Chroniques locales du temps jadis – Pénestin 1898 ou les vagabondages du Vicomte Odon du Hautais (1).

(Un très grand merci à Jean-Yves R. qui nous fait partager le résultat de ses recherches dans la presse locale et les archives. Je publie ce passionnant récit de voyage à Pénestin datant d’il y a plus d’un siècle en deux parties. G. Cornu)

Ce récit, découvert sous le titre générique de « Causerie bretonne – Damgan, Billiers et Penestin » et publié, pour la partie pénestinoise, à partir du 25 septembre 1898 dans le « Journal de Ploërmel », nous rapporte les impressions, non sans parfois des moments de poésie, du Vicomte Odon De Hautais, qui, débarquant à Tréhiguier en provenance de l’embarcadère du Moustoir après avoir visité Damgan et Billiers, parcourut une partie du pays pénestinois. Un texte qui nous révèle aussi quelques pans d’histoire du territoire et nous renvoie à une nature encore préservée de l’invasion urbanistique incontrôlée des années 60 et suivantes. Le Vicomte Odon du Hautais était en réalité le pseudonyme littéraire de Me Joseph (Aimé Victor Marie) De Tallendeau de Montrut, établi comme notaire à La Roche-Bernard et qui fut auteur de nombreux articles historiques dans « La Revue morbihannaise », « Les Annales de Bretagne » ou « La Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou », voire de poésies mises en musique (« Chansons de mon moulin ») et autres ouvrages tels « Aux environs de la Roche-Bernard : notices et essais historiques » (1894), sans compter sa fonction de correspondant local du journal « Le Morbihannais » jusqu’en 1898.

Donnons donc la parole au « Vicomte » :

Édition du 25 septembre 1898 : « Du Moustoir à Tréhiguier, on passe la Vilaine à l’aide d’un bac, et cette traversée du grand fleuve Morbihannais, au seuil de l’Océan, ne manque ni d’imprévu ni de pittoresque. Le bac comme ceux que dirigeaient les marins du temps jadis, n’est pas dépoétisé par la remorque moderne d’une « mouche » ou d’une « abeille » à vapeur. C’est au moyen de longs et frustes avirons qu’est mue la lourde machine et les bras de leviers qui font agir ces deux antennes d’un genre nouveau sont les solides et musculeux poignets de quelques rudes gaillards de la contrée. Quelquefois, quand la tempête fait rage au dehors, le passage du bac n’est pas une petite affaire et, à certains jours plus sinistres, le batelier peut même refuser de conduire sa barque. Alors, assis sur la rive, à l’abri plus ou moins sûr d’un pan de mur ruineux, le voyageur attend que vienne l’embellie, et que plus clémente soit la rivière troublée.

Mais ceci est assez rare. Pendant les beaux jours on n’a pas à craindre de telles mésaventures ; et, à moins d’un brouillard trop intense, comme on en voit parfois au printemps ou à l’automne sur les larges rives de la Loire, le passage du bac s’effectue dans des conditions charmantes de sécurité et d’intérêt.

J’ai passé plusieurs fois la Vilaine, du Moustoir à Tréhiguier et toujours en d’excellentes conditions. Aussi, que le touriste et le voyageur se rassurent ! Ils n’ont qu’à se présenter sur la cale du Moustoir, à héler, de leur plus belle voix, le batelier qui dort peut-être sur l’autre rive et, comme les cavaliers des siècles défunts, une barque rustique encore les transportera sur l’autre bord, sans heurt et sans secousse, sur une onde molle et berceuse qui charmera leur rêverie. A certaines époques cependant le passage peut être retardé, quand les grandes marées d’équinoxe déchaînent un violent courant de flux ou de reflux à l’embouchure du fleuve. Les bateliers sont alors obligés d’user de stratégie et d’utiliser, dans un sens ou dans l’autre, les remous qui déterminent sur chaque rive les courants principaux du lit de la rivière.

C’est la lutte de l’homme et des flots et, pour que la barque ne soit pas entraînée jusqu’en pleine mer, il faut que les mariniers souquent ferme sur les avirons. Leurs muscles se détendent avec force, la palette des rames chasse l’onde avec violence et le bac garde la bonne route. Mais dure est la peine des bateliers. La sueur inonde leurs joues ; les muscles tressaillent et leurs veines se gonflent. Ils ont bien mérité quelque chose ; et, plus que les farouches automédons qui restent rivés à leurs sièges, ils ont droit vraiment, en outre du minime salaire qu’ils prélèvent comme péage, à cette légère rétribution, à ce moderne pourboire que les cochers de fiacre et les garçons de café prélèvent si jalousement sur les clients.

Aujourd’hui je passe le bac. Le temps est superbe ; la marée haute. Partout du coté de l’Océan, on voit pailleter sur l’eau plus bleue que le ciel des myriades de rayons d’or qu’on croirait, pour ainsi dire, détachés du ciel. Vers la terre, c’est la teinte plus sombre des bois de pins ou des grands chênes, étagés en amphithéâtre sur chacune des rives du fleuve. En face, c’est le charmant village de Tréhiguier, coquet, comme une jeune mariée, avec ses maisons toutes blanches et le clocheton de sa chapelle dont la cloche est aujourd’hui muette et dont les murs n’entendent plus psalmodier l’office divin. Je ne connais pas, dans toute la contrée, de séjour plus riant, de site plus enchanteur. Du sommet du grand phare qui surplombe si merveilleusement la ligne bleue sombre des toitures, on embrasse un splendide horizon, toute cette embouchure de la Vilaine qui se dirige en ligne droite sur Tréhiguier, comme si elle tenait à honneur de réfléchir dans ses ondes, la gracieuse silhouette du village.

J’ai dit que la chapelle était aujourd’hui muette. C’est vrai, bien qu’elle soit placée sous le vocable de Saint-Yves, le patron vénéré des beaux-parleurs et des avocats. Elle est bien simple d’ailleurs et rien ne la signalerait particulièrement à l’attention des archéologues, si ce n’est un écusson, sculpté dans le granit et placé au-dessus du portail d’entrée. J’ai remarqué, seulement un de ces jours, cette pierre blasonnée ; et quelle n’a pas été ma surprise de reconnaître (à combien d’années de distance!) les « besants d’or » de la célèbre et puissante maison de Rieux. Ainsi la chapelle de Saint-Yves a relevé de ces nobles seigneurs dont les ancêtres, apparentés à la cour de Bretagne, ont occupé les plus importantes charges du Duché. Le maréchal de Rieux ne fut-il pas le tuteur d’une gracieuse souveraine bretonne ?

Hélas ! La chapelle a fait comme ses fondateurs. Elle sert de remise ou de hangar ; et les Rieux, marquis d’Assérac, ont aussi, depuis plusieurs siècles, disparu de l’histoire des peuples. La ruine a consommé l’extinction des brillants sires de Châteauneuf, comme elle a démantelé leurs redoutables forteresses, ce beau château de Ranrouët, par exemple, qui dort, presque enseveli, dans les marais de la commune d’Herbignac ; comme elle renversera demain peut-être la petite chapelle de Saint-Yves, à Tréhiguier.

Le touriste passera donc à Tréhiguier. Il se désaltérera, pendant la saison estivale dans une des coquettes et pimpantes auberges du village. Tout est frais, propre et blanc, dans ces charmantes demeures qui rappellent, par leur riant aspect les petites maisonnettes de la banlieue des grandes villes. Il se promènera, après boire sur les rives du fleuve, d’un coté, en suivant le sentier fleuri de bruyères, qui longe la berge jusqu’aux frais ombrages de Trohudal ; et, de l’autre, en passant au-dessus de la falaise rocheuse qui conduit à la « lanterne » de la pointe du Scal.

De cet endroit, il jouira d’un merveilleux coup d’œil sur l’entrée de la rivière, les marais salants et le bourg de Pénestin, où nous arriverons tout à l’heure, de compagnie, non sans avoir cependant jeté un regard sur la « Galoche », ce menhir des vieux Druides, qui, avec le dolmen et le tumulus de Méarzen, constituent les seuls monuments gaulois de cette contrée. » (A suivre)

Édition du 2 octobre 1898 :

« J’avais fait le projet, en sortant de Tréhiguier, de me rendre directement à Pénestin, par la route « des Sables », au milieu des marais salants. Mais, j’ai pensé qu’il valait mieux, en écolier flâneur, m’attarder aux détours du chemin et conduire le visiteur tout autour de la côte, avant de le ramener au bourg dont la coquette église garde l’entrée, vers l’est ; et dont, vers l’ouest les maisons blanches profilent leur silhouette gracieuse au-dessus de la grande ligne vert sombre de la « Lande menue ». Aussi bien, par ces lenteurs, nous imiteront tous les deux plus parfaitement l’Ad-mi-nis-tra-tion qui, chaque année, remet à une époque plus reculée l’exécution de cette route de Tréhiguier à Pénestin, si ardemment souhaitée par le village et le bourg.

Que d’ailleurs les touristes impatients d’atteindre le bourg se rassurent. Ils ne perdront pas au change en ajournant leur arrivée de quelques heures. Pénestin n’est qu’une agglomération assez vulgaire, sans cachet et sans caractères distinctifs ; et dont le charme réside surtout en cette merveilleuse nature ouvragée que la Vilaine et l’Océan ont faite à son territoire de Tréhiguier jusqu’au Bile.

C’est d’abord l’immense baie comprise entre la pointe du Scal et le Castilli. Sur une longueur de près d’une lieue, la Vilaine pénètre audacieusement dans les terres ; et, à en juger par la conformation du sol, ce sont les hommes qui, à des âges fort reculés, ont conquis cette portion de terrain sur les eaux. Le plature ne s’étend-elle pas en effet beaucoup plus loin que le sol ferme, jusqu’à la limite des vasières que les habitants du pays appellent les « speyes » et que la pleine mer recouvre seulement . Et les petits coteaux qui prolongent la pointe du Scal, comme ceux qui, à l’autre extrémité, protègent le chalet du Goudrel, ne révèlent-ils pas des falaises autrefois battues par des flots ? Le fait me semble indéniable.

Quoi qu’il en soit, cette baie vue dans son ensemble est superbe. Lorsque les eaux de la pleine mer recouvrent cette surface plane de plusieurs centaines d’hectares, l’embouchure de la Vilaine devient un vaste estuaire, aux eaux bleues ou moutonnantes suivant que soufflent les vents du large ou la brise de terre ; et figure assez exactement quelque petite mer intérieure. Le cadre qui l’enserre à l’horizon n’est pas moins riche. Les bouquets d’arbres alternent avec leurs damiers de moissons luxuriantes et de vertes prairies. Là bas, la grande route de Pénestin à La Roche trace un ruban poudreux qui raie le sol d’une grande ligne blanche. Ici, sur les coteaux, les magnifiques bois de Kermouraud et du Bois de la Lande, découpent sur le ciel clair, les fines dentelures de leurs pins gigantesques. Plus loin, le bouquet d’arbres de Trémer pittoresquement détaché du bourg qui s’étage gracieusement sur un coteau, dans une perspective fuyante et trompeuse, sert d’ombre au tableau. Des moulins à vent, aux ailes déployées, étendent, vers les cieux, leurs bras jamais lassés. Les maisons blanches de Brambert et du Lienne, affectent, par le nombre de leurs constructions, l’importance d’une mosquée ou d’un minaret. Puis, comme une série de châteaux de cartes édifiés laborieusement par quelque écolier ingénieux, se dressent les deux villages de Brancelin et du Haut-Pénestin, que terminent les vignes aux pampres verts de la pointe de Castilli.

En bordure de la mer, une grève de sable très doux aux pieds, trace un feston de broderie blanche sur la trame fluide de l’onde azurée. Deux habitations seulement sont construites dans toute l’étendue de cette baie : Le Branzais et le Goudrel. En face cette dernière, sur cette portion de grève qui s’appelle « Ménard », sont amarrés les petits canots des marins du bourg ; et, plus au large, presque au milieu de la rivière, le massif rocheux du « Sécé », que surmonte une tourelle en maçonnerie, étale sa monstrueuse carapace de cétacé endormi.

Les marais salants de Pénestin étaient jadis assez importants. On n’en cultive plus aujourd’hui que quelques œillets. C’est qu’autrefois ils constituaient d’importants revenus, réduits à néant depuis l’exploitation des mines de sel gemme. La culture du sel était cependant très attrayante et ces petits mulons arrondis en taupinées blanches, parfumés comme un bouquet, étaient un plaisir pour les sens de la vue et de l’odorat. Au XVIIème siècle, ces marais salants relevaient, partie du marquisat d’Assérac aux comtes de Rieux, et partie du prieuré de Pénestin dont la juridiction était vassale de l’abbaye de Saint­Gildas-des-Bois ; et les sauniers comme redevances, conduisaient, à la récolte, plusieurs charges à sel à leur seigneur féodal. Mais si les œillets ne sont plus cultivés, il reste du moins les étiers, les prises d’eau et les vasières qui subsistent toujours, et qu’il faut franchir aux seuls endroits où les douanières ont établi de rustiques passerelles si l’on ne veut pas s’exposer à faire mille et mille détours avant de sortir de ce nouveau labyrinthe. Et si l’étranger veut s’aventurer sur les marais à la brune, il est fort à craindre qu’il ne s’égare plus d’une fois ou bien – ce qui n’est pas absolument irrémédiable en été – qu’il ne prenne dans l’une ou dans l’autre des étiers un bain plus ou moins involontaire.

Sur l’un de ces étiers a été construit un pont qui porte le nom sonore et retentissant de « Men er mor ». Ce n’est pas qu’il soit bien remarquable dans ses proportions, ni par son architecture ; mais ce qui le rend intéressant aux yeux des archéologues c’est qu’il doit remonter à une époque fort ancienne et qu’il a été bâti avec une sorte de ciment, très résistant et dur, comme celui qu’employaient les Romains dans leurs différents travaux.

Mais ceci s’écarte un peu de mon ressort. Et plutôt que d’affronter, non peut-être sans péril, le redoutable domaine des premiers temps historiques, j’aime mieux me tenir dans une sage réserve, et imiter de Conrart, « le silence prudent ».

(A suivre)

© Jean-Yves R.

Brancelin

dmàj : vendredi 18 octobre 2019

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