L’accueil des réfugiés ukrainiens : quelle organisation à l’échelle du département ? (1 / 2)

Le 8 mars, une affichette en bleu et jaune indiquait sur la page facebook de la mairie :

« Si vous souhaitez accueillir des réfugiés ukrainiens, contactez la mairie de Pénestin »

Peu de commentaires, peu de « likes », contrairement au message diffusé 4 jours plus tôt invitant à faire don de matériel médical, qui avait suscité un grand nombre de réactions. Néanmoins, une petite dizaine de familles ou de personnes, dont votre serviteur, ont proposé qui deux chambres, qui une maison, qui un bungalow sur un terrain de camping. 

Deux formes d’hébergement : citoyen et autonome

Plusieurs centaines d’Ukrainiens sont déjà présents dans le département du Morbihan. Certains sont logés dans des familles (hébergement citoyen) ou directement dans des appartements (hébergement autonome). D’autres attendent de sortir du « sas » prévu pour une durée d’un mois et demi à deux mois : une période destinée selon l’administration à ce qu’ils puissent « se poser » et effectuer leurs diverses démarches administratives. Certains sont par exemple hébergés dans des dortoirs mis à disposition jusqu’à la rentrée prochaine à l’internat du collège Saint-Exupéry, à Vannes.

Il faudra encore quelques semaines avant que l’on croise des Ukrainiens dans les rues du bourg ou de la Mine d’Or. Deux jeunes étaient présents en « éclaireurs » dimanche 24 avril à la messe célébrée par le père Stéphane. Ils sont logés dans une famille de Haute-Savoie venue passer quelques jours de vacances dans sa résidence de Pénestin. Ce dimanche-là était pour eux celui de la Pâque orthodoxe, décalée d’une semaine par rapport à celle des Catholiques, et le père Stéphane s’est longuement entretenu avec eux. 

A La Roche-Bernard et à Damgan, 4 jeunes Ukrainiennes ont été recrutées dans la restauration qui, comme on le sait, manque de personnel. L’une d’elles, originaire de Kharkiv, assure le service au Café Pêcheur de Damgan, imposant établissement situé sur le port de Pénerf, et cela sans parler encore le français. Les consommateurs n’y trouvent rien à redire selon Ouest-France de ce matin, signe très positif, suis-je tenté de dire, qui permet de mesurer les phénomènes d’« apprentissage interculturel » suscités par cette arrivée massive de réfugiés en France. 

Quant à La Turballe, en Loire-Atlantique, ce sont carrément 160 réfugiés qui ont été logés en mars dans le VVF (Village Vacances Famille), avant d’être transférés dans des lieux d’hébergement à Pen Bron. La population a répondu largement présent lorsqu’il s’est agi de fournir de la nourriture les premiers jours, puis des chèques ou par exemple des vélos par la suite.

Le moment est venu d’informer

Le moment est venu, je crois, d’informer sur le sujet à l’échelle de notre commune. Pour les personnes qui ont proposé des hébergements, la période actuelle correspond à une longue attente. Il faudrait probablement la mettre à profit pour se préparer à une cohabitation « 24 sur 24 » qui ne laissera plus guère le temps de réfléchir, et dont on n’a sans doute pas encore mesuré toute la difficulté. Se préparer, oui, mais comment ? Le moment venu, il faudra aussi que ces hébergeurs puissent compter sur le réseau de leurs voisins et amis. Quel rôle auront-ils à jouer ? C’est ce que je voudrais également exposer ici.

Ce texte n’est pas un reportage, car je ne suis pas dans la position d’un observateur. Lors d’une rencontre avec le maire, j’ai accepté sa proposition de devenir une sorte d’« interlocuteur Ukraine » pour la commune, avec pour mission d’aider à résoudre les problèmes qui pourront se poser dans l’accueil des réfugiés et d’assurer une coordination entre les différents hébergeurs citoyens de la commune qui le voudront bien (certains n’ayant pas accepté que leurs noms et coordonnées me soient transmis). Le terme « interlocuteur » (plutôt que la référence à une « collaboration ») signifie dans mon esprit une action concertée entre des personnes et institutions conservant chacune leur autonomie. 

L’organisation

Au total, 3000 Ukrainiens sont arrivées en Bretagne depuis l’invasion de leur pays par la Russie. Les autorités ukrainiennes interdisant le départ des hommes en âge de porter les armes, 90 % des réfugiés sont des femmes et des enfants. Dans le Morbihan, 25 personnes en moyenne sont transférées chaque semaine depuis la région parisienne, où les capacités d’hébergement sont dépassées. D’autres, plus difficiles à comptabiliser et pas toujours répertoriées par la Préfecture, arrivent de façon « perlée » afin de rejoindre leur famille ou des amis vivant déjà dans la région.

Un réfugié ayant accompli ses formalités de déclaration touche l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile. Son montant : 6,80 euros par jour et 3,40 par personne supplémentaire. Cela représente 204 euros par mois pour un adulte. Accompagné d’un enfant, son revenu est de 306 euros par mois. Un couple avec deux enfants : 612 euros par mois.

L’accueil au niveau départemental relève de trois organismes. La Préfecture du Morbihan joue le rôle central, ce qui correspond à un choix au niveau gouvernemental. Puisque les préfectures interviennent pour délivrer les autorisations provisoires de séjour, puis leurs prolongements au bout de 6 mois, il a été jugé bon de leur confier le pilotage des opérations dans leur totalité. Concrètement, à Vannes, c’est la DDETS (direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités) qui est à la manœuvre par le biais de son « Pôle de lutte contre l’exclusion et pour la protection des personnes »

Au bout d’une mois environ, la DDETS a cependant fait le choix d’externaliser le traitement des propositions d’hébergements qu’elle recevait par le biais des mairies et des formulaires « démarches-simplifiées » remplis par les particuliers sur internet. Elle l’a confié à une agence spécialisée dans l’accès à l’habitat social : Soliha (« Solidarité pour l’Habitat »). C’est d’ ailleurs cette même agence qui a été mandatée par la mairie de Pénestin pour mener son projet de maison médicale. Une cellule de 4 ou 5 personnes a pour mission de trouver 600 logements, afin d’accueillir environ 2000 Ukrainiens attendus à terme dans le département. 

Les hébergeurs s’engagent pour une durée minimale de 6 mois

Elle opère en reprenant la liste d’environ 1300 propositions d’hébergements transmises par la DDETS. Elle téléphone à tous les hébergeurs potentiels, et visite ensuite systématiquement les logements proposés, afin de pouvoir les “qualifier” et valider leur mise à disposition. Une centaine de dossiers ont été traités ces deux ou trois dernières semaines, et le rythme devrait à présent s’accélérer. Certaines conditions sont impératives, telles que l’engagement des hébergeurs pour une durée minimale de 6 mois, ce qui n’avait pas été annoncé au départ.

Enfin, l’État a mandaté une association, Coallia, à Plescop, chargée d’offrir aux réfugiés un accompagnement qui peut prendre diverses formes : accompagnement dans les démarches administratives, aide à l’installation lorsqu’un hébergement a été trouvé (trouver un frigidaire, etc.), organisation d’activités ou d’animations (ex. la mise en place de cours de français). C’est également Coallia qui étudie les possibilités d’« appariement » entre les hébergeurs retenus par Soliha et les réfugiés en fonction des informations et des demandes fournies par ceux-ci à leur arrivée.

La DDETS, Soliha et Coallia travaillent en concertation. Ils constituent les principaux acteurs en charge de l’accueil des réfugiés. Chaque réfugié passe ainsi par une série de trois étapes (je reprends ici les termes d’une interview de Mélodie Moreels, directrice de Soliha le 23 avril dernier dans Ouest-France) :

« La première (étape), de 24 à 48 heures, leur permet de s’entretenir avec des accompagnants pour connaître leurs besoins, savoir ce qu’ils ont comme papiers, etc. Après, il y a un deuxième sas d’hébergement qui est un peu plus long, jusqu’à deux mois, qui leur permet de se poser le temps de monter toutes les démarches administratives nécessaires. Nous, nous intervenons sur la troisième partie pour trouver un logement transitoire, une solution plus pérenne que ce qu’ils ont connu. Le but, c’est de trouver un logement pour au minimum six mois à un an de manière à ce qu’ils puissent s’établir, se poser, et voir s’ils seront en capacité de repartir ou pas. »

Le souci majeur : un grand nombre de ruptures d’hébergements

Telle que je l’ai présentée là, l’action des trois organismes semble correspondre à une gestion essentiellement matérielle des arrivées de réfugiés dans un contexte d’urgence. Cependant, le facteur humain refait très vite son apparition. Il porte un nom qui résume les préoccupations de tous : les ruptures d’hébergements. Le phénomène est alarmant : nul ne s’attendait à ce qu’autant d’hébergeurs, mais aussi de réfugiés demandent à mettre fin à une cohabitation devenue insupportable. La presse en a déjà relaté de nombreux exemples.

Pourquoi et comment en arrive-t-on là ? Beaucoup d’hébergements se situent dans des zones urbaines où les appartements sont petits. La nécessité de cohabiter dans un espace réduit attise les autres difficultés : l’absence de langue commune, les différences de perception concernant le bruit, la propreté, les horaires, l’argent, etc. (j’y reviendrai dans la partie 2 / 2) Par ailleurs, un certain nombre d’Ukrainiens ont subi des traumatismes durant les bombardements ou durant leur voyage hors de leur pays et en conservent des séquelles psychologiques qui affectent leurs comportements. Quant aux hébergeurs, le mode de vie quelque peu individualiste de nos sociétés occidentales a pu développer chez eux des habitudes dont il est difficile de se départir. Vous-mêmes, lectrices, lecteurs, partagez-vous facilement votre cuisine ou votre salle de bain, êtes-vous prêts à prêter votre voiture, vos outils ?

Des consignes ont été données par la DDETS à l’agence Soliha. Il lui est demandé d’être particulièrement vigilante sur les conditions matérielles susceptibles de rejaillir sur la cohabitation : espace, possibilité de s’isoler, confort… On en vient d’ailleurs à préférer les formes d’hébergement autonome – où une famille ukrainienne dispose d’un logement pour elle toute seule – à l’hébergement dit citoyen, où un logement est partagé avec une famille ou des personnes. Soliha prend en compte cette préférence dans le traitement des dossiers, mais, à ce qu’on m’en a dit, ne renonce pas pour autant aux hébergements citoyens, compte tenu du grand nombre de logements recherchés. Dans le même ordre d’idées, la DDETS a signé une convention avec un bailleur social pour la mise à disposition de 47 appartements dans une résidence de Vannes, qui sont progressivement remis en état et meublés afin d’y loger des réfugiés.

Le tableau de l’accueil des réfugiés dans notre département comme ailleurs en France est donc contrasté. Générosité, débrouillardise, empathie sont bien présents, mais une cohabitation mal préparée est souvent synonyme de sacrifices financiers, de renoncements, de stress, voire de conflits, qui peuvent déboucher sur des échecs très décevants et pénibles pour tous.

Je ne suis pas entré dans le débat qu’ont certains, considérant qu’on n’a jamais fait autant pour les Syriens ou les Afghans, ou à l’inverse, que l’État, en donnant si peu de moyens de subsistance aux demandeurs d’asile, se défausse sur les individus de bonne volonté de la responsabilité de ses engagements. Je n’ai pas non plus porté de jugements sur ce que certains considèreront comme des lenteurs de la part de l’administration, ni sur le relatif manque de communication vis-à-vis de ceux qui proposent des hébergements. C’est mon choix, dans ce texte, d’aborder la question de l’accueil des réfugiés d’un point de vue essentiellement pratique. 

Dans une deuxième partie, j’entrerai dans le détail des raisons qui conduisent à ces échecs dans la cohabitation entre hébergeurs et réfugiés, et tenterai de les analyser et de proposer quelques solutions, même s’il est vrai que la « rencontre », quelle qu’elle soit, réserve toujours une large part d’inconnu qui fait tout son intérêt. Il est vrai aussi que l’improvisation, la réflexion menée à plusieurs et sur le vif, stimulent souvent nos capacités à inventer des solutions et à innover. Encore faut-il que ces capacités ne soient pas bloquées par les non-dits, ni par des arguments étroits, culpabilisateurs ou dépourvus d’imagination…

7 commentaires sur “L’accueil des réfugiés ukrainiens : quelle organisation à l’échelle du département ? (1 / 2)”

  1. Merci Gérard pour cette description précise et utile du fonctionnement de cette aide aux réfugiés ! A partager sur Facebook ?
    Il faudrait développer et valoriser tous les attraits et situations positives que proposent ces rencontres interculturelles, même si bien sûr il est nécessaire de prévenir des problèmes de promiscuité, notamment dans les petits logements.

  2. Bonjour,
    Voulant aider les ukrainiens, je me suis rendu à Penbron mi avril. J’ai fini par entrer en contact avec la représentante de France Horizon (association caritative publique (?) dont les membres sont sous contrat et rémunérés (apparemment par la Préfecture ?) # “P. appelée par les ukrainiens “assistante sociale”) qui m’a déclaré qu’il n’y avait aucune aide à fournir (sic) sinon occasionnellement du transport “à la demande”.
    Aucune nouvelle d’elle depuis cette date…
    Parallèlement, bien qu’athé, j’ai assisté à une messe franco-ukrainienne catholique et orthodoxe servie par plusieurs prêtres dont le curé de Guérande le 24/04 en l’église de La Turballe; ce rassemblement devant me permettre d’établir d’autres contacts avec des ukrainiens. Une certaine T., ukrainienne installée de longue date en France, m’a mis en contact avec d’autres personnes déplacées: le besoin de transports de personnes isolées à Penbron, s’est révélé exact puisqu’à cette occasion, un couple ukrainien mère-fille m’a demandé si je pourrais les conduire à la gare de La Baule pour un départ vers Nantes, le 02/05. Chose faite hier. A noter la situation très isolée du centre de Penbron qui rend difficile des liaisons régionales voire nationales indispensables malgré la possibilité de transport uniquement local grâce à un petit train (en fait un véhicule maquillé pour touristes en locomotive tractant des wagons…; mais qui a le mérite d’exister).
    Aujourd’hui, mise à part l’organisation du retour des personnes évoquées plus haut en fin de semaine, je reste disponible, puisqu’à la retraite, pour toute action ponctuelle d’assistance essentiellement d’ordre pratique et à l’écoute de personnes de bonne volonté souhaitant étendre et fédérer les efforts.
    Mon impression générale est qu’effectivement, l’état a dégagé les moyens d’assistance aux réfugiés avec les lenteurs administratives inhérentes au système (il m’a été dit sur place que les aides financières étatiques prévues ne seraient versées… qu’en juillet, les personnes bénéficiaires devant “se débrouiller” (!) dans l’intervalle).
    Me dire si une ou des réunion d’information sur le sujet de l’assistance existent au niveau local et privé. Merci .

    1. Je me suis permis d’effacer les prénoms et les tél. de 2 personnes dans votre message.Bien sûr, je vous informerai lorsque nous aurons une rencontre des personnes impliquées sur Pénestin.

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