3 artistes (pour le moment) se sont baladés dans la friche de Loscolo et ont réalisé une œuvre à son sujet.
Voici un premier texte, « Hommage à la friche », par Edwige Jarczak.
Vous connaissez déjà Edwige à travers la série « Botanique » de ce blog. C’est une Nantaise qui ne cesse d’explorer les richesses de sa double culture franco-polonaise. Elle est passionnée d’écriture et pénestinoise de cœur : venir arpenter nos chemins et nos plages est une condition de son bien-être.
Tous les animaux cités dans son texte ont été répertoriés dans l’« Analyse de l’état initial de la zone » qui accompagnait la première enquête publique en août / octobre 2018.
HOMMAGE A LA FRICHE
Friche, fourré, broussaille, sous-bois, chênaie, c’est un peu tout cela à la fois, mais géant : 8,5 hectares ! Où ? A Pénestin, lieu-dit Loscolo.
Les animaux y font la fête tous les jours. Chacun y a son passage. Le lièvre brun rabat ses oreilles pour passer par le plus petit, il préfère la discrétion. Le chevreuil a le plus haut, et le sanglier le plus large. Le renard les essaie tous. Les oiseaux ont le ciel tout entier, les papillons et les insectes n’ont que l’embarras du choix. A l’intérieur, ça couine, ça glapit, ça grommelle, ça grince, ça brame. Chez les oiseaux, on est plus délicat, on grisolle, on ulule, on jase, on babille, on gazouille, on zinzinule. Pendant que chez les insectes on bourdonne et on stridule, d’autres croassent. Certains ne font que passer, d’autres demeurent ici à plein temps. Le gazé, si bien nommé car il a mal supporté les produits chimiques déversés par l’agriculture intensive, est ici un réfugié climatique avec carte de séjour en règle. L’ huîtrier pie, la bernache cravant, l’aigrette garzette, le sterne pierregarin et le tournepierre à collier viennent parfois en visite, mais ils préfèrent louer dans les cavités rocheuses de la côte, à la pointe de Loscolo.
Ils ont de jolis noms d’une poésie à faire rêver, et on aimerait les nommer tous avant qu’ils ne disparaissent : la grenouille agile et le lézard des murailles, l’écureuil roux et la pipistrelle, le criquet mélodieux, l’anax empereur, la sérotine, le grand-porte-queue, le triton palmé, le pélodyte ponctué, le bouvreuil pivoine, le roitelet huppé, la grive musicienne, le geai des chênes, le pinson des arbres, le renard roux et la taupe d’Europe…
Ils marchent, ils rampent, ils volent et ils sautent, c’est la vie et la belle vie à tous les étages, ça grouille de partout, et tous les soirs, c’est concert au programme. Les humains ne s’y aventurent pas car le roncier a clos le terrain. La petite nymphe au corps de feu, toute rouge avec ses ailes transparentes, si fine qu’on la prendrait pour un phasme, écoute le chant des plus grands et son petit corps bat la mesure en se dandinant. Les ailes du machaon frémissent quand le pouillot véloce et l’accenteur mouchet poussent la chansonnette et que le lièvre brun, tel le triangle de l’orchestre, couine à intervalles espacés, lui qui ne pense qu’à manger. Les arbres même accompagnent la mélodie, du bruissement de leurs feuilles et des craquements de leurs branches.
Quand on entend les chants du troglodyte mignon, de la fauvette à tête noire, du faucon crécerelle, de la linotte mélodieuse ou de la corneille noire, on pense à Olivier Messiaen et tout à coup on comprend tout de sa musique.
Ils prennent ici tous leurs repas, et dans leur salle à manger, dont la tapisserie est changée à chaque saison -vert, jaune et brun avec une touche de rouge avant l’hiver-, monte l’odeur de la terre humide, des feuilles qui pourrissent et des premières fleurs du printemps. Et ça ripaille à longueur de journée et de nuit.
Pour combien de temps encore ? Ils ne savent pas qu’ils vont être expropriés, sans aucune indemnité et sans dédommagement. L’huissier a bien placardé des affiches aux quatre coins du terrain, mais aucun d’eux ne sait lire. Il n’y aura pas de car de CRS pour les déloger, mais pas non plus l’ombre d’une organisation humanitaire. Le bruit des engins de défrichement suffira à les faire fuir, mais les nids, les larves et les œufs resteront sous les roues des camions.
Pourtant, la liste est longue de ceux qui sont des animaux dits « protégés ». Le lézard des murailles, le lézard vert, l’écureuil roux, la grenouille agile enfont partie. Qui leur viendra en aide ?
On leur propose un relogement, mais certains préféreront mourir plutôt que de déménager en banlieue. Ceux qui survivront à ce saccage n’iront pas jusqu’à la limite de Camoël. C’est trop loin, la mer n’y est pas, ils ne trouveront pas le chemin et ce dont ils ont besoin ne se trouve pas là-bas. Il n’y a pas de route praticable pour les batraciens, même en cas de déluge, et les mammifères seront attendus par les fusils des chasseurs.
Pensons à eux quand résonneront les premiers coups des tronçonneuses. Ne nous bouchons pas les oreilles. Ou plutôt, pensons-y avant. Combien d’hectares de friches sont-ils détruits tous les jours sur la terre ? Alors, tentons l’impossible. Défendons la vie.
Ping : On rase la friche Loscolo - penestin-infos
tout ça est bien gentil ,mais la mytiliculture est quand même une ressource importante pour Pénestin et il y a encore pas mal de zones sauvages aux alentours de Loscolo!
On finit par ne plus rien pouvoir faire dans ce pays !
Très joli texte ! Touchant par la profusion et la vie qu’il met en exergue… il est si facile de passer à côté des friches, en ne voyant rien, en n’entendant rien ! Merci, Edwige, de nous rappeler la nécessité de garder intacts les quelques espaces sauvages encore disponibles, habitats cette bio-diversité très discrète et essentielle. J’ai peur qu’un jour proche, le bruit des camions et les surfaces bétonnées ne couvrent tout cela.
Un peu de bon sens, Mesdames, Messieurs les décideurs du visage de nos territoires : vous n’avez pas d’enfants ou de petits enfants à qui faire découvrir la nature, en vous baladant le dimanche ? C’est plus utile pour eux que les tablettes et autres écrans, je vous l’assure ! Et c’est excellent pour votre bonne santé morale et physique aussi, d’ailleurs… à long terme (plutôt que le court terme de vos logiques de productivité et de manque à gagner).