par Jean-Yves Rio
Alors que l’actualité pénestinoise de ces derniers mois aura braqué ses projecteurs sur ce lieu-dit, c’est une toute autre histoire depuis longtemps oubliée dont il est question ici.
Il évoque un drame de la mer qui eut lieu il y a 152 ans sur le même rivage et eut pu, lui, entraîner mort d’hommes. Nous étions alors sous la mandature municipale de M. Jean-Marie Lalande, Maire de 1865 à 1877 et (ancien) Capitaine de marine domicilié au bourg.
Dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 décembre 1868, alors qu’une très violente tempête sévissait de nouveau sur les côtes bretonnes et le golfe de Gascogne, rappelant celles tout aussi effrayantes des 2 décembre 1863 et 10 janvier 1866, un navire, le « Die-Palme », commandé par le Capitaine H. Gallas d’un armement de Rostock sur le littoral de la Baltique et battant pavillon du grand Duché de Mecklembourg-Schwerin (issu de l’ex-Empire romain germanique) se retrouvait en errance près des côtes morbihannaises.
Parti du port espagnol de Torrevieja au sud d’Alicante en Méditerranée avec une cargaison de 300 tonneaux de sel et de soude à destination du port de Christiana à Copenhague, le navire, dans la violence des éléments, avait totalement perdu sa route depuis plusieurs jours, son commandant se croyant, suivant ses futurs dires, arrivé dans la Manche.
Drossé à la côte en pleine nuit, le « Die-Palme » s’échouait sur les rochers entre les pointes de Loscolo et du Bile, sous le sud du village de Kerfalher.
Dès les premières heures de la matinée la brigade des douaniers de Tréhiguier et des marins de Mesquer alertés mettaient plusieurs embarcations à la mer pour venir secourir les naufragés. Mais aucun des neuf hommes composant l’équipage ne parlant français, les premiers contacts ne s’avéraient guère aisés. Par l’intermédiaire d’un ancien Capitaine de la marine marchande (était-ce M. Lalande ? on peut le supposer) on allait enfin arriver à faire comprendre au Capitaine du brick sa situation périlleuse, le bateau étant venu s’échouer au milieu des rochers et étant martelé par une mer en furie qui ne pouvait que mettre sa vie et celle de son équipage en péril. Leur conseillant vivement de gagner la terre ferme au plus tôt et d’embarquer sur leurs embarcations, nos sauveteurs pénestinois et mesquerais se voyaient opposer un refus poli, le Capitaine Gallas et ses matelots préférant utiliser leur propre canot.
Dans la matinée du naufrage le Capitaine avait ensuite rejoint Nantes pour y rencontrer le Consul de Prusse.
Revenant à Pénestin le samedi 26 au soir, il était porteur d’un pli du Consul à l’adresse du Commissaire de l’Inscription Maritime du Croisic lui priant de lui remettre, ainsi qu’à ses matelots, tout ce qui leur appartenait et avait pu être récupéré, et d’organiser leur transfert jusqu’au port de Saint-Nazaire, ce dont allait s’acquitter le fonctionnaire.
Soumis à l’assaut de la mer et des vagues, le « Die Palme » se voyait totalement disloqué en 3 jours, ne restant plus le dimanche 27 sur la côte que de multiples fragments épars de la carcasse du navire.
Avant de quitter définitivement les rivages pénestinois, le Capitaine Gallas allait retourner ce même jour sur les lieux du naufrage et, après avoir encore réuni quelques objets gisant parmi les débris, s’avançait sur la pointe face aux restes de son bateau. Se mettant à genoux, il fit le signe de la croix et ne put retenir quelques larmes. Passées quelques secondes, il se releva, jeta un dernier regard à ce qui avait été son navire et s’empressa de presser le pas vers le village de Kerfalher où ses hommes l’attendaient. L’inattendue et la tristesse de la scène, venant d’un homme qui en ce lieu avait vu s’anéantir ainsi une partie de sa vie, avaient été si émouvantes que les agents de l’administration maritime et les douaniers présents allaient en être tout autant émus.
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….. et autres drames de la mer touchant Pénestin.
Novembre 1895 – La disparition d’un capitaine
Le 28 novembre 1895 un article de presse faisait écho de l’inquiétude sur le sort du brick-goélette « Antarès » dont on avait plus de nouvelles depuis le début du même mois alors qu’il ne devait effectuer pourtant à cette époque qu’une simple traversée de la Manche. La cause de la disparition corps et bien du navire et de son équipage de 8 hommes (dont 3 marins d’une même famille de Séné près de Vannes) commandé par le capitaine Louis (Marie Joseph) Guillo de Pénestin et que l’on datera officiellement entre les 4 et 5 novembre allait faire l’objet de supputations mais demeurera inconnue – la presse évoquant soit une collision avec un steamer, mais qu’il eut été facile de vérifier, soit plus vraisemblablement par une soudaine mauvaise fortune de mer.
Né le 27 septembre 1850 au bourg de Pénestin au foyer de Pierre Marie Guillo (Cordonnier) et de Marie Joseph Le Huche, Louis Guillo avait commencé sa carrière de marin comme Mousse le 13 février 1867, à 16 ans et demi, à bord de la goélette « Céleste Patrie », armement à Bordeaux puis Marseille, avant de passer Novice puis Matelot. Il avait ensuite embarqué, lors de son service militaire entre 1872 et 1875 sur les bâtiments de guerre « Creuse », « Savoie » et « Tanger » basés à Toulon. Revenu à la vie civile, breveté « Maître au cabotage » le 24 avril 1876, le capitaine Guillo au moment de sa disparition connaissait particulièrement bien son navire puisqu’il en avait obtenu le commandement à Nantes depuis le 23 octobre 1878 après avoir commandé au cabotage la goélette « Petite paysanne » (en 1876) puis le brick-goélette « Delphine Élisabeth » durant toute l’année 1877.
Armé au cabotage, l’ « Antarès » avait connu divers ports d’armement : Nantes, Le Havre, Redon, Rouen, Rochefort, Saint Valéry-sur-Somme… avant de retrouver Redon.
Le 10 juillet 1878, à 27 ans, Louis Guillo s’était marié à la Mairie de Pénestin devant M. Alexis Geffriaud, Maire, à la jeune Marie Françoise Pillard (19 ans) native de Guérande mais également domiciliée au bourg. De leur mariage étaient nées deux filles : Agnès Marie Joseph (le 17 décembre 1878, mariée à Penestin en juillet 1903 à Louis Jules Hochet puis divorcée en 1909, décédée à Nantes en 1961) et Alice Louise Marie Joseph (le 16 avril 1885 – son père étant en mer à cette date – qui se marierait le 26 septembre 1911 à Auguste (Marie Laurent) Chesneau, et décédera à Pénestin en 1970 – Auguste et Alice étant donc, sauf erreur, les parents du futur Maire de Pénestin de 1965 à 1989 Claude Chesneau (1919-2015)).
Durant les hivers 1890-1891 puis 1892-1893, étant à terre, le capitaine s’était inscrit pour pratiquer la pêche côtière à bord d’un canot basé à Pénestin, le « Saint Joseph » immatriculé au quartier du Croisic.
Ce n’est que par jugement du 18 janvier 1899 que le Tribunal de première Instance de Redon prononcera la déclaration judiciaire de son décès, étant transmise le 30 à la Mairie de Pénestin.
A sa disparition, d’autres membres de sa belle famille faisaient aussi carrière au large :
son-beau-frère le capitaine au long-cours Alexandre Pillard, né à Guérande le 21 février 1856 mais habitant Pénestin, commandait depuis le 18 novembre 1893 le vapeur « La Nef du salut » basé à Marseille, ayant à son actif la conduite de pèlerins en Terre Sainte et plusieurs traversées vers Madagascar.
Quant au jeune capitaine Jean-Marie (François Ferdinand) Pillard, né le 8 novembre 1868 au bourg de Pénestin au foyer de Jean-Marie Pillard (maître au cabotage) et de Marie-Françoise Le Dormeur, et y résidant, il commandait depuis le 15 novembre 1893 le vapeur « Saint-Joseph », armement à Rouen, après en avoir été le second.
Décembre 1896
Tout aussi dramatique fut un an plus tard le naufrage du « Commentry » de l’armement d’Orbigny de La Rochelle et qui avait été construit à Sunderland (sur la côte nord-est l’Angleterre) en 1882. Dans les 48 heures suivant la tempête du 4 décembre 1896 qui avait provoqué de multiples dégâts sur la côte sud de Bretagne en général et la commune de Pénestin en particulier – y envoyant par le fond plusieurs canots, noyant les marais, affectant certains parcs à huîtres et submergeant même la route menant à La Roche-Bernard -, la côte communale se voyait couvrir d’un nombre important de poteaux de mines et poutrelles numérotées ainsi que de débris divers tels des portes et autres éléments en bois verni d’aménagements intérieurs. Faisant déjà supposer le naufrage d’un important navire entre l’embouchure de la Loire et Belle-Île, on avait aussi pu apercevoir de la pointe du Bile et flottant à la dérive dans la direction de celle de Pen-Bé un élément de mât estimé à une douzaine de mètres de long avec encore tous ses agrès et pouvant provenir du gréement d’un navire de 700 à 800 tonneaux.
Succédant à ces échouages, plusieurs corps allaient être retrouvés.
Le premier, non loin de la pointe de Taillefer à Belle-Ile et porteur d’une ceinture de sauvetage avec l’inscription « S.S. Commentry – La Rochelle » ne put être identifié.
Le 15 décembre, on découvrait à Pen-Bron en La Turballe celui du malheureux capitaine Boutard commandant le navire, lui aussi ceint de sa ceinture de sauvetage en liège – et formellement identifié par MM. le capitaine Plisson et Faustin, de l’armement d’Orbigny.
Parallèlement, sur Piriac, deux autres membres de l’équipage avaient été rendus par la mer : celui d’un matelot là encore non identifié et celui du capitaine en second du navire, M. Moizel, natif de Saint Malo-de-Guersac et inscrit au quartier de Saint-Nazaire.
On rapporta aussi qu’une bouteille renfermant ce simple message « Nous sommes perdus, nous nous noyons » fut retrouvée à la côte non loin du bourg de Batz.
Parti du port de Bayonne à destination des mines de charbons de Cardiff au Pays de Galles avec un chargement de poteaux de mines usinés provenant des forêts de pins des Landes, pris dans la tempête, le « Commentry » ne laissa aucun survivant parmi les 18 hommes qui composaient son équipage.
Dans les mêmes circonstances un autre bateau, le trois-mâts norvégien « Aurora » qui s’était d’abord réfugié à Houat après avoir quitté Lorient, était venu s’échouer au Rohaliguen en Sarzeau, à quelques miles de la côte pénestinoise ; des témoins diront avoir vu les mâts, auxquels s’accrochaient désespérément les marins, se briser les uns après les autres. Tout l’équipage avait pu finalement être sauvé par le canot de sauvetage de Belle-Ile qui l’avait courageusement suivi.
Le dimanche 4 avril 1897, l’administration de la marine, après avoir procédé à leur récupération, mettrait en vente publique au bourg de Pénestin les poteaux de mines du « Commentry » échoués à la côte. Elle en tirera en tout et pour tout 102.00 francs… une somme bien dérisoire au regard de toutes les vies perdues.
Fin Août – mi-Septembre 1922.
Dans la nuit du 25 au 26 août, alors qu’il revenait vers Quiberon après avoir effectué dans le cadre de manœuvres navales des exercices nocturnes de tir au sud de Belle-Ile, le cuirassier « France » était victime d’une mauvaise fortune de mer se concluant par son chavirage après qu’il eut heurté par temps calme et belle mer lors du passage du chenal de la Teignouse une roche non répertoriée par la marine. Ce n’est que le 14 septembre que la mer allait rejeter sur la côte pénestinoise, et plus précisément sur la plage de Poudrantais, étant découverte à 1 heure de l’après-midi, la dépouille de l’une des trois seules victimes du naufrage sur un équipage pouvant aller jusqu’à un millier d’hommes : celle du matelot-mécanicien Maxime Vadon, originaire de Cours dans le département du Rhône, – département d’où était aussi natif le commandant du cuirassé, le Capitaine de vaisseau Guy. Le corps du malheureux matelot, après la délivrance du permis d’inhumer par le Docteur Legrand, sera provisoirement enterré dans le cimetière de Pénestin.
© Jean-Yves Rio – Brancelin
Juillet 2020
Sources principales :
. Presse morbihannaise et nationale (L’Avenir du Morbihan, Le Courrier de Bretagne, Le Courrier des Campagnes, Le Constitutionnel, La Croix, Le Journal de Vannes, La Liberté du Morbihan, Le Morbihannais, Le Phare de la Loire, ….)
. Registres des inscrits maritimes du département de Loire-Inférieure (AD44)
. Registres d’état-civil de Pénestin (site des Archives Départementales du Morbihan).
Bonsoir M. Lalande.
Merci pour votre très intéressant commentaire et qui confirme la probabilité que j’en avais tirée à la lecture des articles retrouvés, sachant que le Maire qui déjà s’était nécessairement rendu sur les lieux avait pu, ayant lui même fait carrière dans la marine, se faire comprendre du capitaine naufragé.
N’ayant pas fini de parcourir toute la presse morbihannaise du XIXè siècle où Penestin est évoquée, vous m’apprenez la disparition tout aussi tragique de votre AGP et de son équipage, un autre naufrage que j’ignorais.
Mais c’est aussi l’une des finalités de ces chroniques à ce que les lecteurs puissent apporter leurs propres connaissances sur la vie de la commune. A moins que vous n’ayez déjà fait des recherches sur le sujet, peut-être serait-il possible d’en savoir un peu plus, la destination vers le continent sud-américain étant effectivement fort plausible, sans parler des cap-horniers , J’ai moi-même l’exemple d’un “ancêtre” de ma famille (coté Guilloux) qui, étant marin au long court, au moment d’une succession d’un bien sur Brancelin vers le milieu du 19ème siècle, se trouvait momentanément absent, étant à Rio de Janeiro (spécifié sur le document notarial).
Le naufrage de “L’Etoile de la Mer” pourrait, pourquoi pas, faire l’objet d’une future évocation, comme est en projet celle de quelques autres drames du bord de mer qui frappèrent des habitants de la commune.
Cordialement.
Chacun aura rectifié : “marin au long-cours” évidemment.
Bonjour,
il est tout à fait vraisemblable en effet que ce soit le capitaine Jean-Marie Lalande, mon trisaïeul, maire de Pénestin lors du naufrage du Die Palme à Loscolo en 1865, qui ait servi d’interprète. Notre famille conserve une photographie faite par un photographe de Buenos-Aires où il avait mené sa goëlette, ce qui suppose de pouvoir communiquer avec des marins en anglais et en espagnol.
Il est d’autres disparitions en mer qui ont marqué Pénestin, comme celle de mon arrière-grand père le capitaine Yves Guriec et tout son équipage composé de matelots de Pénestin. Le rapport établi par les autorités maritimes de Nantes pour certifier à ma grand-mère, 20 ans après, la mort probable de son père disparu, précise que l’Etoile de la mer” “armée à Nantes le 6 août 1873” a “pris la mer à Pénestin le 7 avril 1874”. Il s’est toujours dit dans la famille qu’il était en partance pour l’Amérique du Sud, et qu’il s’était levé une violente tempête du Noroît, cause probable de la disparition de la goëlette de son équipage.
Jean-Paul Lalande
A toutes fins utiles (si vous ne connaissez pas le site), Yves Guriec a fait l’objet de 6 fiches retraçant toute sa carrière (inscrits maritimes/archives de loire atlantique) :
https://archives.loire-atlantique.fr/jcms/chercher/archives-numerisees/marine/inscrits-maritimes/inscrits-maritimes-recherche-nominative/inscrits-maritimes-recherche-nominative-fr-p2_13346?accepte=true&portal=c_5110
La dernière mentionnant notamment sa disparition :
https://www.archinoe.fr/v2/ad44/visualiseur/maritime_nominatif.html?id=440901667
Cordialement.