« Les colporteurs de brume », grands et petits, professionnels et amateurs, étaient samedi sur la scène de l’espace Petit-Breton. Ils se sont amusés et nous aussi : vive le théâtre !
Quelle fraicheur ! Je me souviens m’être ennuyé en allant voir le grand Laurent Terzieff, peu avant sa mort, au théâtre de l’Odéon à Paris. Ici, nous sommes dans un village de Bretagne sans prétentions, il n’y a pas de texte, sauf ceux de Rudy pour les enfants, mais une envie si forte de partager, et un public si réceptif qu’un miracle s’opère dès que des individus se trouvent sur une scène entourée de spots, et d’autres sont assis en face, en léger contrebas. Les premiers jouent, ils prêtent leurs voix et leurs corps à une fiction où tout est faux, décors, costumes, intonations, et où l’envie d’y croire n’en est que plus grande. Une envie répond à une autre envie.
Serrer les spectateurs contre leur cœur pour les rendre moins circonspects
Oui, le savoir-faire est assumé. Et le public, qui n’a jamais été dupe, se laisse faire le sourire aux lèvres. C’est parti ! Voici « Les colporteurs de brume » !! Jean-Marc Vrignault en Monsieur Loyal, vêtu d’une grande cape rouge plus vraie, plus fausse que nature, annonce que les dès sont jetés, les aléas sont jactés, les sentiments sont machinés (1). Public, chantez en chœur, afin de devenir un public pour de vrai, c’est-à-dire pour de faux ! Acteurs, descendez de scène pour aller embrasser, serrer contre votre cœur, les spectateurs, histoire qu’ils soient moins circonspects ! Acteurs, chauffez-vous ! Jouez des photos plus vraies que nature, composez des tableaux vivants : deux survivants poursuivis (au ralenti !) par des extraterrestres, l’élection de Miss France… Faites vos gammes, tant il est vrai qu’une improvisation, au théâtre comme en musique, repose sur de la technique, avant de pouvoir « lâcher prise »… Le public, lui, est déjà conquis. Il a « la banane » !
Nous y voilà ! Premier thème d’impro : « c’est lui qui avait farci l’ananas de Mamie. » Qui a bien pu proposer un tel sujet ? La coupable, hilare, est vite dénoncée. Mais le dialogue commence déjà. « Tu as vu Mamie, dernièrement ? » « Oui, enfin, ben tu sais, Mamie, elle pèse bien 150 kilos. » « Tu l’as vue ou tu l’as pas vue ? » Le public n’en rate pas une miette.
« Jean-Miche ! », crie une toute jeune fille qui rit aux éclats
Deuxième impro, catégorie personnages imposés. Un homme d’âge mur incarnera Gertrude, 17 ans. Et quel est son défaut ? « Elle est menteuse ! », répond quelqu’un dans la salle. Le deuxième sera… « Jean-Miche », crie une toute jeune fille qui rit aux éclats au premier rang. Quel âge ? « 43 ans », répond la même. Son défaut : il aime les jeunes filles ! Et ainsi jusqu’à épuisement… On ne se lasse jamais. Il y a en permanence du rythme, des surprises, de la fraicheur, des fous rires.
En première partie de ce spectacle, nous avions vu celui des enfants. De la fraicheur, ici encore, avec une série de sketches, longs juste ce qu’il faut (7 en une demi heure). Les textes sont de Rudy, et ils sont interprétés avec conviction, dans des costumes que l’on devine confectionnés amoureusement par les parents pour cette fresque historique. Elle débute par un groupe d’hommes de Néanderthal retour de rencontrer ces tarés d’Homo Sapiens de la plaine.
« C’est marrant, Sans-Culottes ! Mais pourquoi pas Gilets Jaunes ? »
Puis on assiste en exclusivité à la conversation des astronautes américains avant leur arrivée sur la lune en juillet 1969, où il est question de hot-dogs et de leurs mamans. Vercingétorix rassemble les tribus gauloises avant la bataille d’Alésia. Les soldats de Sparte qui ont combattu les Perses sont des fanatiques qui crient « Aouh » à tout bout de champ. Un soldat des tranchées de la 1re guerre mondiale propose à un autre, affamé, son quatre-heures. Des pirates déguisés en Espagnols se font prendre pour des Espagnols par d’autres pirates (si j’ai bien compris).
Et la scène finale nous présente Marie-Antoinette et Louis XVI. Celui-ci aime bavarder avec ses sujets. « C’est marrant, Sans-Culottes, mais vous n’auriez pas pu trouver un nom qui sonne mieux, Gilets Jaunes, par exemple ? » Mais Marie-Antoinette leur propose de leur tricoter des culottes en laine d’alpaga.
Ces enfants ont d’autant plus de mérite que leurs répétitions n’ont pu commencer qu’en mars, à Camoël alors que beaucoup vivent à Pénestin, et sans garantie d’y disposer d’une salle pour ce spectacle final. Jusqu’au conseil municipal du 27 mai dernier qui les a enfin rassurés. La qualité de leur spectacle le justifie amplement. Certains d’entre eux auront certainement attrapé le virus du théâtre. Ils méritent d’être soutenus.
1 – Non, il n’a pas dit cela, je ne veux pas lui faire honte ! C’est moi qui reformule…
* Les parents de tous les enfants ont, bien entendu, signé une déclaration de cession de leur droit à l’image.