C. DHEBE propose ici le premier volet d’un feuilleton à suivre les semaines à venir. Je crois sans grand risque de me tromper que nous pouvons saluer l’apparition d’un nouveau talent d’écrivain à Pénestin. N’hésitez pas à poster vos commentaires. La fiction se commente autant que l’information. Vos encouragements aussi, car un écrivain naissant en a besoin. Et vos critiques (constructives) qu’il appréciera aussi certainement. Et proposez vous aussi vos textes de fiction, réalisés individuellement ou dans le cadre des ateliers d’écriture nombreux en ce début d’été.
(Les illustrations ont été ajoutées par moi. L’auteur n’en est pas responsable.)
Me voilà revenu.
Le ciel aujourd’hui est plutôt clément. J’en profite pour me prélasser sur une chaise longue. J’apprécie une nature dont j’ai longtemps sous-estimé les bienfaits.
La maison que j’habite m’appartient. Et l’air de la mer située à deux battements d’ailes enveloppe le corps. Malgré les bas de la vie, je suis parvenu à me préserver de l’indigence subie par les trois quarts de l’humanité. Je suis, comme on dit, devenu un petit bourgeois installé dans une quiétude presque parfaite. Mon père, ouvrier métallurgique, ne s’est pas privé de me le rappeler avant de mourir : « tu es un petit… oui, les petits sont pires que les gros ». Ce confort est, malgré moi, devenu une propriété. Et la propriété est, dans notre pays, un droit. Au nom de quoi ce bien individuel deviendrait-il un bien d’intérêt commun ? Vous comprendriez par exemple que je m’insurge contre le passage d’un sentier côtier qui borde ma maison. Cela fait partie des quelques tracas qui ruinent de temps en temps une pensée aujourd’hui apaisée.
Il y a deux mois j’étais dans un train en compagnie d’un collègue. Nous avions décidé d’un commun accord de prendre le train plutôt que l’avion parce que le tracé ferroviaire empruntait un couloir touristique exceptionnel et qu’il nous serait plus agréable de visiter notre pays au plus près de la nature, à sa hauteur, plutôt que de la survoler. Et pour quelques heures de plus nous allions converser, ou mieux philosopher, sur notre beau pays défilant au travers d’une lucarne. Car comme tout bon Français, nous aimons la France. Nous sommes prêt à accepter, mon collègue et moi, tous les stéréotypes franchouillards : le vin, le fromage, les recettes de grand mère, notre propension à râler sur tout et n’importe quoi comme de nous croire les tenants de toutes les libertés. Nos engagements sont toutefois limités à notre travail et notre confort, et nos convictions sont partagées mais nos racines sont tenaces.
C’est dans le train que nos divergences de vie se sont peu à peu dévoilées. Le premier paysage qui s’offrait à nous dès l’oubli des derniers bâtiments qui bordent la mégalopole était grandiose. Non je n’exagère pas. Un plat pays tapissé de vert et de jaune, un horizon toujours fuyant et un ciel bleu posé sur l’ocre de la terre. Bien sûr l’effet est d’autant plus vif qu’il contraste singulièrement avec la verticalité des villes. Le train glissait sur ce paysage presque sans bruit. Un petit toc toc nous ramenait ponctuellement aux réalités de nos technologies avancées qui sont devenues le nerf de toutes nos guerres. Et puis comme une parole venue de nulle part mon collègue se mit à disserter sur la disparition des rivières dans cette région. Enfant il a vécu au milieu de ces champs qui ressemblent à des océans. Il allait à la pêche à la grenouille dans les mares jouxtant toutes les fermes, au poisson, avec de l’eau jusqu’à la taille dans les rivières qui traversaient les principaux villages. Tout le monde aime bien raconter un peu de son enfance. Quand c’est trop long ça devient ennuyeux. Mais voilà qu’il revient au présent en expliquant pourquoi les rivières de son enfance ont disparu. La plupart des exploitations agricoles devenues des sociétés anonymes cultivent depuis plus de trente ans du maïs et autres céréales sur des milliers d’hectares. Des cultures qui exigent beaucoup d’eau sur un sol épuisé par les années. Et c’est en pompant l’eau des nappes phréatiques que l’alimentation des cours d’eau s’est interrompue. Ce côté négatif m’ennuie car il freine bien souvent l’enthousiasme de ceux qui veulent « aller de l’avant ». Alors pour couper court à son défaitisme qui risquait de gâcher notre voyage, je lui conseillai d’ouvrir grand les yeux et d’admirer ce paysage que nous allions quitter pour un autre. C’est beau non ? Mais à son regard je compris que la beauté seule ne suffirait pas à l’éloigner d’un avenir sans perspective. J’insistai : « Ils trouveront bien un moyen pour rénover les cours d’eau non ? Ils cultiveront autre chose que du maïs… Bien sûr aujourd’hui il y a des problèmes mais je suis sûr que demain sera mieux. Il faut faire confiance aux… », mais là je réalisai que j’allais commettre une maladresse. Si je lui dis qu’on doit faire confiance aux humains, il va pleurer son arrière arrière grand-père lynché par le Ku Klux Klan (il était noir d’origine américaine), son arrière grand-père réduit en bouillie dans les tranchées de Verdun, son cousin mort à Buchenwald et son frère mort d’une overdose. Je ne plaisante pas. Je n’ose même pas penser à la suite du voyage. Tout finit par s’arranger, lui dis-je. C’est peut-être idiot de dire ça mais c’est parfois efficace le temps d’un voyage.
On peut penser ce que l’on veut mais la France c’est beau. D’un paysage sublimé par une géométrie entretenue par l’activité humaine on plonge peu à peu dans une douceur vallonnée. Les courbes verdoyantes plutôt féminines que masculines nous racontent aussi les douceurs d’antan : confiseries au miel, confitures maisons, fleurs de printemps, fruits d’été. Les formes s’associent aux couleurs et les couleurs aux goûts. Avec nos yeux gourmands, mon collègue et moi, nous sommes tombés d’accord : il y a des choses qui étaient mieux avant mais avant ce n’était pas forcément mieux. Ce sont des pâquerettes sur le bord de la voie qui ont sonné le glas d’une disparition annoncée. Tu dois savoir, me dit-il, que les abeilles meurent. Pendant quelques secondes j’ai hésité à changer de place mais mon siège côté fenêtre et dans le même sens que l’avancée du train m’en dissuada. Cette fois je lui répondis que l’humanité en avait conscience et qu’elle allait dans les plus brefs délais remédier à cet holocauste mondial. Pour l’instant tout est encore possible.
Ce qu’il a de positif dans les beaux paysages c’est que tout semble aller bien. Ce que l’on voit nous satisfait et nous rassure. Je n’hésite pas à lui dire d’un ton un peu moqueur : « regarde… qui peut imaginer que dans un tel paradis se cache un enfer ? » « Tu as raison, me répond-il, on ne voit rien, c’est un peu comme l’air que l’on respire ».
Le train quittait un monde rural pour celui de la circulation routière. Le réseau ferroviaire longeait une autoroute à huit voies. De l’autre côté du large tapis bitumé on apercevait des pylônes de haute tension sur plusieurs kilomètres puis, plus en retrait et toujours parallèle aux réseaux routiers et ferroviaire, un vaste champ éolien. Les pales tournaient à pleine vitesse. Impressionnant ce monde qui n’en finit pas de s’étendre. Cette réflexion, à la fois puérile et angoissante, devait être partagée par mon collègue. Il ne put s’empêcher de faire un bilan détaillé sur le massacre organisé de la biodiversité, des insectes aux mammifères en passant par les oiseaux, provoqué par les écrasements et les collisions. Son travail dans notre bureau d’études et sa formation de naturaliste, l’informaient régulièrement des chiffres et des statistiques sur la mortalité du monde animal. Bref, les routes de France tuaient, éliminaient, exterminaient (ce sont ses mots) chaque année des dizaines de millions de bêtes de toutes espèces, fragmentaient leur territoire, réduisaient leur chance de reproduction… la disparition des oiseaux, de plusieurs millions par an… Je finis par l’interrompre pour éviter cette sensation de vertige amer qui part de l’estomac et monte au cerveau… ou l’inverse : la nausée.
Nous sommes en juin. La chaleur extérieure malgré la clim était perceptible sur le nouveau paysage que nous traversions. Le train coupait une vallée en deux parties presque symétriques avec de chaque côté des vignobles qui titillaient notre culture bacchusienne. Et comme on ne peut séparer le vin du fromage mon collègue disserta de nouveau sur la qualité gustative de ceux élaborés avec du lait cru, garants d’une culture millénaire et soucieux de l’environnement dont ils dépendent. Enfin quelque chose de positif. A peine avais-je le temps de le penser que le train stoppa net au milieu d’un nul part en France. La chaleur extrême pour un mois de juin dilatait les rails et les câbles. Un déraillement n’était pas improbable. Alors, tel un petit train touristique comme on en voit dans les parcs d’attractions, notre serpent métallique traversa lentement la plaine fruitière qui succédait à la vigne. Sur un côté on apercevait la chaîne montagneuse, majestueuse et picturale. A cet instant je ne pus m’empêcher de penser à la fonte des glaciers qui menaçaient à terme de disparaître. Malheureusement, je ne connaissais pas les conséquences de ce bouleversement. Je me suis retenu d’en parler à mon collègue et le laissai apprécier cette balade plutôt originale. Mais la grêle l’a soudainement interrompue. Des balles de tennis martelaient la tôle, des bourrasques les projetaient contre les vitres, parmi les passagers des enfants hurlaient de peur. Puis tout s’est arrêté, aussi soudainement que cela était arrivé. « Rien ne va plus » me dit-il. Le paysage a été massacré par les boules de glace. Les arbres fruitiers n’avaient plus de feuilles, la terre avait été pilée et lessivée.
Le lendemain, à notre rendez-vous professionnel, nous présentions l’avant-projet d’un centre commercial et d’un parc d’activités à la communauté d’agglomération. Il répondait à l’attente de quelques professionnels du secteur mais surtout aux enseignes les plus connues. Les élus se montraient plutôt satisfaits. L’avant-projet s’efforçait aussi de respecter les règles environnementales qui sont pour la plupart d’entre elles facultatives. Nous avions bien conscience que tout cela était de la poudre aux yeux, élus compris. La disparition pure et simple d’un espace naturel est irréversible mais les retombées économiques sont de toutes façons toujours prioritaires même sans être démontrées. Mon collègue, dont je respectais le professionnalisme, parlait et agissait comme si de rien n’était. Nous étions des employés cadres dans un cadre précis et notre but consistait à convaincre de la faisabilité du projet. Que l’on y croie ou non. Nous étions les soldats de notre entreprise postés sur le front pour gagner une guerre. Ce sont évidemment des limites à nos actions et pensées personnelles mais de toutes façons c’est pour tout le monde pareil. Si ce n’est pas nous qui décrochons le contrat d’autres le feront. Ce rendez-vous aurait pu ressembler à n’importe quel autre. On serait reparti avec la promesse d’un premier contrat et on aurait eu une prime pour nous remercier de notre efficacité. Et puis voilà que mon collègue, pourtant bon soldat depuis toujours, retourna comme une chaussette son discours finement élaboré deux jours auparavant, se leva tranquillement puis sortit de la salle de conférence sans même dire un « au revoir ». Tout s’est passé très vite. L’urbanisation prévue à cet endroit ne permettrait pas de contenir les pluies diluviennes de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique, les quelques haies ou arbres ne remplaceront jamais la perte d’une biodiversité, et puis, faire semblant de reconstruire une nature est aujourd’hui insupportable, etc. Un discours alarmiste, un sale moment. J’aurais dû m’en douter. Déjà dans le train, après l’épisode de grêle, il avait dit : « Rien ne va plus. »
Il a quitté l’entreprise pour se consacrer à l’étude de l’économie circulaire. On en parle depuis une vingtaine d’années alors qu’elle existait bien avant la révolution industrielle. Un potager réalisé dans les règles de l’art est l’exemple absolu d’une économie circulaire : que du naturel avec du naturel. Il a quitté la ville pour une campagne et je ne doute pas qu’il ait mis à profit toutes ses connaissances. « On ne peut pas prétendre que tout allait mieux avant mais on ne peut pas dire que tout ira mieux » : c’est la dernière phrase prononcée par mon collègue avant notre séparation sur le quai de la gare.
Nos engagements sont limités par notre travail et notre confort en dépend. Je suis retourné voir la communauté d’agglomération et j’ai fait en sorte que nos points de vue débouchent sur un contrat. Mon collègue a peut-être raison mais ce n’est pas pour autant que je me déciderai à agir pour la protection de la nature.
Me voilà revenu.
J’ai ouvert le courrier du jour. Je l’ai lu. Je ne dois rien à personne et jamais je ne culpabiliserai de ne pas agir. Mais ce jour, assis sur ma chaise longue, je médite sur le résultat des tests de fécondité que nous avons faits avec ma femme. Pour elle, ils sont normaux mais pour moi ils concluent à une perte totale de fertilité. Voici ce que le rapport décrit : les polluants chimiques perturbent le fonctionnement des hormones. On les appelle les perturbateurs endocriniens. Ils sont présents dans les pesticides, les détergents, les matières plastiques, et…e…
C. DHEBE
Un texte illustrant bien le dilemme devant lequel nous nous trouvons tous, Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir conscience que notre société fait fausse route, mais qu’il est difficile de changer notre mode de vie. Essayons de mettre en pratique la parabole du colibri, ça soulagera nos consciences à défaut de changer le monde.
Le texte est agréable à lire, vivant et imagé, dommage qu’il y ait quelques petites fautes d’orthographe et parfois une petite lourdeur.
Continuez
Bonjour Pierre, merci pour votre message. Auriez-vous la gentillesse de nous indiquer, à l’auteur et à moi, les fautes qui sont passées à travers la relecture, et l’emplacement de la ou des lourdeur(s) ? A priori, je ne publierai pas le commentaire si vous répondez à mes questions… mais je corrigerai le texte en accord avec son auteur ! Bien cordialement,
Gérard