Chroniques locales du temps jadis. 5 mai 1940 – Une dramatique procession

Alors que les exploits des deux jeunes voleurs de l’affaire Laboureur venaient d’animer le pays pénestinois – Michel Laboureur et Gaston Joris étant désormais à la prison de Nazareth à Vannes en attente de leur jugement -, un événement dont peut-être les plus anciens pénestinois et pénestinoises se souviennent allait avoir lieu le dimanche 5 mai après-midi durant la procession en l’honneur de Sainte Jeanne d’Arc. Peut-être avait-on voulu la célébrer par anticipation, sa fête nationale étant traditionnellement fixée au 2ème dimanche du mois, du fait que l’on vivait alors, depuis le mois de septembre précédent, dans une atmosphère de plus en plus incertaine étant, sans le savoir encore, dans les ultimes jours de la « drôle de guerre », le 10 mai allant voir brusquement le début de l’offensive éclair nazi sur l’Europe de l’ouest.

Pénestin étant pour l’heure sous l’administration de M. François Coquet, Maire depuis 1929 et également élu un an plus tôt conseiller d’arrondissement, la paroisse était sous la responsabilité de l’Abbé Félix-Marie Guillemaud (ancien vicaire-instituteur de Pénestin jusqu’à sa mobilisation en août 1914 et revenu comme Recteur depuis septembre 1932 après avoir été vicaire à Muzillac puis à Carentoir) secondé par l’Abbé Huguet, vicaire-instituteur arrivé comme jeune prêtre en octobre 1937 en remplacement de l’Abbé Nicolet nommé à Marzan.

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Vers 15h00 ce 5 mai, et alors que la procession avait quitté l’église Saint-Gildas, passant par le centre-bourg et était arrivée rue du Calvaire, une automobile conduite par M. Edmond Thiret, 24 ans, chauffeur-mécanicien au service d’une commerçante d’Assérac, Mme veuve Huguet, roulant à assez vive allure et ne pouvant s’arrêter venait faucher certains des participants, y faisant une douzaine de victimes et essentiellement des jeunes enfants et adolescents pénestinois. Revenant de la pointe du Bile où il avait été charger une cargaison de moules pour sa patronne, ayant pris à son bord comme passagers M. Paul Le Gall, de Férel, et, à l’arrière, une pénestinoise qu’il ne connaissait pas mais à qui il avait proposé de la ramener chez elle, Edmond Thiret en abordant le bourg dans la courbe au niveau du Calvaire, en face de la Mairie, à une vitesse d’encore environ 60 kms/h avait été surpris de se retrouver face à la procession qui arrivait.

Voyant, par la distance qui le séparait d’elle, qu’une catastrophe allait s’avérer inévitable, il donnait un brusque coup de frein pour tenter d’immobiliser son véhicule ; mais la violence du coup de pied sur la pédale ne faisait qu’entraîner une soudaine rupture du câble de freins. Essayant de se servir de sa boite de vitesse, passant en première puis même une marche arrière, le jeune chauffeur voyait sa voiture parcourir sur son élan encore une vingtaine de mètres, ne pouvant éviter certains des enfants et encadrants qui, affolés en voyant la course incontrôlée de la voiture, essayaient de se mettre à l’abri à droite ou à gauche de la rue.

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Outre les deux institutrices Mlles Guillot (directrice de l’école libre des filles), atteinte d’une fracture du pied gauche et une blessure au cuir chevelu, et Mlle Briand, blessée aux deux pieds, on relevait ainsi :

Monique Brient, 5 ans, avec une fracture de la jambe droite et Marguerite Lalande, 5 ans également, sérieusement blessée au pied.

Les autres enfants blessés dans des états moins inquiétants étant : Lucien Bernard, 9 ans ; René Cardiet, 12 ans ; Charles Eonnet, 12 ans ; Emile Guihard, 7 ans ; Auguste Josso, 7 ans, et Jean Rouxel, 4 ans.

L’un des journaux relatant l’accident mentionnant aussi au nombre des blessés légers une certaine Mlle Veillot ainsi que les enfants Boëffard et Haumont. Mais les deux les plus sérieusement atteints et inspirant pour l’heure certaines inquiétudes étaient Marie Malgogne, 14 ans, atteinte de blessures multiples, et surtout le jeune Jean Billy, âgé de 9 ans, fils d’un cultivateur demeurant à Trégorvel, fortement commotionné et que l’on soupçonnait d’être atteint d’une fracture du crâne ; son état allant nécessiter une longue hospitalisation à l’Hôpital mixte de Vannes rue de la Loi, tandis que sept allaient regagner le domicile parental après soins et un rester en surveillance chez les Soeurs installées au Bourg. Ayant été mandés d’urgence par le Maire de Pénestin, les docteurs Célestin Fromentin de la Roche-Bernard et Louis Rault d’Herbignac avaient apportés les premiers soins tandis que le docteur L. Picaud de Nivillac s’était activé pour faire rapidement hospitaliser le jeune Billy.

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= Une procession morbihannaise comme devait l’être celle de Pénestin =

Le témoignage du malheureux jeune chauffeur sur lequel on allait recueillir que de bons renseignements – qui plus est expérimenté car conduisant depuis déjà plusieurs années -, ceux de ses passagers et l’enquête menée par la brigade de gendarmerie de La Roche-Bernard allaient démontrer et confirmer que la cause de l’accident était due à un dysfonctionnement des freins du véhicule résultant de leur mauvais état.

Jugés à la mi-février 1941 en première instance par le Tribunal correctionnel de Vannes, Edmond Thiret se voyait condamner à 50.00 francs d’amende tandis que sa patronne était reconnue civilement responsable mais aussi, au titre des dommages-intérêts, devoir verser aux quatre blessés pénestinois s’étant portés partie civile (Briand, Rouxel, Malgogne et Bily) : 5000,00 francs à Mlle Briand, 1600,00 francs pour le fils Rouxel, et, à titre de provisions car le montant global ne pouvant être précisé et fixé qu’après expertises médicales, 4000,00 francs pour Marie Malgogne et 2000,00 francs pour Jean Billy, celui-ci devant de plus être soumis à une expertise mentale par le Docteur Jean Salomon, médecin-chef de l’hôpital de Lesvellec en Saint-Avé, étant affecté depuis l’accident par de graves et permanents troubles psychiatriques.

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(Doc. EPSM Morbihan)

Complétant son premier jugement, et après les dites-expertises, le Tribunal correctionnel de Vannes allait ainsi accorder en fin septembre, à titre de capital d’indemnités accordées aux parents des jeunes victimes, 150.000,00 francs à M. Billy et 18.000 francs à Mme Malgogne.

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Mais l’affaire ne devait pas en rester là et en fin janvier 1942 la Cour d’Appel de Rennes allait devoir restatuer sur l’affaire. Mme veuve Huguet, civilement responsable de son chauffeur, estimant que l’appréciation du préjudice pécuniaire accordé était exagérée avait fait appel en demandant une nouvelle expertise, ses intérêts et ceux de son chauffeur étant représentés par Me Georgel, du Barreau de Rennes et futur membre du Conseil de l’Ordre rennais à partir de la mi-juillet 1945.

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Défendu et soutenu par Me Maurice Marchais, bâtonnier du Barreau de Vannes, ancien Député et ancien Maire de la ville (ayant été destitué par Vichy le 16 février 1941 pour anti-pétainisme), M. Bily père estimait au contraire que l’indemnité accordée pour son enfant avait été sous-évaluée, demandant qu’elle soit portée à 235.000,00 francs, soit plus de 55% d’augmentation, les diagnostics médicaux ayant fait les plus extrêmes réserves sur la santé physique et surtout mentale ultérieure de son fils.

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= Me Maurice Marchais – Doc. Amis de Vannes =

La question pénale ayant été précédemment définitivement réglée, la Cour d’Appel allait s’accorder un délai de réflexion de huitaine, mettant l’affaire en délibéré. A l’issue elle allait confirmer la décision du Tribunal de Vannes et le montant des dommages-intérêts alloués.

Sauf à contredire, la commerçante d’Assérac ne fit apparemment pas de recours près la Cour de Cassation, cette dernière ne pouvant logiquement, sauf vice de forme manifeste dans les procédures, qu’entériner les deux jugements précédents. Mais il est vrai que la période ne s’y prêtait plus guère.

© Jean-Yves R. – Brancelin

Sources principales : Presse morbihannaise, Livre d’or 14-18 du clergé et des congrégations, Guide Rosenwald, « De l’asile de Lesvellec à l’Epsm du Morbihan » (Ouvrage collectif/M.Lehoucq – 2013),

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Illustrations : Coll. de l’auteur (sauf mention)

16 Novembre 2019

2 commentaires sur “Chroniques locales du temps jadis. 5 mai 1940 – Une dramatique procession”

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