Deux lignes de trop

À la suite de cet article, je vous joins un texte qui date déjà de deux semaines et que j’avais trouvé très intéressant : « Comment avons pu nous aveugler à ce point ? Ces biais qui ont retardé la prise de conscience face au virus », par Olivier Sibony, professeur à HEC-Paris. Il est paru le 27 mars dans La Lettre de Philosophie Magazine.

Vous saurez tout sur les différents biais cognitifs qui expliquent qu’il nous ait fallu si longtemps avant de prendre la mesure de la pandémie (modèle mental, biais de disponibilité…), mais non sans oublier le « biais rétrospectif », celui qui consiste à réécrire après coup l’histoire à notre convenance, que l’auteur convoque avec humour.

Ici à Pénestin comme ailleurs en France, ce n’est guère avant le mardi 17 mars, jour du début du confinement, que nous avons commencé à prendre conscience de la gravité de la situation et de la nécessité de se protéger. Jusque là, il était encore mal vu d’en faire trop, de ne pas serrer les mains qui se tendaient, voire de mettre des gants pour faire ses courses. Pénestin est géographiquement à l’écart, du moins pendant la saison d’hiver, et les Pénestinois se sont plus ou moins crus protégés de ce virus qui semblait se trouver bien dans le « cluster » d’Auray, à l’autre bout du département.

Guère plus convaincus ni prudents que la plupart d’entre nous

Nos élus, anciens et nouveaux, sont comme nous. Jusqu’au 15 mars, jour du premier tour des élections, ils n’étaient pas plus convaincus, ni plus prudents, en propos ou en actes, que la plupart d’entre nous. Les élections ont été bien organisées, c’est un fait : marquage au sol, mise à disposition de gel hydroalcoolique… Mais durant les opérations de vote, rien n’était fait, contrairement à la plupart des autres communes, pour suggérer aux votants d’entrer dans les toilettes pour se laver les mains ou d’utiliser les flacons présents sur les tables, et très peu l’ont fait.

Le summum fut atteint le soir, lors d’un dépouillement épique, où il fallut rechercher longuement les sources de diverses erreurs de comptage. Un dépouillement qui dura trois heures, durant lesquelles nous étions « confinés », c’est le cas de le dire, à 135 (chiffre de la police municipale) dans une salle où la chaleur et l’humidité atteignaient des sommets. La même chose s’est passée dans presque toutes les communes. Certains, ailleurs, des maires, des assesseurs, en sont morts. Nous, à Pénestin, avons eu de la chance : la Faucheuse n’a pas voulu de nous ce soir-là.

Pas voulu de nous qui étions là par-delà les clivages, qui continuions pour la plupart à nous parler, comme ce fut le cas durant la campagne par-delà ces mêmes clivages, unis par le même goût de la chose publique et la même curiosité de ce que serait l’avenir de notre commune. Le temps n’est pas venu de faire le procès des responsables de cette folie : ils sont haut placés, mais ce temps viendra, le président de la République et le Premier ministre eux-mêmes l’ont annoncé. Nous avons conscience, en tous cas, d’être passés très près du pire : l’un des candidats m’a confié avoir écrit, la trouille au ventre, à tous ses colistiers 13 jours après cette soirée qui aurait pu être funeste, pour savoir s’ils allaient bien. En clair : s’ils étaient encore en vie.

Depuis ce moment, nous voici donc confinés. Il y a un peu plus d’une semaine, j’ai publié un texte de Josette et Alain, qui pointaient le manque d’information dans la commune et qui réclamaient plus de solidarité avec les commerçants, les soignants et les personnes âgées qui n’avaient reçu selon eux ni visites, ni appels de la part des anciens comme des nouveaux élus. Il est apparu que les soignants avaient été traités honnêtement, même si cela s’est peu su. M. Puisay s’est exprimé pour sa part dans les commentaires de l’article en question.

Une fin de non recevoir

Les membres de la liste Autrement Pénestin se sont ensuite exprimés dans le même sens que Josette et Alain. Dans un courrier, ils m’indiquent par ailleurs que leurs deux élus du futur conseil municipal se sont mis au service de la mairie « pour agir solidairement avec la population de Pénestin », mais se sont heurtés à une fin de non recevoir. 

Au jour d’aujourd’hui, les commerçants n’ont toujours pas reçu de visites de la part des anciens comme des nouveaux élus, et l’on cite des cas de personnes âgées qui n’ont toujours reçu aucun appel de la mairie. Le travail de Mme Girard et celui de M. Picard n’est pas mis en cause ici, mais ils sont semble-t-il bien seuls.

Mardi 14 avril, on note enfin quelques nouveautés sur le site de la mairie.

1)  Dans la partie intitulée « Coronavirus : mairie fermée au public mais permanence téléphonique » :

« Les effetifs municipaux sont réduits au minimum afin de repsecter les mesures de confinement imposées par le gouvernement. 

L’accueil téléphonique au 02 23 100 300 (aux horaires d’ouverture habituels) est maintenu en cas d’urgence. La mairie est en contact avec la Réserve Communale de Sécurité Civile qui se déplace en cas de besoin pour les personnes vulnérables. »

Le manque de soin dans la rédaction, en lui-même significatif, des formules comme « en cas d’urgence », « en cas de besoin » : voilà qui manifeste un manque d’enthousiasme et de générosité choquant ! Alors que partout ailleurs, les mairies, nos « maisons communes », se mobilisent, créent des cellules de crise, offrent leur soutien aux multiples initiatives issues des associations et de la population, on laisse passer ici 4 semaines avant de faire état du « dispositif » mis en place, et on le fait du bout des lèvres.

Heureusement que des associations comme « Les flots bleus », des voisins, des bonnes volontés diverses, prennent soin de certaines personnes, âgées, handicapées, malades, seules, pour qui un simple appel téléphonique compte tellement sur le plan du contact humain, au-delà même des besoins pratiques.

2) Dans la partie « Coronavirus, suivi de la situation », une rubrique a été ajoutée, intitulée : « Coronavirus : incivilités et collecte des déchets ». Pour l’essentiel, il s’agit d’un texte repris de Cap Atlantique, et il ne nous appartient pas de juger de la situation à La Baule, où M. Métaireau, le maire et président de Cap Atlantique, se plaint depuis plusieurs jours de comportements agressifs et de dégradations diverses attribuées à des vacanciers arrivés en nombre.

Mais à la fin de ce texte, deux lignes ont été rajoutées dans une police de caractères différente :

« À Pénestin, des décharges sauvages ont pu être observées. N’hésitez pas à contacter la mairie si vous possédez toute information permettant de retrouver les fautifs ! »

Là même où l’on hésitait tant à parler de solidarité, voilà qu’on nous propose de dénoncer des fautifs, en appelant non pas la police municipale, mais la mairie, qui ne s’embarrasse plus, désormais, de « en cas de besoin, d’urgence », etc. Entendons-nous bien, il y a une différence entre dénonciation et délation : si l’on cambriole la maison de votre voisin, il est clair que vous appelez la police et heureusement !

Il y a des degrés dans la nature des délits, infractions et autres. La démocratie à laquelle nous sommes attachés s’est toujours appuyée sur un sens de la mesure, de la modération, de la nuance et de la tolérance, qui sont des traits fondamentaux de notre culture comme en témoigne toute la littérature européenne (c’est Edgar Morin, je crois, qui l’écrivait). Il faudrait aussi y ajouter l’humour. C’est un système imparfait, tout le monde le sait et connaît le mot de Churchill : « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». C’est pour cela que le débat, la discussion, la libre expression des opinions, sont aussi nécessaires, et que vouloir faire taire les voix dissonantes est toujours inquiétant.

Remplacer l’intelligence par un réflexe conditionné

Transmettre à la mairie « toute information », c’est remplacer l’intelligence par un réflexe conditionné. Un de mes voisins m’a donné un jour, justement, une leçon d’intelligence : il m’a expliqué que lorsque les « reapers » laissent un sac poubelle sur le bord de la route, il le met dans sa propre poubelle pour qu’il soit ramassé la fois suivante. Depuis, je fais comme lui. D’autres ramassent les déchets sur les plages ou sur les sentiers (en temps normal, bien sûr). On appelle cela le civisme. Évidemment, c’est très mal de créer des décharges sauvages, mais la réponse doit être proportionnée, adaptée. Elle peut même faire l’objet d’un débat. En tout cas, ce ne saurait être un automatisme.

Il n’y a dans ce que je viens de dire nulle intention polémique. Ce matin dans l’interview de Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV, Emmanuel Hirsch, grand professeur d’éthique médicale, disait qu’après une phase de sidération, nous étions entrés dans le temps du « politique », qui réfléchit à ce qui suivra après le confinement : être confiné, « ce n’est pas être confiné intellectuellement ». Il faut faire en sorte que le confinement nous rapproche au lieu de nous diviser, qu’il renforce la démocratie au lieu de l’affaiblir, comme peuvent le faire craindre une série d’expérimentations menées actuellement. Pendant le confinement, nous dit M. Hirsch, les gens ont réfléchi, écouté, parlé, partagé. Les valeurs de notre société, le vivre avec, le respect de l’autre, se sont avivées, jusque dans le discours politique.

Un mot, pour conclure, sur une expérience politique ratée tout près de nous, celle de Françoise Fonmarty à Férel, élue en 2014 et qui ne s’est pas représentée cette année. Durant sa campagne, comme toute femme ou homme politique, elle avait parlé de développer le dynamisme de sa commune et du rôle essentiel, bien sûr, des commerces de proximité. Élue, elle a continué à faire ses courses au Leclerc d’Herbignac et s’est coupée des commerçants qui, à force de ne jamais la voir, ont fini par ne plus vouloir la voir. Elle a remplacé le discours sur le vivre ensemble par celui sur la tranquillité et la sécurité et installé des caméras pour lutter contre une petite délinquance tellement modeste que la plupart des habitants seraient en peine d’en citer un exemple. À part cela, elle a fait agrandir l’école du Ruisseau Blanc pour accueillir le surcroît d’enfants scolarisés à Férel, mais cela s’est perdu dans le débat sur les rythmes scolaires. Les Férelais ont retenu : manque de compréhension et d’intérêt pour les commerçants, surenchère sécuritaire…

Pénestin n’est pas Férel, cela va de soi. Mais nos futurs élus seraient bien inspirés d’observer ce champ d’expérimentation grandeur nature…

Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ?

Ces biais qui ont retardé la prise de conscience face au virus

Olivier Sibony

enseigne la stratégie, la prise de décision et la résolution de problèmes à HEC-Paris. Son dernier ouvrage est Vous allez redécouvrir le management (Flammarion, 2020).

Nous aurons mis un certain temps à prendre conscience de l’ampleur de la menace que fait peser le coronavirus sur nos sociétés. Et ce, malgré la mise à disposition de nombreuses données scientifiques. Pour Olivier Sibony, qui enseigne la stratégie à HEC, ce retard tient à notre difficulté à appréhender des phénomènes nouveaux et aux nombreux biais cognitifs que nous développons quand ceux-ci se présentent – en particulier quand la situation charrie avec elle un certain nombre de risques. Décryptage.

La menace du Covid-19 nous semble désormais si pressante qu’elle justifie un confinement d’une rigueur sans précédent. Mais alors, comment comprendre l’insouciance qui prévalait encore il y a quelques jours, alors que des données scientifiques aisément disponibles, notamment sur la plateforme Medium ainsi que sur le site du Washington Post, et largement communiquées permettaient déjà de mesurer la gravité de la crise ?

“Le retard dans cette prise de conscience nous fournit une illustration frappante de notre difficulté à appréhender des phénomènes nouveaux”

Le retard dans cette prise de conscience nous fournit une illustration frappante de notre difficulté à appréhender des phénomènes nouveaux, et en particulier des biais cognitifs qui déforment notre perception des risques.

Paradoxalement, la psychologie cognitive et sociale nous met plutôt en garde contre la surestimation des menaces nouvelles. Comme l’écrivait le psychologue David DeSteno le 11 février dans le New York Times, « la peur déforme notre perception du coronavirus ». Deux jours plus tard, le même journal résumait des entretiens avec plusieurs éminents psychologues sous le titre : « le coronavirus appuie sur tous les boutons qui nous font surévaluer le risque ». Et, le 28 février, Cass Sunstein, co-auteur de Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision (2010), résumait sur bloomerg.com l’avis de beaucoup de spécialistes des sciences cognitives quand il écrivait : « beaucoup de gens sont plus effrayés [par le coronavirus] qu’ils n’ont de raisons de l’être ».

De fait, les sciences comportementales ont mis en évidence la négligence des probabilités, conséquence du biais de disponibilité, qui nous fait surréagir à des risques spectaculaires, mais dont la probabilité est faible. Ainsi, les accidents d’avion nous préoccupent, le terrorisme nous terrorise, et les accidents nucléaires nous horrifient, alors que la probabilité effective que nous en soyons les victimes est infinitésimale. Les experts de la perception du risque ont été, sans doute, trop prompts à nous mettre en garde contre la panique… mais ils ont souvent été là par le passé pour nous rappeler à la raison. 


Quatre biais contre un

Si nous avons, de manière inhabituelle, sous-estimé un danger bien réel, c’est en partie du fait de plusieurs autres biais cognitifs.

1) Le biais de modèle mental

Le premier, qui découle lui aussi du biais de disponibilité, est le biais de modèle mental, ou raisonnement par analogie avec des événements connus. Il est frappant de voir que la Chine a mis en place un confinement total dans la province du Hubei (dont la population est voisine de celle de la France) alors qu’elle n’y enregistrait encore « que » 400 nouveaux cas par jour. De même, Singapour et Hongkong ont pris des mesures rapides pour contenir l’épidémie. Point commun à ces pays : la mémoire de l’épidémie de Sras, dont la gestion sert de modèle mental aux dirigeants. En France, les analogies présentes à l’esprit sont rares ; et s’il y en a une, c’est la grippe A (H1N1), en 2010. Or, qu’en a-t-on a surtout retenu ? D’amères critiques envers un gouvernement accusé d’avoir surréagi en commandant des millions de doses de vaccins finalement inutiles… 

“Le directeur général de la Santé sait que croître de 27 % par jour, c’est doubler en trois jours. Mais ce message était inaudible tant que le nombre quotidien de nouveaux cas se comptait en centaines, pas encore en milliers”

2) L’incompréhension de la croissance exponentielle

Deuxième biais : l’incompréhension de la croissance exponentielle. Lundi 16 mars, Jérôme Salomon déclarait sur France Inter : « Le nombre de cas double désormais tous les trois jours. » C’était en réalité le cas depuis le 6 mars au moins : sur dix jours, la croissance quotidienne du nombre de cas confirmés a été à peu près stable et de l’ordre de 27 % par jour. Le directeur général de la Santé sait, bien sûr, que croître de 27 % par jour, c’est doubler en trois jours. Mais ce message était inaudible tant que le nombre quotidien de nouveaux cas se comptait en centaines, pas encore en milliers. Notre lecture intuitive des chiffres conduit à prolonger les droites, pas les exponentielles. C’est encore plus pernicieux quand la croissance exponentielle s’accompagne, comme ici, d’un effet retard : les nouveaux cas qu’on annonce chaque soir sont les contaminations d’il y a cinq, huit ou douze jours ; et rien de ce qu’on fait aujourd’hui ne change le nombre de cas des tout prochains jours… 

Anecdote dérisoire, mais révélatrice : lundi 9 mars, j’écrivais dans Time To Sign Off un billet sur la croissance exponentielle, alertant contre le risque qu’il nous fasse sous-évaluer l’explosion de l’épidémie. Pour l’illustrer, j’y incluais un simple calcul d’intérêts composés, assorti du commentaire : « Répondez avant de lire la réponse, et vous allez voir que vous vous trompez. » Le lendemain, des dizaines de lecteurs – pour certains médecins ou ingénieurs – m’écrivaient pour me signaler mon erreur de calcul… alors qu’il n’y en avait pas. Même quand nous sommes prévenus que nous allons être surpris, la croissance exponentielle nous surprend. 

3) Le biais d’endogroupe

Troisième biais : le « biais d’endogroupe » (ingroup bias), qui nous conduit, face à une menace, à nous replier sur nous-mêmes et à rejeter les « exogroupes » (l’étranger). On le voit bien sûr dans la demande populaire immédiate (et scientifiquement injustifiée) de fermeture des frontières. Ce biais explique aussi, de manière plus frappante encore, que l’exemple chinois nous ait paru trop lointain pour être inquiétant, et que même le terrible exemple italien ait mis si longtemps à nous alerter. Ce n’est pas de la condescendance vis-à-vis de la Chine et de l’Italie : quand on cherche des raisons de penser que « chez nous, c’est différent », on en trouve facilement. Le 16 mars, Richard Epstein, éminent universitaire américain, trouvait encore « improbable que le système de santé américain puisse être affecté de la même manière que celui de l’Italie », comme il l’expliquait sur le site de la Hoover Institution. On peut souhaiter qu’il ait raison et pourtant craindre qu’il ne se trompe.

4) La pensée moutonnière

Quatrième biais, qui vient renforcer les précédents : la pensée moutonnière. Nous sommes des animaux sociaux, et nous avons tendance à calquer notre comportement sur ceux que nous observons autour de nous. Pourquoi changer mon comportement quand je vois autour de moi que personne ne change le sien ? Tous ces gens qui s’agglutinent aux terrasses ne peuvent pas être fous… 

Entre la Chine et les États-Unis 

Nos dirigeants pouvaient-ils accélérer cette prise de conscience ? Le gouvernement aurait-il pu, aurait-il dû agir plus vite ? Sans doute, et notamment en reportant le premier tour des élections municipales. Mais nous ne sommes pas en Chine. Des mesures contraignantes, privatives de liberté, économiquement dévastatrices ne peuvent être décidées que quand elles sont devenues socialement acceptables. Si la fermeture des écoles, celle des restaurants, ou le confinement de la population avaient été ordonnés plus tôt, l’opposition les aurait-elle approuvés ? La population les aurait-elle respectés ? Et dans le cas contraire, le résultat n’aurait-il pas été pire ? En démocratie, il est malheureusement inévitable que des mesures « top-down » de lutte contre une épidémie soient en retard sur celle-ci. 

“Sans doute faudra-t-il essayer de se rappeler, à la prochaine crise grave, que l’on ne peut pas tout attendre de l’État”

Qu’en est-il, alors, des mesures « bottom-up », à l’initiative de la société civile ? Aux États-Unis, dès le 9 mars, des dizaines d’universités avaient déjà fermé leurs portes. Aucune instruction gouvernementale ne les y incitait ; et le nombre de cas constatés était bien en-deçà de celui de la France. Mais, comme le déclarait ce message de l’université Princeton, « nos conseillers médicaux nous disent qu’il faut agir dès maintenant, sans attendre d’avoir des cas sur notre campus »

En France, au contraire, même si quelques dirigeants ont eu la sagesse d’annuler réunions, conférences, et voyages, le réflexe dominant a été d’attendre l’apparition télévisée du président de la République et les directives venues d’en haut. Pas de biais cognitif ici, mais une solide culture politique et sociale, qui nous a coûté un temps précieux. Sans doute faudra-t-il essayer de se rappeler, à la prochaine crise grave, que l’on ne peut pas tout attendre de l’État…


Comprendre n’est pas prévoir

Nous commençons seulement à faire face à la crise du Covid-19, et il est trop tôt, bien sûr, pour en tirer des leçons. Si cette rapide description de quelques biais cognitifs peut nous en inspirer une, c’est une leçon de modestie, qui peut se résumer ainsi : pour savoir si l’opinion publique se trompe dans son évaluation d’un risque, il faut une bonne évaluation de ce risque. Avec des faits, des chiffres, et des modèles épidémiologiques, plutôt que des analyses psychologiques.

“La seule chose que l’on peut conclure de la présence de biais cognitifs, c’est… qu’il faut se garder de conclure trop vite”

Cette évidence n’en est pas une : elle illustre une idée importante et souvent mal comprise sur les biais cognitifs. Dans des expériences simples comme celles que les psychologues comportementaux utilisent en laboratoire, l’effet des biais cognitifs est une régularité statistique forte : par exemple, nous surestimons notre compétence sur des tâches simples ; nous sommes influencés par l’opinion de ceux qui nous entourent, etc. Dans ces contextes, nous pouvons prévoir sans grand risque l’effet de ces biais sur les erreurs de jugement. 

En revanche, dès lors que, dans une situation réelle, plusieurs biais importants sont présents et jouent dans des directions contradictoires, leur interaction devient vite imprévisible. A posteriori, bien sûr, on pourra expliquer l’erreur par tel ou tel biais (c’est ce que je fais ici). Ex ante, pourtant, la connaissance de ces biais ne permet pas de prévoir dans quel sens nous allons nous tromper. La seule chose que l’on peut conclure de la présence de biais cognitifs, c’est… qu’il faut se garder de conclure trop vite.

Triomphe du biais rétrospectif

Il y a pourtant un biais dont on peut être certain qu’il perturbera notre lecture des conséquences de cette crise, comme de tous les événements imprévus : le biais rétrospectif. Une fois un événement advenu, nous oublions à quel point il était imprévisible. Dans le rétroviseur, la visibilité est parfaite. On voit, déjà, des responsables politiques s’indigner que le gouvernement ait maintenu le premier tour des élections municipales (ce sont parfois les mêmes qui criaient au « coup d’État » quand on envisageait de le reporter…). Baruch Fischhoff, découvreur du biais rétrospectif, le résumait d’une phrase : I knew it would happen, « je savais que ça se passerait comme ça ».

“Nous dirons, nous aussi, ‘je savais que ça se passerait comme ça’

De la même manière, et sans que nous ayons d’arrière-pensées politiciennes, le bilan du Covid-19, que nous sommes aujourd’hui incapables d’imaginer, nous apparaîtra demain – quel qu’il soit – comme logique, prévisible, inéluctable. Nous dirons, nous aussi, « je savais que ça se passerait comme ça ». Vous en doutez ? Hélas ! « je sais que ça se passera comme ça »

4 commentaires sur “Deux lignes de trop”

  1. Pénestin n’est pas Férel, cela va de soi. Mais nos futurs élus seraient bien inspirés d’observer ce champ d’expérimentation grandeur nature…
    Cher rédacteur je reprend votre phrase, laissez travailler la future municipalité et après vous pourrez juger. Ne soyez pas pessimiste les Penestinoises et penestinois ont votés en leurs âmes et consciences .

    1. Merci pour ce commentaire, dont j’apprécie le ton mesuré. Ce que vous dites est intéressant, je trouve, car cela reprend tous les éléments du débat entre démocratie représentative et démocratie participative ou citoyenne. Sans revenir sur l’expérience avortée de la GLP à Pénestin, on a beaucoup parlé cette année d’une aspiration qui s’est traduite dans toute la France par un grand nombre de candidatures de démocratie citoyenne. Aspiration à être consultés et à pouvoir s’exprimer et être entendus tout au long d’une mandature sur les grands dossiers, plutôt que de donner à une équipe un blanc-seing pour 6 ans. D’ailleurs, Pascal Puisay lui-même s’est engagé dans ce sens en proposant la création de commissions extramunicipales et en insistant sur sa volonté de faire preuve d’une réelle écoute vis-à-vis des Pénestinois.

      Il n’y a dans ma conclusion nul procès d’intention. Je sais à quel point il est difficile de conserver son « fil rouge », par-delà la variété des situations qui peuvent se présenter. La preuve : ce qu’il se passe en ce moment même chamboule tous les plans et personne ne l’avait imaginé. Lorsque des commerçants se plaignent que M. Puisay ne soit pas revenu les voir, alors qu’ils vivent une situation difficile et alors qu’il leur avait attribué un rôle si important durant sa campagne, ou bien lorsqu’il laisse passer sans réagir un appel à la dénonciation, il me semble que mon rôle d’observateur extérieur est de faire résonner une petite sonnette qui veut dire « attention ! » Ce n’est pas une « critique » au sens habituel du terme, car lorsque j’écris, j’espère être entendu et, très modestement, influer sur les faits que je relate : si M. Puisay fait demain le tour des commerces ouverts actuellement en centre ville, il sera inutile qu’il cite mon article, l’essentiel sera qu’il le fasse. Je suis confiant en disant cela, car c’est déjà arrivé ! Bon, j’ai encore été trop long…

  2. ce matin, le chemin près de chez moi a été tondu largement sur ses bords et j’ai remarqué que l’aire déserte de camping car a été aussi tondue .
    L’adjoint en charge de la commande de ces travaux est un ” sortant- entrant ” de notre commune . Sont-ce des travaux nécessaires au printemps confiné quand on sait que des départements en période normale , attendent le début de l’ été pour tondre le bord des routes afin de préserver la flore sauvage ?
    Ne serait-il pas plus urgent ou judicieux que la municipalité gère l’humain avec le souci de ses commerçants et de toutes les personnes âgées y compris à domicile ….

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