Je n’avais pas prévu d’écrire. Je suis allé à Petit-Breton vendredi soir par curiosité. Une vraie curiosité, de celles qui vous démangent sous la plante des pieds. Cela n’avait encore jamais existé à Pénestin : une « saison culturelle » en plein hiver, pour les habitants de la commune. Le matin, dans L’Echo de la Presqu’île, Franck Lazzari annonçait la couleur : « C’est une autre démarche que celle de proposer des animations aux vacanciers d’été. » Bien vu ! Cette phrase est en réalité une citation, extraite de son interview de David Guilbault, en charge des « animations » depuis 8 ou 9 mois à la mairie.
Mais en quoi ? Oui, en quoi ? Je veux dire : qu’est-ce qui fait que la démarche est différente ? Pourquoi on fait de l’animation pour les estivants et de la culture pour les habitants de la commune à l’année ? Et quelle différence y a-t-il entre animation et culture ? Il a dû oublier de lui demander. C’est pour savoir de quoi il en retourne que j’étais si curieux de venir ce soir.
Kwik !
Je suis sûr que David a des idées sur la question. Sinon, il n’aurait jamais réussi à faire émerger, et si vite, qui plus est, un projet de saison culturelle alors que son poste supposait la responsabilité des animations, et je me souviens des échos que nous avions au moment de son recrutement pour remplacer la jeune femme qui l’a précédé et qui s’était faite proprement ly… – kwik ! Ne revenons pas sur le passé. En bref, il a dû leur faire l’effet d’une perle rare.
Bon, je vous raconte d’abord la soirée, ça vous donnera quelques indices, et on revient ensuite sur le sujet que je viens d’effleurer. Damien Girard, caviste nomade ainsi qu’il s’auto-définit, a terminé sa « conférence gesticulée » en remerciant je vous passe la liste et en les félicitant, avec un vrai accent de sincérité, d’avoir pris cette belle initiative de saison culturelle et d’avoir eu cette idée originale et qui le met en joie, on le comprend, de choisir le sujet du vin pour l’inaugurer.
Il a raison, et lui aussi fait de jolies choses. Il raconte des histoires de vins, de cépages, de vignerons, de négociants, tout cela sur un ton… je vais tricher un peu en vous disant : inimitable. Car ce qui m’intéresse surtout, ce qui m’a épaté, ce sont ses trouvailles, les mots qu’il choisit pour dire les perceptions visuelles et olfactives qui retardent voluptueusement la dégustation du demi-verre de Muscadet 2019 bio Château-Thébault qui nous a été servi. Sa robe est d’un « or pâle ». Le deuxième « nez » a quelque chose de plus « beurré » que le premier, il dirait même un peu « pétroleux » si le mot existait. Essayez, vous, de mettre des mots sur une odeur ! Mais attention : une « bonne claque acidifiée » va bientôt frapper vos molaires !
Il y a un très grand linguiste, mort en 1980, et que plus personne ne lit : Roland Barthes. Il avait analysé, entre autres, la structure du langage de la mode, alors qu’il s’en fichait, de la mode ! Ce sont les mots qu’il aimait. Il disait : « J’ai une maladie, je vois le langage. » Eh bien, bravo Monsieur Girard ! Vous avez réuni dans un même élan le vin et ses mots. Les vôtres, de mots, décrivent les sensations, et ce faisant les aiguisent, les enrichissent, les poétisent. La poésie est source de bien des savoirs. Barthes aurait aimé, je suis sûr.
Une énergie farouche
Dans le passé, il fallait régler les instruments, la balance, etc. avant de commencer un concert. J’ai dû rater quelques épisodes, car maintenant, ça enchaîne aussi sec en deux temps trois mouvements. Ladies and Gentlemen, Tu m’ador !! Le pied droit d’Emma chaussé d’une Converse bleue – l’autre est verte, à moins que ce soit un effet des projecteurs – frappe la grosse caisse avec une énergie farouche. Elle nous interpelle. On dirait qu’elle sonne le tocsin, mais il ne faut pas toujours suivre ses impressions. Paul, pour sa part, surjoue sa finesse face à la rondeur et la puissance d’Emma. Son pantalon archi-moulant lui donne l’air d’une sauterelle. Une sauterelle noire…
Mais là encore, méfions-nous des idées trop simples. Paul arpente sans esbroufe le manche de sa guitare. C’est simple, carré, efficace. Et écoutez leurs voix ! Vous avez remarqué ? Non, pas encore ? Ecoutez bien. Ils chantent à l’unisson la plupart du temps ! Leurs timbres se mêlent en une vibration unique aux harmoniques partagées. Leurs deux voix sont plus que collées : comme on dit, il n’y a pas entre elles l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. L’étrangeté vous saisit. Qui est l’homme, qui est la femme ? Vous relirez Judith Butler, la théorie des genres. Platon peut-être aussi. Chaque être humain est une moitié d’orange qui cherche sa moitié complémentaire. Le son de leurs voix est celui d’une orange respirant le bonheur de s’être trouvée. Leur musique une jouissance.
Au début, pourtant, on les sent un peu froids. Mon impression est qu’ils se protègent. Imaginez-vous à leur place. S’ils se détendent, se laissent aller, font une ou deux vannes entre les morceaux, plof ! tous ces vieux, qui composent le public à quelques exceptions près, risquent de les regarder avec des yeux de merlans frits et de faire chuter leur belle énergie. Et les quelques spectatrices qui s’avancent vers la scène pour danser ne suffisent pas à les dérider. Mais peu à peu, leurs chakras se dénouent. Emma rigole, demande si on kiffe, prend le temps de nous dévisager. Elle croit au contact entre elle et nous. Les vieux. Ceux qui n’aimaient pas sont déjà partis. Eux, Emma et Paul, ont retrouvé leur aplomb et leur esprit positif.
A la fin du concert, je vais voir Emma : je veux savoir ce que cela leur a fait de chanter pour des vieux. Ses yeux de 19-20 ans se plantent dans les miens. Un sourire est posé à demeure sur son visage. « Pour nous, l’âge n’est pas un problème, me répond-elle. Du moment que les gens sont réactifs vis-à-vis de nous, qu’il y a une communication, quelque chose qui passe entre eux et nous. » Elle ajoute : « Ce qui nous a fait bizarre au début, ce n’était pas le public, mais la salle, sa dimension, sa disposition. » Petit-Breton est une salle faite pour recevoir 300 personnes. Lorsqu’on y est à 70 ou 80 comme ce vendredi soir, l’énergie se perd, et même avec le professionnalisme et le savoir-faire des artistes, il doit leur être difficile d’atteindre un niveau d’énergie et de le conserver.
La distinction entre culture élitiste et populaire mène à des impasses.
Belle soirée en tous cas. Alors, culture, animation ? Vous avez sûrement saisi que là où on parle de culture, il est question d’expérience, de rencontre, de partage, de découverte. Je dis cela à dessein, car dans le contexte qui est le nôtre, il faut à tout prix éviter de se limiter à la « culture culturée ». Moi, je serais assez fou pour proposer Hamlet et je crois que ça pourrait marcher. Mais il faut des étapes pour en arriver là. Vous avez vu il y a 6 mois quand j’ai proposé des covoiturages pour aller à l’opéra ? Zéro réponse. Mais peu importe : la distinction entre culture « élitiste » et culture populaire mène à des impasses.
Les artistes que nous rencontrons ont du « talent ». Beaucoup d’intellos n’aiment pas ce mot, mais il a un sens : ces artistes ont quelque chose à dire, à transmettre, et ils ont réfléchi sur la manière de le dire et de le transmettre. Contenu et forme. A leur contact, on se « nourrit ». Miam ! Un autre mot pour dire « se cultiver », mais là, il y a l’idée qu’en se nourrissant, on « grandit ». En tous cas, goûtez à tout. Epicé, sucré, acidulé, amer… Ne vous limitez pas aux goûts que vous connaissez déjà, expérimentez-en d’autres. Et puis, allez parler aux artistes, ils apprécieront et sauront vous mettre à l’aise, si c’est ce qui vous retient. Juste un détail. Aux Etats-Unis, quand on croise le trompettiste en allant aux pissotières, on lui dit « Thank you for the music ! ». Faites pareil, dites « Merci ! » plutôt que « Bravo ! »
Mais l’animation, alors, en quoi est-ce différent ? On a raison de considérer, je pense, que dans le contexte de Pénestin, l’idée d’animation fait partie de l’offre proposée aux estivants. Il y a une sorte d’urgence à gérer. Les gens en vacances ont tout d’un coup trop de temps. Du temps libre. Du temps vide, quoi ! Et ça les angoisse un peu, beaucoup. La nature a horreur du vide, les estivants aussi. Alors il faut remplir ce temps. Tout est bon : concert, musée, château, excursion… Ne leur jetez pas la pierre, c’est humain.
La question « en quoi ? » de tout à l’heure, en quoi c’est différent de proposer une saison culturelle aux habitants et des animations aux estivants, signifiait finalement ceci : une fois qu’on sait qui sont nos publics, on a déjà fait un grand pas et on y voit plus clair, mais il reste à définir les objectifs. Combler le vide des vacances est un exemple d’objectif, et qui répond à une vraie demande.
Plusieurs solutions peuvent être proposées : remplissage pur et simple, « gavage » avec tout ce qui se présente, ou bien maintien d’un certain niveau d’« exigence ». Je crois par exemple que le travail de programmation de Lili à L’annexe de Tréhiguier répond d’autant mieux aux espérances de la mairie qu’il ne s’agit déjà plus d’animation : c’est de la culture.
Pestiféré ?
Certains estivants, minoritaires évidemment, trouvent le chemin de L’annexe, ou bien du Bateau Livre, ou encore des visites de Fred Brettier à la Mine d’Or et au Palandrin. Ce qui rend les choses complexes, c’est qu’il n’y a aucune unité dans la population des estivants (et guère plus, d’ailleurs, parmi les habitants de Pénestin à l’année…) Ceux qui espèrent un minimum de stimulation intellectuelle voisinent avec d’autres qui se fondent fort bien dans des offres bas de gamme et évidemment à moindre coût, comme on en trouve aussi dans la restauration, le shopping sur le marché, une partie des animations proposées par les campings.
Vous n’êtes pas sans savoir, cependant, que l’office du tourisme intercommunal de la presqu’île, sous la présidence de Franck Louvrier, maire de La Baule, ne se contente pas de prétexter une « demande » peu exigeante pour prolonger le statu quo, mais se tourne vers une politique de l’offre visant à surprendre et à prendre l’initiative de rencontres et de découvertes. Ce que les responsables du tourisme sont capables d’élaborer en ce sens, d’autres devraient l’être aussi, parmi ceux qui gèrent la culture proprement dite.
Cette première soirée est encourageante. Il faudrait tirer les leçons de l’expérience Cap Ciné, issue de l’opposition, qui a pris les devants et en est déjà à sa troisième saison. Observer attentivement l’accueil qui sera réservé aux prochains spectacles. Tenter des expériences supposant des prises de risques, même modérées. Etudier la sociologie et les pratiques culturelles des Pénestinois : il y a là un vrai travail à faire avec des méthodes autres que celles utilisées lors des dernières études (dynamisation du centre bourg et commerces). L’occasion de dire que dans un domaine comme celui-ci, il serait bienvenu de travailler avec l’opposition.
Permettez-moi enfin de vous dire à ce propos que le soin mis par la totalité des 13 (la majorité municipale), quasiment tous présents vendredi soir, à éviter de croiser mon regard et de me saluer durant toute la soirée, est proprement scandaleux. Vous m’en voulez d’avoir posté un message chez vous, sur Osons Pénestin, pour dire que le ton utilisé pour parler des 13 survivors des dernières vagues de démissions était choquant. Et vous n’avez pas aimé que j’utilise l’image de la « Cène » de Leonard de Vinci. Allons ! Même Napoléon acceptait d’être caricaturé ! Détestez-vous à ce point l’exercice de l’esprit critique ? Si vous en êtes là, cela va être difficile de faire de la culture… La culture, ce n’est pas la haine, ni le mépris des autres, ni la paresse. Je crois même qu’elle a beaucoup à voir avec l’esprit critique, justement.
Savourez cet article favorable à votre initiative de Saison culturelle. Choyez David Guilbault, ne le laissez pas partir ! Bravo et merci à lui.
La différence entre l’animation pour les touristes et la culture pour les penestinois ? C’est 15€ 🤣
Quel choix judicieux d’avoir commencé ces épisodes culturels par une promotion de l’alcool 🫢
Janvier mois sans alcool ? Pas à Pénestin.
Merci Gérard pour cet article très éclairé sur la culture en opposition avec l’animation.
Personnellement je pense que tout a un public et tout doit être respecté.
Tout d’abord, je voulais saluer ton courage à y être allé, car il était bien évident que tu ne serais pas le bienvenu. Aller dans le froid hivernal participer à une soirée où tu seras accueilli fraichement est très courageux. Je n’ai pas eu cette audace.
En toute impartialité, je trouve cette idée plutôt intéressante. David Guilbaud semble vouloir rénover le climat « culturel et artistique » de Pénestin et c’est tant mieux qu’on lui ait laissé l’opportunité de le faire. A tant d’autres, on a tout refusé.
Ce qui me gêne dans ces soirées organisées par la commune (A quel prix d’ailleurs, pour 70/80 personnes, tu disais, c’est peu non ?) c’est que c’est évidemment de l’entre-soi, réservé à une certaine catégorie de pénestinois. Tout le monde a le droit d’y aller bien sûr, mais qui a envie d’aller passer une soirée avec des gens qui n’ont absolument pas envie de nous accueillir et qui n’hésitent d’ailleurs pas à le montrer.
Il est bien évident, comme tu le dis, que Pénestin gagnerait à ce que tous les acteurs présents sur la commune soient consultés et associés, mais ce n’est pas dans l’air du temps déjà sur bien d’autres sujets.
Déjà beaucoup d’associations et commerces (tu as cité quelques noms) se mobilisent pour organiser des journées et/ou soirées hivernales pour les pénestinois. (concerts, théâtre, lectures, conférence, cinéma……)
Je serais curieuse (et oui, je le suis aussi) de savoir ce que les pénestinois pensent de ces soirées organisées sur le budget de la commune pour satisfaire principalement l’équipe en place et sa cour ? On peut espérer que celle-ci se pose les bonnes questions et surtout apporte les bonnes réponses pour que lors des prochains événements, les pénestinois soient ravis de ce qu’on leur propose et y participent avec plaisir. Mais j’en doute !
Je souhaite publier ce commentaire anonymement pour éviter toutes représailles et préserver ma tranquillité. Quel courage mais surtout quel climat ! voilà à quoi nous en sommes rendus.
Super article ! L’exigence amène à la qualité. Et le public s’en nourrit et en redemande☺
Merci François ! Ce n’était pas très facile à tourner… Je précise pour les lecteurs que mon frère François est un très bon pianiste concertiste.