Le Pape sera demain à Lesbos

Les Chrétiens ont de la chance à leur façon. Ils ont les Dix Commandements qui leur indiquent ce qu’ils ont le droit de faire et de ne pas faire. Ils reçoivent les conseils de leurs prêtres lorsqu’il s’agit d’appliquer les préceptes religieux au monde contemporain. Et puis, ils vont à la messe, ils chantent et partagent leur foi. Ils en ressortent requinqués. Je me souviens encore très bien de cette sensation lorsque j’étais chrétien, il y a bien longtemps de cela. J’étais même enfant de choeur. 

Lorsqu’on a cessé de croire, tout est plus compliqué. Il faut tout réinventer : même un principe comme « Tu ne tueras point » doit être passé à la moulinette du raisonnement afin de retrouver une crédibilité. Relisez les pages, pas faciles, que Camus consacre à ce thème, dans L’homme révolté, par exemple. Evidemment, me direz-vous, on peut s’éviter ces complications : il suffit de respecter les lois. Elles nous disent ce qu’on peut faire et ne pas faire, et quelle est la marge réservée à notre libre arbitre. Beaucoup s’en contentent.

C’est pratique, finalement, de ne pas pratiquer

A votre surprise, je vous dirai que les athées se contentent moins que d’autres de ce « légalisme ». La morale basée sur la réflexion et sur l’expérience, appuyée sur la littérature et sur l’histoire, cela compte pour eux. Les Latins ne disaient-ils pas : « Homo sum ; humani nihil a me alienum puto », « Je suis homme et je considère que rien d’humain ne m’est étranger. » (Térence) En plus, comme vous le savez certainement, tout ce qui est légal n’est pas moral. 

Beaucoup de Chrétiens ne « pratiquent » pas. Ils ne vont pas confesser leurs péchés, ils ne vont à la messe que dans les grandes occasions. C’est pratique, finalement, de ne pas pratiquer. Si vous me permettez, je dirai que c’est un peu le beurre et l’argent du beurre. Pas besoin de trop réfléchir, une religion à la carte, en quelque sorte.

Alors quand le Pape, François, tente de faire passer un message, vous, Chrétiens non ou peu pratiquants, ne l’écoutez que d’une oreille distraite. Comme vous diriez si n’aviez pas le sens des convenances – mais moi qui suis athée, je peux me le permettre – : dans ce que dit le Pape, il y a à boire et à manger. Lorsqu’il se mêle de notre sexualité (enfin, de la vôtre, je veux dire), par exemple, vous fermez carrément les yeux et les oreilles : oui, l’Église est une vieille institution, pas toujours en phase avec le monde moderne.

Est-ce moral, ou tout simplement humain ? Je vous laisse répondre.

Et lorsque le Pape parle des menaces qui pèsent sur notre planète, ou encore des migrants, comme aujourd’hui, vous ne vous sentez pas vraiment concernés. A la limite, Zemmour vous parle plus, vous les non ou peu pratiquants, lorsqu’il fait référence à votre vieille culture chrétienne. C’est flatteur… et pratique. Demain, le Pape sera à Lesbos, cette île grecque dotée d’un camp de 2000 migrants, Mavrovouni, qui a succédé à celui de Moria, ravagé par un incendie en septembre 2020 et qui en avait compté jusqu’à 12 000.

Ce n’est pas la première fois. Le Pape s’est déjà rendu à Lesbos en 2016. Il déclarait alors :  « Ce que j’ai vu aujourd’hui était à pleurer. Nous ne devons pas oublier que les émigrants, avant d’être des numéros, sont des personnes, des visages, des noms, des histoires. » Que dira-t-il demain ? L’entendrez-vous ? Savez-vous que la plupart des migrants de Lesbos attendent plusieurs années sans que leur demande d’asile soit examinée ? Ce n’est pas légal… Quant à savoir si c’est moral, ou tout simplement humain, je vous laisse répondre.

Dans mes fantasmes, j’imagine souvent que nous, Français, épargnés depuis plus de 70 ans par les guerres sur notre sol, soyons contraints par une catastrophe naturelle ou un conflit armé de quitter nos maisons. Nous formerions des colonnes sur les routes. Ca a déjà existé, nos parents l’ont connu : ça s’appelait « l’exode », en « 40 ». Je nous vois arriver à la frontière de la Suisse, par exemple. Là, des barbelés. Et les gens du cru qui nous jetteront des pierres en criant : « On est chez nous ! »

Je m’adresse à vous, les Chrétiens, dépositaires d’une grande religion qui a placé au centre la charité, un mot un peu daté pour dire qu’on aime les autres, proches ou lointains, comme soi-même. Dialoguons ! Quand j’avais 13 ou 14 ans, le curé m’avait proposé d’écrire aux Chrétiens de notre paroisse. Je le fais aujourd’hui. 

3 commentaires sur “Le Pape sera demain à Lesbos”

  1. Les migrants actuels fuient les guerres décidées par les grandes filles de l’Eglise, Amérique, Angleterre, France: il serait temps que ce bon père s’en rende compte et dénonce ces va-t’en-guerre, avant que les migrants climatiques ne viennent grossir leurs rangs.

  2. La charité chrétienne a été remplacée par la fraternité et l’égalité, voir la solidarité
    C’est beaucoup moins plaisant.
    Aider quelqu’un qui peut ne pas vous en être redevable… être le frère ou la sœur de quelqu’un qu’on ne connaît pas , qui parfois n’a pas la même couleur de peau….. le considérer comme son égal…. Voilà qui peut faire peur à nos âmes sensibles, parfois encore un peu racistes sur les bords…

    Sinon,les athées ne sont pas tous philosophes. il y a aussi chez les athées beaucoup de gens qui n’ont absolument aucune morale, comme les barbares incultes des films de Tarentino qui tuent et violent sans réflexion aucune .
    Les religions ont un peu canalisé ceux ci , elles font partie de notre évolution, je ne suis pas du tout pour leur jeter la pierre malgré leurs erreurs et leur retards actuels. Qui donc forme ces esprits ?

    Valérie

    1. “les athées ne sont pas tous philosophes” : tu as raison, Valérie, j’idéalise un peu. Mais à l’inverse, je ne jette pas la pierre aux “Chrétiens peu ou pas pratiquants” : je veux simplement faire remarquer que certains s’accordent des facilités qu’ils prolongent sur le terrain politique. Exemples : l’idée que la charité, ou la fraternité, s’appliquent à certains et pas à d’autres, dont les migrants, voire les étrangers en général ; l’idée que ce qui nous structure, c’est le fait d’appartenir à une vieille terre chrétienne. Ces idées ont un caractère surprenant : la première est en soi contradictoire, et la seconde surprend quand elle émane de personnes peu investies ou désinvesties de la pratique religieuse. Je mentionne ces idées pour dire qu’elles n’ont pas un caractère d'”évidence” et qu’elles demanderaient à être soumises à l’examen critique et au débat.

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