Chroniques locales du temps jadis – Pénestin 1898 ou les vagabondages du Vicomte Odon du Hautais (2)

Grâce au travail de Jean-Yves R., nous avions suivi il y a 15 jours le Vicomte Odon du Hautais dans sa traversée de la Vilaine, puis sa visite de Tréhiguier racontées en 1898 dans la presse de l’époque. Nous le retrouvons qui longe à présent “l’immense baie du Branzais et du Ménard” en direction du Halguen.

“Les suites de son récit se retrouvant dans l’édition du 12 octobre suivant :

« Après avoir, pendant près d’une heure, suivi la bordure plane de l’immense baie du Branzais et de Ménard, nous retrouvons, au Castilli, les falaises pittoresques et découpées que nous avions quittées à la pointe du Scal. Le Castilli, qu’il ne faudrait pas confondre avec le territoire du même nom sur la côte de Piriac, est un ensemble de pointes et de criques, en terre rouge, que la pleine mer enserre deux fois par jour.

Au moment un petit sentier hardi, sur lequel il ne faudrait pas se hasarder par une nuit sombre, permet de passer le long de la côte lorsque la Vilaine couvre le rivage ; et lorsque plusieurs touristes suivent, à la file indienne, cette route qu’on dirait faite pour les chèvres ou les chamois, le coup d’œil est vraiment charmant. De l’autre coté du sentier qui, sur la droite, borde le précipice d’une falaise haute de sept à huit mètres, s’étendent des vignes superbes, aux pampres verts et aux grappes vermeilles dont on obtient, -ceci pour les gourmets … ou les gourmands, le meilleur vin de la contrée.

Sur la plage, les diverses pointes du Castilli ont un aspect étrange qui leur provient assurément de la teinte rougeâtre de la terre et aussi de la forme bizarre qu’elles affectent. L’une d’elles renferme une grotte assez vaste, taillée dans le rocher et que la mer, en architecte habile, ornemente et agrandit chaque jour. Cette grotte porte le nom assez peu poétique de « Fricassée » et une histoire lugubre s’y rattache. On me l’a contée jadis, et je ne puis mieux faire que de la redire à mon tour.

Un jour, – il y a de ce temps là bien longtemps, -deux ou trois jeunes filles étaient venues pour se baigner sur la grève du Castilli. Le temps était doux et la mer calme ; le clair soleil d’été projetait ses milliers de rayons sur la mer bleue, et les divers courants de flux d’une grande marée, toujours violents entre la terre ferme et le « Sécé », tachaient la surface limpide des eaux de nuances diverses et imprécises.L’onde était fraîche, le sable chaud ; et, après leur bain, les jeunes filles, pour se reposer, se retirèrent dans la grotte de la « Fricassée ». Elles s’endormirent ; mais pendant qu’elles suivaient, dans leur sommeil, les chères visions de leurs rêves l’eau, poussée par les courants, gagna rapidement la grève sur laquelle elles reposaient, et leur coupa toute retraite vers la terre ferme. Le froid de l’onde, avant coureur de celui de la mort, les réveilla. On devine les angoisses qui assaillirent leur âme, à la vue du danger pressant qui les menaçait. Quelle décision prendre ? L’eau baignait déjà toutes les pointes, et le courant passait devant elles avec une extrême violence ; et, chose terrible, chaque minute d’attente rendait le danger plus terrible et plus immédiat. Plutôt que de périr noyées ou étouffées entre les parois humides de la grotte, qui n’offrait plus qu’une étroite baie de lumière, entre le ciel et l’eau, les jeunes filles résolurent d’essayer de franchir le mortel passage. Elles se jetèrent à l’eau, sans savoir nager, et furent entraînées par le courant. Deux d’entre elles eurent le bonheur d’atterrir, encore en vie, sur le rivage. La troisième, dont j’ai oublié le nom, périt et trouva la mort dans les flots.

N’est-elle pas lugubre cette histoire ; et ne ressent-on pas, en la lisant, comme un frisson de mort qui glace le cœur. J’y ai souvent pensé, dans mes échevauchées sur la grève, quand le hasard me conduisait près de cette grotte ; et l’un de mes bons camarades, en voyage aujourd’hui vers les lointaines contrées, ne manquait jamais, lorsque nous passions ensemble devant la « Fricassée », de me redire cette histoire, avec des tons de voix lugubres et de gutturales notes d’outre-tombe.

Mais comme tout ceci est triste n’est-ce-pas ? et quel conteur funèbre je suis à mon tour. Quittons donc rapidement la grotte de la « Fricassée », pour gagner l’extrémité de la route des chèvres sur la dernière pointe du Castilli et nous réjouir les yeux au charmant spectacle que la pleine mer apporte, avec mille petits flots écumeux, sur la grève éblouissante de Camaret.

Cette baie de Camaret, abritée des vents de mer par une certaine élévation du sol, peut avoir environ mille ou douze cent mètres d’ouverture. Du coté de la terre, elle est fermée par une ceinture de buttes, au pied desquelles se glissent, comme des feuillages de lierre ou de liserons, de jolis petits chemins ombragés par de maigres ormeaux. Si petits que soient ces arbres, ils procurent un réel agrément à l’œil. Ils reposent la vue par couleur uniforme de leur feuillage ; et comme un voyageur, dans le désert, se précipite vers trois ou quatre palmiers décoré du nom d’oasis, le baigneur est heureux de s’arrêter, un instant, sous l’ombre gracieuse et rare d’un bouquet de bois, qui pousse au bord de la mer. Les promenades, en ces petits chemins sont exquises ; elles sont chères surtout aux poètes qui demandent la solitude ; aussi ferais-je bien peut-être de ne pas trop vanter ce petit coin, pour n’y pas rencontrer, plus tard, trop de promeneurs qui dissiperaient mes rêveries. Autrefois, dans la baie de Camaret, autour du rocher du « Sénégal », il existait un banc d’huîtres. On en pêcha, disent les vieux marins, près de 40 mille. Il n’en reste plus une aujourd’hui ; mais ce qui console de l’absence des huîtres, c’est la présence, à certaines heures de marées, de nombreuses bandes de jolis mulets, au dos argenté que la baie de Kervoyal, sur la côte bretonne, n’est pas seule à posséder. On en trouve plus encore à Camaret qu’à Kervoyal et je n’en veux pour donner preuve que Autrefois, dans la baie de Camaret, autour du rocher du « Sénégal », il existait un banc d’huîtres. On en pêcha, disent les vieux marins, près de 40 mille. Il n’en reste plus une aujourd’hui ; mais ce qui console de l’absence des huîtres, c’est la présence, à certaines heures de marées, de nombreuses bandes de jolis mulets, au dos argenté que la baie de Kervoyal, sur la côte bretonne, n’est pas seule à posséder. On en trouve plus encore à Camaret qu’à Kervoyal et je n’en veux pour donner preuve que l’anecdote suivant, sans m’arrêter aux pêches miraculeuses que j’ai faites moi-même en cet endroit.

On était au mois d’août. Par une chaude et superbe journée toute ensoleillée, j’accompagnais une de mes sœurs qui devait passer l’après-midi, chez des amis, dans un chalet voisin. Nous suivions, en causant, le bord de la grève, lorsque nous rencontrâmes Monsieur X., un de nos amis qui pêchait à la seine (sic), en pleine baie de Camaret, avec plusieurs matelots. Nous causâmes, pendant un instant. « Restez donc un peu, nous dit-il, vous allez sans doute, me porter chance. » Je ne sais s’il fût bon prophète – et dans ce cas je l’avoue sincèrement, tout l’honneur en revenait certainement à ma gracieuse compagne, -mais le coup de filet fut splendide. Dans les mailles du filet, argentées par l’onde humide, deux ou trois cent mulets, d’argent aussi, se débattaient ; et tout ce frétillement d’écailles blondes était assurément propre à charmer les yeux. Nous applaudîmes, à ce résultat merveilleux ; Monsieur X.., comme nous. « C’est à vous, Mademoiselle, ajouta-t-il, que je dois ma pêche. » Il nous remercia ; nous primes congé ; mais ce qu’il n’eut pas la bonne pensée de nous offrir, c’est quelques-uns de ces jolis poissons qu’il avait pris sous nos yeux… J’ai encore, malgré deux ans passés depuis, cette merveilleuse pêche de mulets sur le cœur. »

(A suivre)

Puis dans celle du 22 octobre :

« Sur la Vilaine, le Halguen est la pointe extrême de la rive gauche, comme Roche-Vilaine est aussi le point terminus de la rive droite. Il se compose d’une série de caps et de criques, découpés comme les bords dentelés d’une galette bretonne, autour de laquelle une grève de sable fin dessine de riches et voluptueuses arabesques.

Comme la Vilaine n’occupe pas, sans doute, une place prépondérante dans le système fluvial de la France, on ignore généralement tous les détails qui la concernent. Cependant, pour des Bretons, une pareille lacune n’est pas concevable, et j’estime que si j’avais à écrire quelque petit recueil à l’usage de la jeunesse, je préciserais ainsi la manière dont cette rivière se jette dans la mer : « La Vilaine… petit fleuve côtier de la Bretagne… prend sa source… etc.. etc.. et se jette dans l’Océan, entre le Halguen et Roche-Vilaine, par une vaste embouchure. »

Voici donc le Halguen classé, -pour le cours d’eau qui l’arrose, en attendant que ce soit pour ses grands crus, -non seulement comme plage agréable, mais encore comme point stratégique et géographique. Et si l’on veut bien me permettre de m’étendre davantage su ce sujet, je vais essayer d’en retracer l’historique.

A l’heure actuelle, sur la pointe du Halguen, s’élèvent deux habitations particulières. L’une, « Keramma », est une construction récente, lourde et massive ; mais placée dans la condition la plus pittoresque. L’autre, la « Batterie » qui, par son nom même, semble clamer un air de bataille, a été construite au-dessus d’un vieux corps de garde, édifié jadis par les soins de la milice garde-côte.

Au XVIIIème siècle en effet, pour défendre l’entrée de la Vilaine et la protéger contre une descente toujours possible des Anglais, on avait placé, sur la pointe du Halguen, une batterie de canons. Le corps de garde et la poudrière existent toujours avec leur massive structure et leur voûte de pierres ; mais les canons ont été enlevés. On voit cependant le terre-plein sur lequel ils reposaient, et les vieux marins de la contrée se rappellent aussi l’époque où les derniers furent réintégrés à l’Arsenal.

Ah ! comme le temps marche et détruit vite les œuvres des hommes et que restera-t-il bientôt de tous ces débris que le temps emporte avec la rapidité des vents d’orage. Si le poète s’arrête, un instant, pour revivre ces souvenirs ; de tels fragments suffisent pour évoquer devant des yeux le tableau de toute une époque disparue ; mais qu’un indifférent les regarde et il ne verra rien au-delà de ces murs, sinon quelque construction inutile ou démodée.

Il existe encore, sur le terrain de la Batterie, une guérite de factionnaire, remarquable par l’épaisseur de ses murs et le gracieux dôme à écailles de granit qui lui sert de toiture. Un jour, je m’étais attardé, comme malgré moi, à considérer, dans le cadre merveilleux qui l’entoure, cette minuscule et très pittoresque construction ; et, par un effet de ce mirage dont je parlais tout à l’heure il m’a semblé voir, sur la mer, d’étranges goélettes de guerre, de coupe et de voilures surannées, qui cherchaient à forcer le passage de la Vilaine. Leurs sabords étaient entr’ouverts comme après une bataille récente ; mais plusieurs d’entre elles avaient perdu la majeure partie de leur voilure et de leurs agrès.

De la guérite, un soldat sortit, et appela le poste aux armes, car il venait d’apercevoir, à la ligne extrême de l’horizon, la haute mâture d’un vaisseau de guerre ennemi poursuivant les vaisseaux français fugitifs et désemparés. Alors, du rivage, partirent des signaux, pour avertir les vaisseaux français échappés au désastre du Croisic, que les Anglais, peut-être, allaient forcer le passage à leur tour, et les atteindre jusqu’à leur ultime retraite. A bord, les clairons sonnèrent encore une fois le branle-bas, malgré les munitions épuisées et tant de victimes hors de combat. Sur la batterie du Halguen, les canonniers, eux aussi se préparèrent. Non pas qu’ils s’attendissent à la victoire : le sort des armes était trop incertain. Mais ils étaient résolus du moins à résister jusqu’au bout et à vendre chèrement leur vie. Une nouvelle fois, la sentinelle sortit de son observatoire de pierre. Les ennemis, en craignant de s’engager dans une route funeste, avaient borné là leur démonstration et leur flotte avait disparu. Un cri de triomphe, une clameur victorieuse sortit alors de toutes les poitrines. Guidés par les habiles pilotes de Damgan et de Billiers, les vaisseaux français avaient franchi les passes et toutes les troupes qui, pendant vingt mois, devaient dormir dans les eaux de la Vilaine, étaient sauvées. Voilà quel spectacle, il y a cent cinquante ans on aurait pu voir de la pointe du Halguen ; un simple souvenir avait suffi pour le faire passer devant mes yeux. Mais il en est d’autres, plus anciens à coup sûr, que cette terre du Halguen peut aussi faire renaître et offrir aux regards du touriste moderne.

Sur les terres de « Keramma », en effet, se trouvent les seuls monuments druidiques de la contrée, -exception faite toutefois du menhir de « Galoche », à Tréhiguier – le tumulus du Halguen et le dolmen de Méarzen. Le premier qui mesure à la base cent environ mètres de circonférence et cinq à six mètres de hauteur n’a jamais encore été fouillé. Il sert actuellement de belvédère ; et, de son sommet, de quelque côté que se portent les regards, on embrasse un admirable horizon. J’ai découvert à l’œil nu, tout à l’entour, dix neufs clochers d’églises et de chapelles et de nombreuses agglomérations de maisons. Quelles curiosités de l’âge de pierre garde-t-il inviolées ? Je l’ignore. Une société archéologique de Guérande voulut y faire des fouilles l’an passé ; mais malgré l’autorisation obtenue du propriétaire, elle n’a pas mis à exécution ses projets. Qu’en sera-t-il dans l’avenir ? Qu’importe ! La mystérieuse interrogation qui plane au-dessus des monuments druidiques n’en fait-elle pas le plus puissant et le plus incompréhensible attrait ?

« La bataille des Cardinaux » (20 novembre 1759) – Nicholas Pocock (National Maritime Museum -Greenwich)

Quant au dolmen de Méarzen, -en breton pierre sur homme, -il est un peu plus éloigné dans les terres, à quelques cinquante mètres environ du tumulus. La table des sacrifices a été renversée et brisée et l’une des assises a été couchée sur le sol, tandis que l’autre, comme un menhir, reste toujours altière et debout, malgré les atteintes de l’âge et du temps. D’autres pierres aussi d’origine gauloise se retrouvent dans le champ, à une très courte distance du dolmen ; et la légende du pays rapporte beaucoup d’étranges choses sur elles. Qu’est-il de fondé dans tout cela ? Il serait bien malaisé de le dire, car la plupart des légendes sont de si merveilleux contes de fées ! Ce qu’on peut assurer cependant, c’est que ces pierres sont, par leur nature, absolument étrangères au pays, et qu’elles ont nécessairement éé apportées de fort loin par nos ancêtres.

A d’autres donc l’explication historique du dolmen de Méarzen. Je me contente, pour ma part, de cette explication toute naturelle qui m’a été donnée, à l’heure où le crépuscule tombant dans la mer, accrochait, dans la transparence du ciel bleu, mille étoiles au firmament et que, à la clarté de la lune, j’ai transcrite sur la pierre même du dolmen :

« Restes des âges morts, tombes de nos ancêtres, Monuments de granit, hors d’atteinte du temps, Témoins inoubliés de la Force des Francs Qui, sur les fiers Romains sont demeurés les maîtres. Jadis à vos autels, les Druides puissants Offraient le guy sacré cueilli sur les vieux hêtres ; Et le sang des boucs noirs immolés tous les ans, Préservaient les armées de la honte des traîtres. O rocs ! Toujours debout défiant l’avenir, D’un tombeau vous gardez l’immortel souvenir, Sous vos pieds dort un preux qu’on ne peut reconnaître ; Mais l’ombre, autour de vous, qui s’allonge, le soir, En spectres animés, fantastiques à voir, Ne serait-elle pas son ombre à lui ? Peut-être … » »

(A suivre)

© Jean-Yves R. – Brancelin

dmàj : vendredi 18 octobre 2019

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