Un week-end d’octobre à Pénestin

Nos voisins des résidences secondaires nous demandent souvent : « Mais l’hiver, vous ne vous ennuyez pas ? C’est mort, non ? » Parfois, même entre nous, il nous arrive de nous dire, lorsque la température se rafraichit et que les étals du marché, les restaurants et les cafés se raréfient : « On entre dans le dur ! » Pourtant, la mer est encore à 16°. Le mois prochain, les bernaches et les tourne-pierres nous feront à nouveau l’honneur de nous avoir choisis pour venir passer l’hiver chez nous. 

Voici quelques étapes du dernier week-end, de mon point de vue. N’hésitez pas à proposer vous aussi le récit de votre dernier week-end / semaine / soirée…

Les non-dupes errent dans l’obscurité

Vendredi soir, la poétesse et romancière Gaëlle Josse présentait au Bateau Livre un livre exceptionnel : « La nuit des pères ». Un texte qui recoupe parfois nos vies, certaines d’entre elles en tous cas. Je vous en reparlerai dans quelques jours.

L’identité de Pénestin…

Samedi matin, à la Salle des Fêtes, avait lieu le premier «atelier de concertation » sur la revitalisation du centre bourg. Une quinzaine d’habitants de la commune s’y étaient inscrits. Animation de qualité par trois urbanistes issus de deux cabinets-conseils nantais (pour ce qui est du coût, on me dit que c’est budgété sur l’un des derniers PV du Conseil municipal : vérifiez, il ne faut pas demander toujours aux mêmes de faire le travail…) Ils appartiennent à une génération sensible aux enjeux environnementaux et semblent se donner pour tâche de faire évoluer les municipalités pour qui ils travaillent. Débats relativement apaisés entre personnes de divers bords. D’ailleurs, ce ne sont pas vraiment des débats, plutôt des interventions qui se succèdent. Le maire est présent : il joue le jeu, il écoute. Il intervient, mais pas trop.

Je dis cela en espérant que ma parole sera écoutée pour ce qu’elle vaut. L’esprit critique est un perpétuel recommencement : on peut porter ponctuellement un jugement positif sans oublier les contentieux (graves) dont il a été fait état précédemment. Noircir en permanence un tableau déjà sombre n’est pas une option, comme disent les Anglo-Saxons. Les mots ne sont pas des projectiles, mais un moyen de s’exprimer autant que possible dans la nuance, la sincérité et le respect des faits. Je ne vous refais pas un couplet sur la notion de vérité chez Camus et Bernanos…

Je ne m’exprime pas sur le contenu de cet atelier. Il y aura un compte-rendu et je demanderai l’autorisation de le publier le moment venu. 

Cependant, il a été question, entre autres, de l’« identité » de Pénestin, et il s’agit d’une notion que ni les agences, ni les participants, ne semblent en mesure de définir avec une précision suffisante. J’ai pour ma part travaillé sur le sujet en tant qu’universitaire chercheur en sciences sociales. J’ai publié il y a longtemps déjà un texte sur l’image et l’identité de la ville de Nantes (en développant les éléments permettant de différencier ces deux notions). Je pense réécrire prochainement un texte appliqué à l’identité de Pénestin. Je crois aussi qu’une approche littéraire a beaucoup à apporter sur le sujet, une fois que les termes auront été clairement définis, et j’ai quelques projets à venir à cet égard.

« La tragédie de votre génération et sa chance »

Dans la nuit de samedi à dimanche est mort Bruno Latour, grand intellectuel, philosophe, sociologue et anthropologue, professeur à l’Ecole des Mines et à Sciences Po’, né en 1947. Je vous en avais un peu parlé à la fin de mon texte « A quoi bon ? » du 20 septembre dernier, en vous conseillant de visionner sur internet sa leçon inaugurale de 2019 devant les étudiants de Sciences Po’ : https://www.youtube.com/watch?v=Db2zyVnGLsE&t=5814s

Ses premiers travaux visaient à démontrer que les vérités scientifiques ne se dévoilent pas d’elles-mêmes, mais découlent des choix et méthodes des chercheurs, eux-mêmes conditionnés par le contexte social et politique dans lequel ils agissent. A partir des années 2000, il apporte une contribution essentielle à l’élaboration d’un fondement théorique des discours sur l’écologie : il repense la relation entre l’humain et la nature et entre les sciences de la société et celles du monde physique.

Dans sa leçon inaugurale de 2019, il adressait un message à la génération née dans le siècle actuel. Voyant en eux les acteurs d’une révolution aussi « colossale » que la révolution copernicienne des débuts du 17e siècle, il décrit leur situation dans l’histoire sous le double sceau de la tragédie et d’une chance à saisir.

Voici un extrait de cette leçon (à partir de 12’), légèrement abrégé et simplifié par mes soins :

« Vous avez appris à l’école qu’il y a eu au 17e siècle une révolution extraordinairement importante dans la compréhension de la localisation et du mouvement de la Terre. Elle est associée à Copernic, à Galilée, à Kepler, à Descartes. Dans la vision classique, la Terre était supposée être non pas une planète, mais le centre du monde vécu, autour duquel on pouvait trouver tous les autres corps, le soleil et la lune, les étoiles, etc. Et lorsqu’on a eu, avec Galilée, cette idée tout à fait stupéfiante de considérer la terre comme une planète et de faire se déplacer cette terre hors de sa cosmologie classique, cela a ébranlé littéralement la totalité de la société telle qu’elle existait en Europe au 17e siècle. Cette conception a bouleversé non seulement les cardinaux, le Pape, l’Eglise, mais aussi évidemment les artistes, les politiques, les économistes, et il n’est pas complètement faux de dire que c’est le début du monde moderne. 

Ce qui m’intéresse ici, c’est de proposer un élément de comparaison pour faire comprendre le caractère également colossal de la transformation actuelle. Cette seconde révolution, au coeur de laquelle vous vous trouvez, concerne également la position et le mouvement de la Terre, et ce qu’elle ébranle dans les pensées et les cosmologies en art, en sciences, en politique et en économie. Il ne s’agit plus de la Terre au sens astronomique, mais au sens géochimique. C’est la petite surface de la planète Terre, d’à peine quelques kilomètres vers le haut et vers le bas, à l’intérieur de laquelle tout ce qui est vivant et toute l’expérience qui a été faite par les vivants depuis l’origine de la vie se trouve. Quand on dit la Terre, avec les problèmes que l’on associe maintenant à la question écologique, ce n’est pas le centre de la terre, mais ce qui se passe à l’intérieur de cette petite pellicule. 

Et là, c’est une totale surprise, et le mot révolution va au-delà de son sens astronomique et veut dire quelque chose de plus semblable au sens qu’il a en politique : cette Terre-là réagit aux actions humaines. Et réagit vite. Et réagit beaucoup. La première révolution copernicienne ne changeait rigoureusement rien à la vie ordinaire, mais si on vous dit à présent : oui, mais attention, cette fine pellicule de la terre qui est la totalité de toute l’expérience de tous les vivants, elle réagit à vos actions, ou plutôt aux actions des générations qui vous ont précédés, cela change tout. C’est une transformation qui change la totalité de notre existence. C’est là que réside le caractère colossal et en même temps paradoxal de cette deuxième révolution copernicienne.

Michel Serres, un grand philosophe que vous connaissez peut-être, avait cette très jolie formule, qui montre que l’on peut faire des jeux de mots d’une grande profondeur philosophique. La première révolution peut se résumer par l’expression que la terre se meut. Galilée est supposé avoir dit, contre les cardinaux qui le condamnaient : « Et pourtant, elle se meut. » Et Serres dit dans un livre magnifique, « Le contrat naturel », qui anticipe beaucoup des questions qui ont été posées par la suite : ceux qui défendent l’idée que nous subissons une deuxième grande révolution sur la position de la Terre, doivent murmurer dans leur barbe « Et pourtant, la Terre s’émeut. » C’est-à-dire qu’elle est non seulement dotée d’un mouvement dans le cosmos, mais aussi de ce qu’on pourrait appeler une émotion, au sens étymologique du terme : se mouvoir et s’émouvoir à l’action des humains. Dans les deux cas – et c’est la tragédie de votre génération et sa chance -, vous vous trouvez au milieu d’une révolution de même dimension que celle des temps modernes au 17e siècle. Brusquement, la question dans les arts, en religion, la question politique et la question économique, sont bouleversées par l’irruption, par l’intrusion comme dit Isabelle Stengers, de cette Terre qui s’émeut. »

Ce message adressé à la jeunesse par le grand savant qu’était Bruno Latour est à la hauteur de la situation qu’il décrit : il est proprement « colossal »

Remarquez qu’il fait référence aussi à « la question politique »« bouleversée » par l’irruption de « cette Terre qui s’émeut »…

Bruno Latour nous manquera beaucoup.

Ce n’est pas fini. Il y aura une suite à ce récit d’un week-end d’octobre. Je n’écris pas aussi vite que je voudrais, car je suis occupé aussi par la recherche urgente d’une nouvelle voiture. Si vous avez un tuyau…

1 commentaire sur “Un week-end d’octobre à Pénestin”

  1. J’avais du retard sur tes articles, je viens de le combler, merci. Et alors, tes réflexions sur l’identité de Penestin avancent- elles? On en reparle bientôt.

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