Ils sont nombreux, à Pénestin, à avoir développé un talent, à créer au jour le jour, inspirés par un cadre fait de lumière et de vent. Un lieu un peu magique où le sel colore l’herbe en bleu, où les falaises, les fameuses falaises, ont viré au brun orangé, où le ciel du soir est parfois rose, la mer bleu layette. Un lieu ouvert / offert à l’imagination, avec son port, ses îles et ses chemins dans les landes.
Vous y trouverez des peintres, bien sûr, ravis d’une telle palette de couleurs. Vous y découvrirez des cuisiniers, des jardiniers, des ornithologues, des marins, des marcheurs, des défricheurs.
Mais une place particulière doit être faite aux écrivains, ces princes de l’imagination qui, en quelques signes tracés sur le sable, créent ou recréent des mondes. Romanciers, poètes, bloggeurs, historiens : ils explorent les limites, les frontières, les passages que leur évoque la rencontre grandiose entre terre et mer.
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Thierry Fériot est écrivain. Il est le premier de la longue liste à venir des « Talents de Pénestin ».
Thierry a publié deux romans, écrit des centaines de poèmes dont une partie seulement est publiée, et rédigé des dizaines de nouvelles, toutes inédites. Il est aussi sculpteur et graveur. Il travaille à un troisième roman. Il publie cette année un essai : « Réflexions sur les femmes et l’amour, la vie, la philosophie, la politique », aux éditions du Traict, à Mesquer.
A 57 ans, voilà un homme certainement bien occupé, penserez-vous. Oui, il est occupé… comme tout le monde ici à Pénestin : il va à la pêche, il passe boire l’apéro chez des copains, il rend visite à sa maman… Et si je vous disais que c’est à la plage que vous le trouverez le plus facilement, dès que le temps s’y prête ? Sous son parasol jaune, il lit et écrit, à moins qu’il ne contemple les vagues et l’horizon pendant des heures.
Il contemple, c’est ainsi qu’il se définit le mieux : un contemplatif. Contempler, cela ne veut pas dire méditer, même si c’en est proche. La différence ? Lorsque vous méditez, vous fermez les yeux. Dans la contemplation, vous les gardez ouverts. Cela change tout. Dans la contemplation, on garde un lien – et quel lien ! – avec le monde devant soi, qui fournit un appui à l’imagination. Celle-ci peut ainsi « travailler », selon Thierry. Si je le comprends bien, il n’y a qu’elle qui travaille. Le reste peut… « s’absenter » pendant ce temps-là ! Et Thierry se décrit volontiers ainsi : souvent perdu dans ses pensées, un peu « ours », un original, sociable à sa façon, mais qui n’accorde pas sa confiance au premier venu.
Et puis aussi, il faut bien le dire : farouchement indépendant. Il n’admet aucune influence, ne se reconnaît dans aucun courant de pensée : ce serait une forme d’embrigadement, tout ce qu’il déteste ! « Quand on consacre toute sa vie à la création, on ne peut pas être dans la « copie ». S’inspirer d’un autre auteur, ce serait du « plagiat ». » Il faut donc commencer par faire la liste de ses refus. Il est anticlérical. Les Chrétiens, comme les autres religions d’ailleurs, ont trop souvent voulu asservir les autres. Il est antimilitariste. Façon Boris Vian. Ah tiens ! Une référence ?! C’est normal. Boris Vian est comme San Antonio : indispensable !
Ses refus ne sont jamais violents : « dans tout ce que j’écris, il n’y a pas une once de méchanceté. Je n’ai aucune envie d’écraser mon voisin. » Avant, il aurait volontiers mis « sa main dans la gueule à un con », mais avec l’âge, il s’est modéré. C’est un doux que l’on peut taquiner : il se prend au jeu, il ne laisse aucune question sans réponse. C’est un anarchiste : lucide, convaincu, généreux, hostile à toute forme de pouvoir. Façon Léo Ferré. Oh pardon !
Mais alors, quand on a fait la somme (ou la soustraction…) de tous ses rejets, que reste-t-il ? A quoi croit-il ? En quoi consiste son savoir ? C’est bien cela l’objet de son petit bouquin, ses « Réflexions sur les femmes etc. » Ecrire un livre comme celui-ci demande plus d’efforts, explique-t-il, car c’est plus condensé. Un roman a tendance à diluer les idées, les réflexions. Ici, la forme est adaptée à son propos, libre. Il y a des poèmes. Beaucoup d’aphorismes. Peu d’arguments développés, ce n’est pas sa tasse de thé. Des fulgurances, parfois : « Je ne suis plus que l’acceptation de moi-même. »
« Il faut refaire le monde : construire de l’irréel avec du réel, de la survie avec de l’absurde, des mots pour exprimer l’horreur, des cris pour chanter l’amour. » C’est le propre des expressions brèves, condensées, que parfois le livre entier semble se ramasser en une seule phrase… Le livre se lit dans le désordre, chaque page en est le microcosme.
Je chipote un peu : « Cette immobilité qu’est la contemplation me propulse à la vitesse de la lumière vers les prémices de la connaissance de l’advenir de l’être. » Je lui dis que je trouve cela un peu verbeux. « Pompeux ? » Non, pas pompeux, verbeux. On a l’impression que ce sont des mots qui ne reflètent pas autre chose qu’eux-mêmes. Il argumente mot après mot. Chacun a sa place. Le paradoxe de l’immobilité et de la vitesse, celui de se propulser vers des prémices, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas un aboutissement, mais un simple début.
Il défend tout pied à pied. Ses jeux de mots comme la « thérapie de croupes » ou « elle est fine Esther ». Ses affirmations du style « La femme nue sent bon l’homme… ou le gel douche » : « Mais c’est carrément vrai ! Et ce sont des filles qui me l’ont confirmé… » Ses chiasmes émulsifiants : « Si on admet le fait que le monde est parfait d’imperfection, peut-on clamer qu’il est imparfait de perfection ? » « Ici, argue-t-il, c’est le domaine du non-sens, le mélange entre quelque chose de grave, l’imperfection, et quelque chose de rigolo, la dérision, le jeu de mots. » A-t-il parlé de non-sens ou de nonsense, celui des Britanniques ? On prend du plaisir à jouer aux fléchettes avec lui, à l’affronter à fleurets mouchetés. J’espère au moins que ce plaisir a été partagé par lui.
Je ne peux pas repousser indéfiniment la question centrale : « Mais qu’est-ce qui te pousse à écrire ? Je sais bien que Sartre a eu besoin d’un livre entier, « Les mots », pour s’en expliquer… » Il n’aime pas beaucoup Sartre, contrairement à moi. Au début, mettons vers 15, 16 ans, « c’était pour draguer », m’explique-t-il. « Je montrais aux filles ce que j’écrivais. Ça donnait un prétexte. Souvent, c’était des copines qui écrivaient aussi. » Maintenant, il écrit plutôt pour « s’expliquer ». Pas pour se justifier ! Et puis quoi, encore ! Non, pour s’expliquer. Par écrit, lui qui parle très peu. S’expliquer face à ceux qui ne comprennent pas qu’il soit différent d’eux. Est-ce que je me trompe si je crois comprendre qu’il écrit pour essayer de prouver qu’on peut être à la fois comme tout le monde et différent de tous les autres ? Unique, quoi !
Thierry a tellement de choses à dire que lorsqu’il est fatigué d’écrire, il a trouvé l’astuce de sculpter. Je vous en reparlerai dans un autre article. Après le bois de la langue, la langue du bois. Du peuplier, du chêne.
Thierry petit garçon. Les plages de Pénestin sont ses arènes. Sur leur sable, il affronte des taureaux monstrueux. Il rêve de les clouer sur place par la seule puissance de son regard. Ses ennemis sont plus que des taureaux : des minotaures !! Les mots sont ses armes. Il porte un habit de lumière tiré de l’écume des vagues. Aujourd’hui, il n’a pas changé. On ne change pas. C’est ce qu’il affirme, contre moi, contre Sartre. Et puisqu’on n’a pas la ressource de changer, il faut expliquer qu’on est ce qu’on est. Les mots sont là pour ça, tour à tour glaives et banderilles. « Je ne suis plus que l’acceptation de moi-même. »
1994, Poèmes, Ed. Sol Air, Nantes
2003, La larme d’éléphant, Ed. du Traict, Mesquer
2013, Madji, Ed. Sokrys, La Baule
2018, Réflexions sur les femmes et l’amour, la vie, la philosophie, la politique, Ed. du Traict (en vente au Carrefour Market de Pénestin).
Contact : 06 28 07 86 31, tferiot@gmail.com