Chroniques locales du temps jadis / Novembre 1899 – Une histoire de téléphone

par Jean-Yves Rio

A l’aube du XXème siècle, en parallèle de l’électrification ou de la réalisation des réseaux publics d’eau potable, la création du téléphone amena une véritable révolution en terme de communication dont on connaît aujourd’hui les développements et qui semblent d’ailleurs ne plus avoir de limites tant les progrès de la technologie sont de plus en plus rapides.
Mais bien que la  France  fut l’un des premiers pays à vouloir s’en équiper dès à partir des années 1880, les installations allaient durant de très longues années demeurer peu nombreuses et le réseau connaîtra bien des aléas de bon fonctionnement et d’accès, malgré ou en raison d’un prix élevé des communications.

A Pénestin, la toute première ligne s’était vue installée vers 1895 entre la poste située au bourg et le poste des douaniers au port de Tréhiguier.
Mais l’espérance suscitée auprès de la population locale par cette ouverture au progrès n’avait pas compté sur les lourdeurs et les restrictions d’une administration rigide s’opposant déjà – ce qui ne saurait surprendre même encore de nos jours – à l’usage d’utilité publique que l’on eut été en droit d’attendre.

Le Vicomte Odon du Hautais – dont il a déjà été question par ses promenades de 1898 – n’allait pas manquer, dans l’édition du «  Nouvelliste du Morbihan  » du 9 novembre 1899 sous le titre «  Un téléphone à Tréhiguier  », de faire part de l’impatience des habitants et des professionnels à pouvoir, eux aussi, bénéficier des progrès de la science. On s’aperçoit à la lecture de son article que la ligne installée ne servait vraiment pas à grand chose, sinon même strictement à rien …. à part vérifier mensuellement le bon état de fonctionnement des appareils !

«  Il y a plusieurs années déjà, on a établi entre le village de Tréhiguier sur la Vilaine et le bourg de Pénestin un fil téléphonique, et les touristes ont dû s’extasier plus d’une fois de voir le moderne progrès pénétrer ainsi jusqu’aux dernières bourgades du continent. Hélas  ! Le progrès ne s’implante pas aussi vite qu’on veut bien le dire et le téléphone de Tréhiguier est une preuve lamentable de l’apathie générale des administrations et des particuliers.
Le téléphone a établi une communication directe et rapide entre le bureau des douanes à Tréhiguier et le bureau de postes à Pénestin. Mais le public, le bon public, qui s’imagine quelquefois que les administrations travaillent pour lui est absolument tenu à l’écart de cette voie de communication. Le téléphone a été placé pour administration qui s’assure une fois par mois du bon fonctionnement des appareils  ; personne, même en cas urgent et moyennant rétribution, ne peur en faire usage.
Les services que ce fil électrique pourrait rendre à la population et à la navigation sont pourtant de premier ordre et sautent aux yeux de tout le monde.
Tréhiguier est en effet une station de pilotage située à l’embouchure de la Vilaine. Chaque jour c’est, pour ainsi dire, quelque arrivée ou départ de navire à destination ou provenant de La Roche-Bernard ou de Redon. Mais la plupart du temps les navires sont tenus d’y stationner, soit pour attendre le remorqueur, soit pour subir la visite de la santé, soit enfin pour profiter d’un bon vent. A l’arrivée, les capitaines ont pour premier soin de prévenir leur armateur qui prépare ses magasins et ses doks (sic) et prend ses dispositions personnelles pour le déchargement de la cargaison. «  Allo  ! Allo  !  ». Il téléphone au bureau de Pénestin qui transmet par le télégraphe la dépêche parlée qu’on lui communique. De cette sorte et sans retard, il peut mander un remorqueur, prévenir le pilote du haut de la rivière et ne subir, pour son voyage, aucun retard ni contre-temps.
Bien entendu, en la circonstance, le correspondant du téléphone à Tréhiguier serait tenu d’encaisser à la fois le coût de la dépêche et de la correspondance téléphonique, mais cette petite comptabilité serait si simple et si peu compliquée qu’elle s’exercerait comme un jeu  ; et par un livret à souche l’administration des télégraphes obtiendrait, chaque mois, la justification des encaissements faits à Tréhiguier.
Pour les particuliers, les avantages du téléphone rendu public ne seraient pas moins grands, en cas de maladie de danger ou de commande pressée. Eh bien, malgré tous ces avantages, l’administration n’a pas fait un pas pour rendre publique la voie téléphonique entre Tréhiguier et Pénestin, bien que ces deux localités soient éloignées, par la route praticable aux voitures, de plus de quatre kilomètres. 
Aujourd’hui où le projet de création d’un réseau téléphonique entre toutes les villes du Morbihan a pris corps, nous espérons être plus heureux que nos devanciers dans nos revendications  ; et attirer sur la situation anormale de Tréhiguier et de Pénestin, la bienveillante attention des pouvoirs publics. »

On sait aujourd’hui que le téléphone mettra encore des années pour desservir le Morbihan et arriver jusqu’à Pénestin, d’autant que lors de sa session du printemps 1900, les conseillers généraux réunis le 28 avril 1900 à la Préfecture de Vannes allaient devoir déjà admettre que «  le projet de réseau téléphonique départemental a été renvoyé, faute de l’adhésion d’un grand nombre de communes intéressées, à la commission départementale.  »
Et il faudra véritablement attendre le début des années 30, après de multiples tergiversations et lenteurs de l’administration des «  Postes, Télégraphe et Téléphone  », sans compter les débats nationaux à la Chambre des députés, pour que ce dernier commence, enfin, à être accessible à tous.

Localement, avant même la Mairie, le premier pénestinois à se doter du téléphone, tirant à ses frais une ligne de 7 kms entre ses bureaux de Tréhiguier et son site d’exploitation du Bile, sera Octave Le Metayer qui avait compris avant tout le monde l’intérêt de se doter, pour ses affaires et son entreprise, de ce nouveau moyen de communication. Le fameux «  1  » de Pénestin.
On pourra aussi citer au nombre des autres premiers abonnés en ces années 30, tous concernés par le développement du tourisme sur la commune  :
le 5  : les «  Autocars de Pénestin-sur-mer  » de Benjamin Roussel, par ailleurs propriétaire de l’Hôtel des Voyageurs,
Le 10  : l’Hôtel Bon Accueil de la famille Lalande au port de Tréhiguier,


Le 12  : l’Hôtel de l’Océan d’A. Guillo,
Le 13  : l’Hôtel de la Plage et la pension de famille «  les Coquelicots  » attenante, gérés par la famille Chesneau,
ou encore
le 17  : l’Hôtel du Commerce de Georges Lespert.

Une histoire qui semble aujourd’hui d’un «  autre monde  »….

© Jean-Yves Rio – Brancelin
27 Juillet 2020

Sources  :
. Presse morbihannaise et bretonne (Le Nouvelliste du Morbihan, L’Ouest Eclair éd.Rennes, …)
. «  L’estuaire de la Vilaine  » (Bruno Philipp – Ed. Alan Sutton – 1996)
. «  Histoire du téléphone en France  » (site jean.godi.free.fr)
. http://www.penestin-infos.fr/la-vie-doctave-metayer-racontee-par-son-fil-pascal/

2 commentaires sur “Chroniques locales du temps jadis / Novembre 1899 – Une histoire de téléphone”

  1. Très intéressant cette épopée du téléphone à Penestin. Pour information dans les années 1970-75 il existait dans la commune des cabines publiques chez des citoyens. Par exemple à Trebestan elle était chez Jean Vaugrenard et les gens de Ker Jacob au Val venaient pour appeller le médecin , l’inseminateur … nous les enfants on était parfois les messagers. Nous devions bien sûr chronométrer les communications pour encaisser le coût de celles ci . Je revois encore les tickets que ma mère recevait régulièrement faisant état de toutes les communications.
    Je pense qu’il devait y en avoir d’autre sur la commune.

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