par Pierre Blaize
Suivant les moments, je me sens comme Giovanni Drogo, le héros de Dino Buzzati dans le Désert des Tartares. J’ai lu ce roman, il y a longtemps. A d’autres moments, je me retrouve dans l’attitude d’un extra-terrestre qui observe notre monde sans trop comprendre sa logique.
Dans le Désert des Tartares, le héros, si je me souviens bien, est dans son fort à la frontière et attend l’arrivée de l’ennemi qui ne vient pas mais est toujours menaçant.
Les média nous mettent en garde et l’état de guerre a été déclaré par le président Macron. La situation est très sérieuse, mais à Pénestin, nous ne savons rien des attaques du Covid 19.
Nous supposons qu’il est peut-être en incubation ou qu’il a déjà infecté sans qu’il le sache un livreur, un commerçant, un ami ou une de ces 150 personnes qui ont assisté en toute innocence à cette étrange soirée de dépouillement des élections municipales, soirée hors du temps (ou calamiteuse ou… je vous laisse trouver le qualificatif qui vous convient). Je n’y ai pas assisté alors que je m’étais inscrit en tant que scrutateur, je me suis fait remplacer. Si vous voulez savoir pourquoi, lisez sur le blog l’article intitulé « soirée des municipales en photos ».
Nous savons comme G. Drogo que l’ennemi est là, mais non seulement il est invisible mais encore sa présence n’a que peu de conséquences dans la vie quotidienne de la plupart d’entre nous.
G. Drogo, malade, se rend compte aux derniers instants du roman que son véritable adversaire n’était pas l’armée étrangère mais la mort. Il réalise alors que l’attente et les préparatifs d’un improbable combat n’ont été qu’un divertissement, une occupation, qui lui a permis d’oublier cette ennemie dont il avait si peur. (Citation de Wikipédia).
Chacun peut trouver matière à réflexion dans cette citation.
Maintenant, j’endosse la tenue d’extra-terrestre et je rejoins mon vaisseau spatial qui observe la terre de loin.
J’essaye de trouver une logique au comportement des habitants de cette planète. Que vois-je ? Toutes les nations se barricadent au lieu de s’entraider pour combattre un ennemi commun dont leur population sera victime à plus ou moins long terme. A de rares exceptions près, c’est chacun pour soi, je garde mes masques, mes combinaisons, mes lunettes de protection etc… J’essaye, comme D. Trump, d’acheter le laboratoire pharmaceutique allemand qui va peut-être produire un vaccin pour en faire profiter ma seule population. Les multinationales pharmaceutiques se réfugient pour la plupart derrière le respect de contrats déjà signés pour ne pas fournir des besoins plus urgents mais les réservent à ceux qui ont signé le contrat et ne sont pas encore en situation critique. Aucune coopération non plus pour notre malheureuse Europe dont il ne reste plus grand-chose des idéaux de ses débuts.
Mais ce qui est pour moi, extra-terrestre, incompréhensible, c’est que les indices boursiers varient en sens inverse des progrès du Covid 19. Au début de la pandémie, ils ont chuté, ce qui a permis à Agnès Pannier Runacher, secrétaire d’État à l’économie, de déclarer le 10 mars dernier : « C’est le moment de faire des bonnes affaires en bourse ». Ensuite la bourse est remontée rapidement, lui donnant raison alors que l’économie réelle était en grande difficulté à cause du confinement lié à l’aggravation de l’épidémie.
La logique aurait voulu que les indices boursiers chutent eux aussi gravement. Vous trouverez toujours un économiste pontifiant pour vous expliquer que la bourse est indispensable à l’économie, et que, contrairement aux apparences, ce n’est pas le casino.
Voilà qui va encourager toutes celles et ceux qui n’ont ni le temps ni l’argent pour spéculer, et qui s’exposent pour servir leurs concitoyens. Les compagnies d’assurance investissent aussi en bourse, mais elles protègent leurs arrières. Depuis mon vaisseau spatial, j’ai capté la déclaration d’un directeur de théâtre qui répondait à la remarque d’un journaliste sur les assurances qu’il avait prises au cas où il ne pourrait assurer un spectacle. « Oui, je suis assuré mais mon assureur m’a dit que le Covid 19 ne figurait pas dans le contrat sur la liste des maladies entraînant une indemnité. Il ne pouvait pas l’être puisque ce virus était inconnu, je ne sais pas si je vais m’en sortir. »
J’ai cessé d’observer ce monde, il est fou et je le serais devenu si j’avais continué. Je vais retrouver ma planète et ne reviendrai peut-être qu’après avoir repris des forces.