagé lors de sa campagne.

Un dernier point, sur ma situation personnelle. Je me retrouve engagé sur ces deux dossiers sur un mode qui est plus celui d’un acteur que d’un journaliste. Ce que Raymond Aron appelait un « spectateur engagé ». Je tiens à préciser, à rappeler, que je n’ai aucune ambition personnelle. Ma position actuelle provient de la crédibilité acquise par le blog penestin-infos, malgré les procès qui lui sont faits (au sens figuré heureusement), après 3 ans et demi d’activité et plus de 400 articles publiés. Pour ma part, j’aspire avant tout à mener à terme mes projets d’écriture. Lorsque je considère que je dois intervenir sur un sujet et lui consacrer du temps que je prends sur ces projets, c’est parce que je suis profondément citoyen dans mon mode de fonctionnement, mes réflexes et mes réflexions. Le maire a semblé le comprendre la semaine dernière en m’écrivant afin de me remercier de mon « civisme » pour avoir prévenu ses services de l’éboulement du Maresclé et lui avoir permis de prendre rapidement les mesures nécessaires. Qu’il renonce donc à me prêter des intentions que je n’ai pas et à me faire de faux procès. Beaucoup peuvent témoigner que je suis une personne tout à fait fréquentable.

(1) Je vous reproduis ici l’article très complet et très intéressant sur l’érosion du littoral dans la Lettre Ouverte de l’association Estuaire Loire et Vilaine de juin 2020 :

Erosion-du-littoral-NL-juin-2020

(2) M. Boccarossa me signale que la question du recul du trait de côte et du réaménagement des sentiers côtiers a été abordée dans le cadre de sa campagne électorale, puis dans l’une de ses lettres ouvertes et enfin lors d’une question en Conseil municipal. Selon lui, elle aurait dû être abordée dans le cadre de l’élaboration du nouveau PLU plutôt que d’une commission extra municipale.

1 commentaire sur “L’éboulement du Maresclé et ses suites : il faudra créer une commission extra municipale”

  1. “la falaise a reculé de 40 mètres en une cinquantaine d’années. 40 mètres…”… Il s’agit à l’évidence d’une grosse coquille. C’est un rythme observable sur les littoraux meubles pour ne pas dire dunaires. Au mieux (ou au pire), un recul très ponctuel d’une grosse dizaine de mètres a eu lieu aux abords des ouvrages betonnés comme les escaliers qui renvoient l’énergie des vagues. Ces ouvrages ne se retrouvent pas pour autant en postes avancés sur la plage.
    L’érosion observable depuis quelques jours au Maresclé est due à un phénomène de suffosion très certainement renforcé par nos aménagements. Un changement d’échelles s’impose car les facteurs pouvant créer ce ravinement peuvent non seulement être multiples, mais également provenir d’espaces distants et s’inscrire dans le temps long…
    Une certitude : la problématique de l’évolution du trait de côte n’a pas fini de nous faire parler car les points de faiblesse vont indéniablement en s’accentuant sur notre commune.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *