Vous êtes déjà 600 à avoir lu l’article d’il y a deux jours à propos du classement « sans suite » de la plainte de Corinne Terrien contre le maire de Pénestin pour agression sexuelle et harcèlement par une personne abusant de ses fonctions.
Ses amis ont créé une cagnotte en ligne afin de lui garantir le soutien financier nécessaire à la poursuite de son combat juridique.
Cette cagnotte est facilement accessible sur : https://www.leetchi.com/fr/c/soutien-a-corinne-terrien-pour-son-combat-juridique-et-que-justice-soit-faite-9340721
Merci d’avance pour votre aide !
Pour toute question, vous pouvez contacter Hélène Marini :
marini.helene@gmail.com
En premier lieu, tout créateur de cagnotte en ligne doit respecter impérativement les dispositions de l’article 1162 du Code civil aux termes duquel « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. ». Il faut savoir que cette notion d’ordre public est large et englobe la notion de « bonnes mœurs », celles-ci pouvant se définir par l’ensemble des règles imposées par la morale qui échappent à la volonté des parties qui ne peuvent y déroger contractuellement. Elles sont nécessairement liées à l’évolution de morale de la société. Telle situation condamnable au titre des bonnes mœurs il y a 50 ans ne l’est plus aujourd’hui à la suite de l’évolution des mœurs.
Cependant, il faut garder à l’esprit que la notion d’ordre public va de pair avec celle de bonnes mœurs. Ainsi, l’article 6 du Code civil s’y réfère en visant les deux notions : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. ».
Il s’évince donc de ces dispositions que la cagnotte qui est créée ne doit pas être pas contraire à l’ordre public ni, plus généralement, enfreindre la loi et les bonnes mœurs.
En deuxième lieu, le créateur de la cagnotte doit respecter les dispositions de l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée sur la liberté de la presse qui dispose :
« Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, des amendes forfaitaires, des amendes de composition pénale ou des sommes dues au titre des transactions prévues par le Code de procédure pénale ou par l’article 28 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Le fait d’annoncer publiquement la prise en charge financière des amendes, frais, dommages-intérêts et autres sommes mentionnés au premier alinéa du présent article est sanctionné des mêmes peines. »
Il faut savoir que cet article 40 a été modifié par l’article 175 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté suite à un amendement sénatorial. Il a ainsi étendu le champ de la répression de l’infraction initiale afin de sanctionner le fait d’annoncer la prise en charge des amendes, frais et dommages et intérêts. Il en ressort qu’une cagnotte créée pour venir en aide à une personne poursuivie pénalement ne peut, en tout état de cause, servir à payer ses condamnations pénales. Par contre, elle peut servir à payer les frais d’un avocat pour sa défense.
La jurisprudence sanctionnant les cagnottes irrégulièrement créées est très limitée du fait que les créateurs les ferment le plus souvent rapidement lorsqu’elles deviennent polémiques avant toute fermeture judiciairement ordonnée.
Nous citerons pour illustrer cette jurisprudence deux décisions.
Tout d’abord, une très vieille de décision rendue le 13 mai 1948 par la cour d’appel d’Alger. Cette juridiction avait jugé à l’époque qu’une souscription publique ouverte au cours d’une réunion et tendant à fournir à un condamné les fonds nécessaires pour se pourvoir devant une juridiction supérieure ne tombait pas sous le coup de cet article 40 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée. Dans cette même décision, la cour indiquait en revanche, que cette même cagnotte ne pouvait pas servir aux paiements des frais découlant d’une éventuelle condamnation (Alger, 13 mai 1948, Dalloz, somm. 34). La position jurisprudentielle soixante quinze années plus tard n’a pas évolué sur ce dernier point.
La deuxième décision est plus récente et topique au regard de notre société contemporaine et de son évolution vers les technologies numériques. Elle a été rendue le 6 janvier 2021 sur le fond en matière civile par le tribunal judiciaire de Paris à propos d’une cagnotte d’entraide pour soutenir un gilet jaune dans une opération dénommée « Soutient un boxeur gilet jaune ». Le bénéficiaire était un ancien boxeur soupçonné d’avoir frappé des policiers qui se trouvait en garde à vue. Les policiers avaient dénoncé une « prime à casser du flic ».
Suite à la suspension de la cagnotte et au refus de verser les sommes sollicitées, la société Leetchi a été assignée devant le tribunal judiciaire parisien aux fins de constater la légalité de la cagnotte ouverte pour soutenir la famille de Monsieur A. et condamner ladite société à verser la somme cagnottée à la requérante Madame D.
La juridiction a prononcé la nullité du contrat de création de cagnotte en ligne conclu entre la SA Leetchi et Monsieur A. et ordonné à la SA Leetchi de restituer à l’ensemble des participants de la cagnotte les fonds collectés en vertu du contrat annulé.
La motivation du tribunal mérite d’être exposée car elle illustre la notion d’ordre public mentionnée par les articles 1162 et 6 du Code civil ainsi qu’en filigrane les exigences d’objectif contenues dans l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée.
Tout d’abord, s’agissant de l’objet de la cagnotte litigieuse, la juridiction parisienne a constaté qu’il ressortait que « (…) l’objet de la cagnotte (…) n’était ni de financer les honoraires d’avocats exposés par M. A., ni de soutenir matériellement son épouse et sa famille (…) afin de compenser les pertes financières engendrées par un éventuel emprisonnement à venir alors qu’il n’était pas encore interpellé. »
En deuxième lieu, pour apprécier le but réellement poursuivi par la cagnotte, la juridiction s’est livrée à la détermination du périmètre ainsi que contenu du soutien par rapport au cadre légal. Il a rappelé à cet effet que « l’article 1162 du Code civil dispose que le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
En tout état de cause, pour le tribunal judiciaire de Paris, « la défense de l’ordre public et de l’intérêt général doit nécessairement primer sur les intérêts particuliers et les contrats qui les expriment et ce, même à l’égard du contractant qui n’entendait pas volontairement y porter atteinte. »
Enfin en troisième lieu, il a relevé qu’il était établi dans les faits soumis à son appréciation que « la collecte de fonds » créé par Monsieur A. heurtait « suffisamment la moralité et l’ordre public pour être considéré comme un but illicite. »
Il a rappelé cependant dans son jugement que « la cagnotte ne contrevient pas aux dispositions de l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dès lors qu’il ne s’agissait pas d’organiser une souscription pour payer des condamnations déjà intervenues. »
Autrement dit l’irrégularité d’une cagnotte peut intervenir soit au regard des articles 1162 et 6 du Code civil pour violation de l’ordre public avec le risque très probable du prononcé de la nullité du contrat de création de ladite cagnotte, soit sur le fondement de l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée sur la liberté de la presse lorsque cette cagnotte vise à assurer la prise en charge des frais de condamnation financière de nature pénale qui sont infligés par une juridiction à une personne donnée.
En conclusion, une cagnotte en ligne ne peut en aucun cas porter atteinte à l’ordre public pris au sens large du terme. Elle ne peut servir à financer des dépenses directement ou indirectement en relation avec des condamnations judiciaires (amendes, frais et dommages et intérêts mentionnées par l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée. Les créateurs de cagnotte doivent donc être particulièrement vigilants sur l’objet de la cagnotte qu’ils créent et promeuvent en affectant clairement les sommes récoltées à des dépenses licites.
Cher Monsieur,
Je valide votre commentaire et j’y réponds puisque vous avez accepté d’être transparent en indiquant votre nom et votre mail (uniquement accessible à l’administrateur du blog).
Je suis tenté de vous dire : tout ça pour ça ! La cagnotte de soutien à Corinne n’est pas destinée à payer des amendes, frais, dommages et intérêts au sens de l’article 40 de la loi sur la liberté de la presse (que j’affectionne particulièrement et que je respecte). Une cagnotte destinée à payer des frais d’avocat est parfaitement légale.
Votre raisonnement est engagé sur une fausse piste dès lors que vous faites référence à des « cagnottes créées pour venir en aide à une personne poursuivie pénalement ». Vous semblez confondre l’auteur d’une infraction et sa victime.
Merci de ne pas poursuivre la discussion.
Salutations distinguées
Gérard Cornu