Annick J., coquillagère et clairaudiente

Que font les gens à la plage un 19 octobre, lorsqu’il fait encore 23°, signe évident du réchauffement climatique ? Nous mourrons bronzés, voire rôtis, quand adviendra l’apocalypse. Finalement, cela vaut sans doute mieux que de mourir de froid… Vladimir Poutine l’a bien compris, qui se réjouit de voir la Sibérie reprendre des couleurs, même si la fonte du permafrost libère de grandes quantités de méthane qui accélèrent le développement de l’effet de serre, ainsi que des bactéries facteurs de nouvelles épidémies. Oui, mais on va pouvoir exploiter des gisements d’or et d’uranium jusque là inaccessibles, et l’Océan arctique est déjà devenu en été une voie navigable propice aux échanges commerciaux : de puissants brise-glace russes à propulsion nucléaire s’efforcent de rentabiliser le Passage du Nord-Est en prolongeant au maximum la période de navigation. Le business, бизнес en russe, se poursuivra sans doute jusqu’à la dernière seconde avant la disparition de notre espèce.

« Il faut être exigeant »

Ce n’est sans doute pas le souci premier d’Annick J., qui arpente la plage du Maresclé en remplissant un petit sac en plastique transparent de cailloux et de coquillages. Elle les choisit bien, car ils vont lui servir à composer les prénoms de ceux à qui elle en fera cadeau. Ses 45 neveux n’ont pas encore tous reçu ces tableaux soignés. La boucle d’un « C » ne doit pas se refermer trop vite : cela empêcherait de le lier avec une voyelle. Un coquillage ne doit pas être jaunâtre, il faut qu’il soit net. « Il faut être exigeant », me dit-elle, comme si cette maxime devait aller bien au-delà de la seule question des coquillages.

Annick a 80 ans. Elle est issue d’une grande famille d’Herbignac et s’étonne que je ne la connaisse pas. Ces dernières semaines, elle fait du rangement dans une maison de famille du bourg. Beaucoup de vieilleries, des tas de vieux bouquins : elle a de quoi s’occuper… Ensuite, elle repartira au Sud de la Loire. Mais par ces chaudes journées d’octobre, elle va tous les jours à la plage. Elle se baigne. Elle ramasse ses cailloux et coquillages. Et elle cause. Assez, pas mal, plutôt beaucoup. L’autre jour, Mon ami Alain en a été quitte pour deux heures. Elle dit : « je vais vous laisser, vous devez avoir des choses à faire. » Et elle continue. Pour clore une conversation avec elle, il faut littéralement et presque violemment s’arracher, se soustraire, prendre ses jambes à son coup, la bousculer, lui clouer le bec ! Sinon, vous êtes foutu. Pourtant, ce qu’elle dit est intéressant…

Dernièrement, elle a vu deux gamins tristes sur la plage. L’un s’était blessé, ils ne pouvaient plus jouer avec les autres ou une histoire dans le genre. Pour un peu, ils auraient réclamé leurs tablettes. Mais elle leur a donné une mission très spéciale. Chercher des coquillages en forme de cœur. Et pas n’importe lesquels, des beaux : « il faut être exigeant », vous vous souvenez. Les gamins n’ont jamais été aussi heureux. Les autres les ont enviés, et même leurs parents à qui ils ont tressé des colliers de petits coeurs.

Le sens des prénoms

A d’autres, elle a enseigné l’art des prénoms. Parfois, un seul coquillage donne la totalité d’une lettre. Parfois, il faut mettre bout à bout plusieurs petits cailloux. Elle les agence en petits tableaux que je n’ai pas vus, mais je suis persuadé que ce sont de véritables œuvres d’art. Il y a aussi ses deux neveux de New York, désolé, je n’ai pas retenu, trop d’information tue l’information, il y a longtemps que je voulais entrainer ma mémoire. J’ai honte… Je devrais rayer ce paragraphe !

Et de fil en aiguille, de courbes en pointes, de formes en sonorités, elle en est venue il y a longtemps déjà à lire la vie des gens dans leur prénom, comme s’il constituait une marque, une façon à laquelle on n’échappe pas plus qu’à sa propre logorrhée.

Un H représente une barrière qu’il faudra franchir. Certains parviennent à le prolonger vers le haut comme une échelle, d’autres libèrent le mouvement des deux jambes sous la barre. Le destin dicte ses exigences, mais il est magnanime ! Le R, le A, le O, autant d’histoires qui représentent des fenêtres ouvertes sur une vie, sur le récit d’une vie. « Il y a eu une époque où j’étais au chômage, et je me suis mise à donner des consultations pour aider les gens. » Elle ajoute : « Pour un rendez-vous, il fallait compter 3 heures minimum. » On s’en serait douté.

Droit comme un… Y

Un jour, elle a vu un monsieur qui s’appelait Yves, mais comme elle a aussi un don de « clairaudience », elle entendait par-delà ce prénom quelque chose comme Yvon, Vonvon même, et le voyait prisonnier de cet appel infantilisant. « Qui vous appelait Vonvon dans le passé ? », a-t-elle dû tonner. « Personne ! » Ah si, ben si, oui… Sa maman l’a longtemps appelé Vonvon. Aussitôt dit, il s’est libéré de cette lourde chaine, dissoute d’un coup par l’effet de surprise.

Lui ou un autre avait un nom qui commençait par un Y. Et il se tenait toujours courbé, plié sous le poids de ses soucis. Elle lui a dit : « Mais vous devriez vous tenir comme un Y ! Rentrer le ventre, lever fièrement les bras, regarder droit devant vous. » Rentré chez lui… sa femme l’a trouvé transformé !

Moi, je crois que beaucoup de thérapeutes sont capables de faire du bien, dès lors qu’ils possèdent quelques qualités humaines de base : l’empathie, l’écoute. Peu importe qu’ils soient jungiens, TCC, cri primal, il me semble que c’est affaire d’individus. D’autres thérapeutes de la même obédience n’obtiennent probablement aucun résultat. Elle, Annick, je lui fais confiance. Je crois qu’elle a réellement su aider des personnes. Mais l’écoute, me direz-vous ? J’ai bien senti qu’elle savait écouter lorsque je lui parlais, même si sa propre envie de s’exprimer était irrépressible. Et si en plus elle est clairaudiente, personne ne lui contestera cette forme particulière d’intuition, ni ne l’obligera à écouter nos discours stéréotypés, tellement moins riches que ce que sa sensibilité lui fait entendre de nous.

1 commentaire sur “Annick J., coquillagère et clairaudiente”

  1. Tout fait elle , la dame . J,ai chez moi un de ces tableaux et je l’aime bcp . Bon je dois acheter de la colle régulièrement pour retenir des coquillages en quête de liberte mais Bast .Je vous embrasse Annick et vous donnes rv sur la plage .

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