Par Edwige Jarczak
Il y a des mois ou des années qu’une petite dame sort tous les jours de l’EHPAD à côté de ma maison et va se promener. Elle descend jusqu’à la place, et puis remonte, et suivant la météo, elle continue un moment sa promenade. Même par mauvais temps, elle passe une partie de ses journées dehors. Quelquefois elle s’assoit sur le petit rebord du mur de la poste, pour reprendre son souffle. C’est une petite dame toute menue et très élégante, et elle a tous les jours une nouvelle tenue. Mais comment fait-elle pour caser autant de tenues dans une chambre ?
Elle était professeur de piano, c’était son métier. Comme beaucoup d’habitants du quartier, je lui fais un brin de conversation à chaque fois que je la croise. Ou plutôt c’est moi qui l’aborde, mais c’est elle qui me parle. Je la complimente sur tous ces pas qu’elle fait encore à son grand âge, et elle me répond qu’elle n’a pas de mérite : elle ne peut faire autrement car elle serait trop angoissée si elle ne marchait pas, c’est ça qui la sauve.
Depuis le 17 mars, nul ne l’a revue. Ce matin, au retour du dernier marché sur la place, je croise l’une des responsables de l’EHPAD. Elle me dit que tous les pensionnaires sont enfermés dans leur chambre sans le droit de sortir, et sans aucune visite. J’en ai eu le coeur serré.
Alors je vais lui écrire. Je déposerai la lettre dans la boîte aux lettres. On ne la lui remettra pas, par crainte d’une contagion possible. Mais peut-être se trouvera-t-il quelqu’un pour la lui lire ?
Qu’est-ce qu’elle peut bien faire toute la journée dans sa petite chambre ? Se fait-elle belle alors que personne ne la voit ? Je pense aux écrits de la dame d’honneur japonaise Sei Shônagon, « Les notes de chevet » du 11°siècle. Dans la note n°18, on trouve une liste des « choses qui font battre le coeur ». Entre autres : « Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre des habits tout embaumés de parfum. Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse, au fond du coeur ».
C’est pourquoi ce matin j’ai mis ma petite chemise à fleurs, une veste de printemps, du rouge à lèvre, (j’ai croisé un homme qui allait chercher son journal en pyjama…) et je rêvais qu’un jour, la petite dame de l’EHPAD franchirait à nouveau le lourd portail de son établissement et s’en irait trottiner dans les rues au gré de sa fantaisie.
Certains d’entre nous ne mourront pas du coronavirus mais du confinement.
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J’ai été très touchée par cette petite histoire. Ayons aussi une pensée pour les personnes handicapées que cet handicap soit physique ou mental : elles se retrouvent aussi plus isolées des autres et ne comprennent pas le confinement .
Et malheureusement comme l’a si bien dit Edwige : certains d’entre nous ne mourront pas du Coronavirus mais du confinement .
Un écrit très sensible qui humanise les statistiques et malheureusement nous fait toucher du doigt notre impuissance.
Je ne suis pas compétent en la matière mais ne pourrait-on pas envisager de mettre sur le site de la mairie de courtes vidéos de témoignages des pensionnaires de l’EHPAD qui le souhaiteraient. En retour les pénestinois pourraient leur adresser quelques mots d’affection.
Mais je crains que le personnel est tant à faire que ce ne soit pas possible.
Bonjour
Effectivement, le personnel a vu son travail démultiplié par le confinement et il sera difficile je pense en ces temps de restriction de visites de voir aboutir ce projet. Par contre mon sentiment est que rien ne devra plus être identique en sortie de crise et toutes les actions en faveur de la participation des résidents à une vie extra mûros sera la bienvenue. À l’EHPAD de Pénestin il y a plusieurs solutions pour envisager la mise en œuvre de ce projet : joindre la direction qui dispose de plusieurs réseaux via l’animatrice ou le groupe de bénévoles déjà très investi.
Cordialement
Pascal PUISAY