Le théâtre amateur et les vertus du consensus

Ces deux derniers week-ends, la troupe des « Pépites de Pénestin » donnait la pièce « Chasse en enfer » de Charles Istace au Complexe Petit-Breton. Une pièce consensuelle pour un sujet clivant…

« Francine ! » « Ah ! Yvette, je ne t’avais pas vue ! » Tout Pénestin est là pour assister aux 4 représentations de « Chasse en enfer », de Charles Istace, au Complexe Petit-Breton. Le théâtre de boulevard, amateur qui plus est, est un art qui s’adresse à tous. Si vous cherchiez un moyen de réunir les « clans » qui subsistent à Pénestin comme ailleurs, c’est trouvé ! Voilà la solution que vous recherchiez : un art consensuel, devant lequel tous rient à l’unisson et de bon cœur. En Italie, ce serait le bel canto ou le football. En Allemagne, la musique instrumentale. Ici, c’est le théâtre. A Pénestin, mais aussi à Férel, à Damgan, à Billiers… Et dans beaucoup d’autres régions de France.

Catherine, Serge, François, sont des figures familières que tout le monde connaît. On n’a pas vis-à-vis d’eux la distance que l’on aurait face à des acteurs professionnels venus d’ailleurs. Comme en plus ce sont d’excellents acteurs, rôdés par des années de pratique, passionnés, sympathiques de surcroit, personne ne boude son plaisir. Je vais même en rajouter ! Ils sont modestes, masquant ainsi la volonté perfectionniste qui leur a coûté des mois de travail. Et ils ont gardé la fraicheur qui devait être la leur lorsqu’ils découvraient le monde du théâtre… Des acteurs amateurs de leur acabit établissent une relation privilégiée avec le public. Et ils ne contribuent pas peu à l’unifier. A leur façon, ils sont facteurs de lien social.

S’inventer une voix

La mise en scène est signée Philippe Tessier, professeur de théâtre et acteur lui-même. Allant et venant sur le côté gauche de la salle, ses yeux concentrés ne laissent rien passer, il est attentif au moindre détail. Chez lui, je crois reconnaître une marque de fabrique. Quand on écoute les acteurs qui ont travaillé avec lui, on a l’impression que certains ont construit leur rôle à partir d’une pièce centrale qui est l’invention d’une voix. C’est assez frappant, par exemple chez Stéphanie (Vanessa Ferraty), l’une des deux ornithologues. On s’invente une voix, on s’y exerce, on la fait résonner, jusqu’au moment où l’on fait corps avec elle et où cette voix est devenue elle-même l’essence du personnage. Quoi de plus important au théâtre, finalement ? La voix, que la scène oblige à forcer, est bien l’outil principal dont joue un acteur, et peut-être plus encore dans une pièce « de boulevard ».

Celle-ci a pour thème la chasse. Voilà bien un sujet « clivant » s’il en est. D’ailleurs, aujourd’hui, c’est dimanche, et ceux qui ne sont pas là, au théâtre, sont pour certains… à la chasse. Ça canarde un peu partout dans les bois, les champs et les landes. Ceux qui ne chassent pas, eh bien ils enferment leurs chats à double tour : un accident est si vite arrivé ! Quelle manie a donc le théâtre de boulevard de vouloir se confronter à des sujets aussi polémiques ! L’an dernier, « Sincère à rien » traitait de l’hypocrisie des relations sociales et familiales. A Férel, Philippe Tessier avait monté « Le coup du blaireau », une pièce qui dénonçait les malhonnêtetés diverses des agences immobilières. On soupçonne que le répertoire moderne du boulevard s’est donné pour défi d’aborder de façon consensuelle tous ces sujets qui divisent. C’est peut-être cela même sa « mission » : mettre du baume au cœur et du sparadrap sur les blessures.

Des militantes anti chasse déterminées

Son moyen privilégié, c’est le rire, bien sûr, l’humour. Lequel ? me direz-vous, car ses formes sont multiples. Je crois que l’élément central, ce sont les personnages (avec leur voix…) Décrire la galerie de personnages de cette pièce, c’est déjà pour une large part raconter la pièce.

Germaine, alias Catherine Coudreau, tient des chambres d’hôtes et accueille ce soir-là deux chasseurs, interprétés par Serge Herbaut et François Machicoane. Pas besoin d’en dire beaucoup plus pour ceux qui les connaissent ! Elle accueille également deux ornithologues, Vanessa Ferraty et Vanessa Klynuski, qui sont en réalité des militantes anti-chasse déterminées. Et deux Anglaises, Sylvie Guillon et Mellina Huguet. Sans oublier la garde forestière, Martine Levrard. Tous les ingrédients sont là pour que se nouent les quiproquos et les rebondissements qui vont nous tenir en haleine pendant une heure et demie.

Les Anglaises trouvent que le français est une langue étrange. Pourquoi toutes ces expressions à propos de « becs » ? « Le bec dans l’eau », « une prise de bec », « clouer le bec ». Et lorsque Germaine les invite à boire le Champagne, elles confondent les bulles et les boules… Félix (François), maladroit comme pas deux, confond le bois de Boulogne et les forêts de la Sologne. Miss Betty a trop bu, Robert (Serge) doit la porter dans sa chambre. D’ailleurs à l’entracte, dans les coulisses, Serge confie que son rôle est « physique » ! Nous sommes dans le registre du burlesque, et cela marche (presque) à tous les coups. Le principe de base est que : « ça cloche ».

L’autodérision raccommode les contraires

Un autre principe, plus étonnant, est que le ridicule des personnages qui nous fait rire ne nous empêche pas de continuer à les trouver sympathiques. À moins que ce ne soient les acteurs qui nous sont sympathiques. Ils semblent heureux de nous faire partager un bon mot. Du coup, on ne rit pas « des » personnages (des acteurs ?), on rit « avec » eux. Ils nous donnent à leur façon une petite leçon d’autodérision qui ne fait jamais de mal… Tout est là. L’autodérision est un remède efficace face à « l’esprit de sérieux » qui est le moteur de bien des combats inutiles. Elle raccommode les contraires ! Chasseurs et anti chasseurs peuvent communier dans une dialectique faite de jeu de mots et de personnages qui ne jouent les gros bras que pour mieux assumer que… « ça cloche ».

Certains disent que la vie est un jeu. Si on n’est pas d’accord les uns avec les autres, on peut ainsi apprendre à relativiser. Personnellement, je n’adhère pas à cette idée, mais je cède devant Shakespeare, la plus grande source du théâtre occidental, qui fait dire à Jacques le mélancolique, en 1599, dans « Comme il vous plaira » :

« Le monde entier est un théâtre, et tout le monde, hommes et femmes y sont acteurs. »

Alors, à l’année prochaine, chers acteurs ! Vous êtes tellement proches de nous et de la vie réelle que vous nous faites ressembler, nous aussi, à des acteurs sur une scène…

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