R – Le principal reproche que l’on peut faire à l’enquête publique, c’est de ne pas avoir étudié les alternatives. Les études à ce sujet datent de 20 ans : il aurait fallu les refaire, car les réalités aussi bien que les enjeux ont changé. Tout le monde a bien vu à quel point les éléments du dossier étaient insuffisants. Les différents sites sont comparés sur la base d’un tableau avec des notes de 1 à 10. C’est ridicule. Beaucoup de personnes, dans l’enquête, ont souligné cette faiblesse.
Avec ce tableau, on élimine le Bile tout en précisant qu’il s’agit des marais du Lesté. C’est grossier. Comment peut-on imaginer un seul instant une implantation dans une zone inondée la moitié de l’année ? Personne bien sûr. Eux disent aussi que ce n’est pas possible mais il en profite pour rayer d’un trait tout projet qui se rapprocherait de la pointe du Bile. J’appelle cela de la manipulation. Le Grenelle, déjà en 2009, demande que le choix d’une implantation privilégie les espaces déjà artificialisés. Mais on ne veut surtout pas toucher au foncier déjà constructible. On préfère aller là où il y a de la place sans gêner la spéculation immobilière. On modifie ensuite sur le PLU la limite proche littoral pour échapper aux contraintes des zones sensibles. A quelques centaines de mètres près, la nature n’est plus la même. C’est une frontière administrative que la faune ou la flore ignorent, mais par contre, ça arrange les humains.
Q – Mais les alternatives, à savoir moderniser et éventuellement agrandir les lieux existants, ont tout de même été discutées.
R – Non, elles n’ont pas été discutées. Après 25 ans ils ont des difficultés à imaginer des alternatives. Ils n’en veulent pas parce qu’ils disent avoir déjà dépensé suffisamment d’argent pour le projet Loscolo. Est-ce une raison pour en dépenser plus et mal ? Ils ont dit, même dans les conclusions de la commissaire enquêtrice, que de toutes façons ce n’était pas possible, et c’est tout. Quand on me dit « ce n’est pas possible », j’attends qu’on me le démontre.
Q – C’est le but même d’une enquête publique. Elle est supposée démontrer.
R – Il n’y a eu aucune démonstration de faite pour prouver que ce n’était pas possible.
Q – Moi j’ai trouvé quand même qu’il y avait des arguments, ne serait-ce que dans les réponses de la commissaire enquêtrice aux contributions des personnes.
R – Quelles personnes ? Les mytiliculteurs ou les habitants ? La grande majorité des personnes favorables au projet et qui se sont exprimées dans les observations sont des élus et des officiels qui, pour la plupart, ne vivent même pas à Pénestin. Ils n’argumentent pas, ils bégayent les mêmes phrases. Sur l’emploi, le chiffre d’affaires, la vie sociale de Pénestin. Et même dans ces trois exemples, les chiffres sont erronés. L’emploi est stable depuis 20 ans, le chiffre d’affaires passe du simple au double sur une même année d’un document à un autre. Il progresse même sans le lotissement Loscolo sur un troisième document. La moitié des mytiliculteurs n’habitent déjà plus à Pénestin etc.
Les autres, les habitants proches ou non du futur lotissement, sont inquiets. Ils posent des questions concrètes et souvent très pertinentes. Une quinzaine de mytiliculteurs se sont prononcés pour le projet. Ils font partie des deux groupements dont on a déjà parlé. Ils disent par exemple qu’ils manquent de place, mais quels sont les lieux exactement où ils manquent de place, précisément ? Ils ne le disent pas. Une seule entreprise manque de place au Logo, et une seule aussi au Lomer. Si certains manquent de place, d’autres en ont.
Au Lomer, il y a un peu plus d’un hectare – pour 7 ou 8 ateliers en activité. Une rénovation ou une réhabilitation, si elle était étudiée, et qui tiendrait compte à la fois de l’économie d’espace et de la circulation pourrait être proposée. On peut très bien mettre 30 à ou 40 000 euros sur éventuellement plusieurs propositions, avec un bureau d’études qui sache de quoi il parle et qui dise à la fin : on a tout essayé, mais on ne peut pas ; le projet Loscolo, c’est finalement ce qu’il y a de mieux.
Si tout cela était dit et fait, les mytiliculteurs seraient les premiers à en bénéficier. Ils ont des projets de développement qui méritent d’être soutenus par les habitants. Ils vivent et travaillent aux côtés de la population. Ils ne peuvent pas s’en abstraire. La population comprendrait mieux les enjeux socio-économiques et je pense qu’ils contribueraient, surtout ceux proche de l’espace choisi, à rendre le projet plus économe en espace et moins impactant.
Au lieu de cela on dit aux gens que si ça fait du bruit le jour ou la nuit on demandera aux professionnels de rouler plus lentement ou d’arrêter leur moteur à l’arrêt, de ne pas utiliser leur BIP BIP en marche arrière… ; on verra et on arrangera les choses quand tout sera fait. J’ai même lu que les véhicules seraient à l’intérieur des bâtiments pour faire moins de bruit, ce qui est contraire aux règles sanitaires. Il y a des mots bien français pour dire que l’on se moque des gens.
Q – Si je me fais l’avocat du diable, il y avait une proposition qui venait de toi, si je me souviens bien, par rapport au Lomer, et qui disait : on pourrait proposer aux mytiliculteurs, notamment les Bizeul, de déménager vers le Bile, et utiliser les terrains libérés pour agrandir l’espace pour ceux qui restent. J’ai vu tout de même dans le dossier final une argumentation par rapport au Bile, et une réponse quand même à cet argument de ta part. Peut-être pas une réponse aussi détaillée que l’aurait fait un bureau d’études…
R – La réponse qui a été donnée n’est pas correcte : la famille Bizeul, c’est évident qu’ils sont à l’étroit, je vois l’atelier, je sais dans quelles conditions ils travaillent. Mais si ces gens-là partent du Lomer pour aller vers le Bile avec une ou deux autres entreprises, on libère effectivement l’espace Bizeul. Sachant qu’il y a un autre espace qui est inoccupé, parce qu’il y en a qui sont partis à la retraite : il y a au moins un atelier vide, qui n’a pas été mis en vente, je pense, mais qui a cessé toute activité.
Evidemment, ce n’est pas grand chose en surface au sol que de déménager l’entreprise Bizeul, mais c’est tout de même un plus. Sauf que le problème de ce déplacement, c’est qu’il ne se ferait pas sans l’accord, évidemment, des propriétaires eux-mêmes. Mais si leur demande au préalable correspondait à un problème d’espace, et si cet espace était proposé au Bile, pourquoi ils le refuseraient ? Alors j’ai posé la question. La réponse est simple. S’il y en a du Lomer qui vont à Loscolo ou au Bile, ils garderont leurs ateliers. Ils ne voudront pas vendre à d’autres personnes avec lesquelles ils ne s’entendent pas. C’est intéressant car cela prouve que le facteur humain, côté mytiliculteurs, n’est pas pris en compte dans le projet du lotissement.
Q – Donc, le travail réalisé dans le cadre de la première enquête est insuffisant, incomplet ?
R – Pour moi, c’est insignifiant. La commissaire, lors de la dernière enquête publique, a rappelé à plusieurs reprises l’importance des alternatives. Cap atlantique et la municipalité ont répondu par ce fameux tableau avec les notes de 1 à 10 et la commissaire a jugé cette réponse suffisante. C’est maigre et bien loin de la réalité du terrain.
Q – Même les réponses de la commissaire aux contributions des habitants ?
R – Oui, ce sont des réponses qui ne sont même pas démontrées. Si on dit que dans l’alternative, on n’aura pas ce qu’il faut en termes de place, j’attends que ce soit démontré par un bureau d’études qui dise : effectivement, on a tout essayé, ils n’ont pas de place.
Je vais te donner un exemple parmi d’autres alternatives possibles. Car plusieurs projets peuvent coexister. Il y en a une qui n’a jamais été posée : c’est le Closo, le Parc d’activités du Closo à la sortie du bourg. Un mytiliculteur a eu l’opportunité d’acheter des terrains. Au départ, il s’est fait taper sur les doigts par le maire, qui lui a dit : vous n’avez pas le droit de vous installer en tant que mytiliculteur à cet endroit. Il pouvait le faire. C’est une entreprise et, comme toutes les entreprises du Closo, il a des hangars. Ce sont des hangars secs, sans bassins de purification. Il ne fonctionne qu’avec des tracteurs, en fait, là encore, comme toutes les entreprises du Closo. Ils sont motorisés, ils ont des parkings, ils ont des bureaux.
Q – Qu’est-ce qu’il fait dans son atelier du Closo ? Il fait de l’expédition ? Est-ce que les moules y transitent ou bien est-ce que ce sont uniquement des bureaux, de l’administration ?
R – Non, il y fait ce qu’on appelle les préparations sur pieux. Il ne fait pas d’expédition. Il n’a donc pas besoin de bassin de purification. C’est un travail de manutention fait sur place pour ensuite aller travailler sur les pieux en mer.
Q – Donc, ton idée, c’est que…
R –Non, ce n’est même pas mon idée. A un moment donné, la question des hangars secs s’est posée pour Loscolo parce que le projet ne prévoit des emplacements que pour les entreprises qui ont besoin d’eau de mer. Il y en a un qui a levé le doigt, c’est le Syndicat conchylicole lui-même. Le syndicat a demandé que le futur lotissement puisse aussi accueillir des hangars secs. Alors depuis peu, je crois qu’ils ont changé d’avis. Ils vont accepter des hangars secs. Il y a une raison simple à cela. Plus de la moitié des mytiliculteurs sur Pénestin sont en hangars secs. S’il y a seulement deux entreprises dans le lotissement, même si se sont les plus importantes, ils ne voudront ou ne pourront pas assumer seuls les charges d’un lotissement équipé sur 9 hectares avec bassins, pompage, entretien du réseau viaire, etc. Ceux qui sont en hangars secs vont devoir assumer aussi des coûts de copropriété qui ne les concernent pas directement.
Mais personne ne parle du Closo. Pourtant, quand on pose la question au mytiliculteur qui se trouve au Closo, il dit : je n’ai aucun problème avec mes voisins. De temps en temps, ça sent un peu la moule, mais de toutes façons, comme ce sont des entreprises, que ça sente la moule ou le cambouis, ça ne change pas grand chose. Il y a encore un espace de disponible et on peut y mettre au moins 5 entreprises en hangars secs de taille équivalente à celle déjà sur place.
Q – Et par rapport aux transports ?
R – La zone du Closo est pratiquement à la sortie du bourg. La zone est même centrale par rapport aux concessions en mer. Beaucoup plus centrale que le lieu-dit Loscolo. Mais quel intérêt pour un mytiliculteur d’investir à Loscolo lorsqu’il possède déjà un hangar sec en campagne ou sur le bord de l’estuaire. Pour se retrouver à proximité d’un centre d’expédition ?
Q – Donc ça, c’est une proposition qui n’a pas été discutée dans le cadre de l’enquête ?
R – Du tout.
Q – Et pourquoi tu ne l’as pas proposé, par écrit ou oralement ?
R – En fait, je ne l’ai vue nulle part, sauf dans une lettre du Syndicat conchylicole.
Q – Pour en revenir à l’enquête publique, ton raisonnement est de dire qu’on s’appuie sur des études de 2005 et 2007, donc qui datent, et maintenant on aurait besoin d’autres études pour vérifier la viabilité des alternatives…
R –Si le projet avait été réalisé à l’époque du choix du site, en 1996-2000 et, disons, jusqu’en 2005-2010, la question ne se serait pas posée. Les premières études, que ce soit Oikos ou Techmar, de 2005 et 2007, ont fait des dossiers assez lisibles pour un non professionnels. Techmar a d’ailleurs tendance à biaiser sur certains points. Le dossier doute de la faisabilité d’un tel projet mais déclare qu’on peut quand même le faire. C’est extrêmement résumé mais en substance c’est ça. On devine qu’il est tenu de répondre à une demande. L’étude conseille aussi, très sérieusement, de ne pas faire sauter une falaise pour construire une rampe d’accès entre la plage de Loscolo et celle du Maresclé. Cette rampe permettrait un accès direct vers le lotissement. Ils pensent que ça ne va pas plaire à la population. Alors Tecmar demande aux élus d’attendre et de construire d’abord le lotissement et de voir ensuite. Tout cela ressemble à une fiction. Au début on sourit, mais la réalité du dossier inquiète. Ce projet farfelu n’a d’ailleurs jamais été officiellement abandonné. Le lotissement une fois construit, ils trouveront peut-être de bonnes raisons pour le ressortir des cartons. Ils parleront à nouveau des emplois, du développement, des conditions de travail, de prospérité etc… Dans les observations de la dernière enquête publique, j’ai pu lire une argumentation de Techmar spécialement rédigée pour appuyer le projet. Ce qui est plutôt surprenant. Ils pensent peut-être que personne n’a lu leur étude de 2007, dix ans c’est trop loin. Oikos, non. Oikos a fait une étude plutôt de terrain, avec des enquêtes, etc. C’est plus neutre.
Depuis le Grenelle de l’environnement les élus doivent prouver qu’il n’existe aucune autre possibilité. Ils doivent aussi démontrer que le choix fait est le moins coûteux pour la collectivité. La séquence « Éviter, Réduire, Compenser » (ERC) est un fil conducteur pour des projets comme Loscolo. Cap atlantique et la municipalité n’ont pas respecté ce fil conducteur. Nous n’avons eu aucune étude d’opportunité, pas d’études en amont, aucune variante, aucun scénario d’implantation du projet, aucune précision sur les activités définitives. Le concept Éviter est essentiel. Toutes les autres actions en dépendent. On ne peut rien faire sans avoir étudié les alternatives.