Jean-Marc Bonavoir n’est pas un inconnu sur ce blog. Il a déjà été question de lui à propos d’un « café repaire » sur le thème du « zéro déchet » (http://www.penestin-infos.fr/un-cafe-repaire-sur-le-zero-dechet-vendredi-18-octobre-au-bateau-livre/ ). C’était l’occasion d’évoquer le parcours de ce touche-à-tout, devenu boulanger à Kerandré avec un succès tel que certains n’hésitaient pas à dire : « son pain, c’est du gâteau ! » Il a maintenant confié les clés de l’entreprise Marcopane à son fils Tino. L’an dernier, il était aussi membre de la liste « Le Bon Sens pour Pénestin » lors des dernières Municipales.
A l’heure où les hameaux, les villages et leurs différences ont retrouvé une actualité avec l’affaire Robert Crusson à Kerséguin (http://www.penestin-infos.fr/virgules-et-compagnie-echos-tardifs-des-conseils-municipaux-des-15-fevrier-et-15-mars-derniers-1/ ), il souhaitait me parler de sa propre expérience à ce sujet, qui ne date pas d’hier… En janvier 2009, il venait de s’installer dans le hameau de Kerandré avec sa compagne et leur fils. Près de sa maison en bois, il avait construit un fournil bio, véritable symbole de son intégration dans ce lieu auquel il était attaché de longue date. Quelle surprise lorsqu’il entendit le maire de l’époque, M. Baudrais, expliquer que grâce à son activité de boulanger, Kerandré répondait désormais aux critères pour devenir un « village » et non plus un hameau ! Ce qui allait permettre de construire de nouvelles habitations et d’installer des résidences secondaires, puisque la loi Littoral les autorise dans les villages, contrairement aux hameaux. Ce lieu charmant et qui n’avait rien demandé, entre le Bile et Kerséguin, allait pouvoir « se développer » ! Grâce à son boulanger ou à cause de lui. « Par un coup de baguette magique », comme il l’écrivait à l’époque avec malice dans le bulletin de l’association « Autre Regard » (voir ci-dessous la reproduction de son article : « Ce qui ne m’a pas P.L.U… »)
La réponse fuse sans tarder : que les gens se parlent !
Kerandré est resté un hameau. Ce n’était en fait, de la part du maire, qu’un ballon d’essai. Mais voilà une belle illustration de la différence entre hameau et village et des effets que le passage du premier au second est susceptible d’entraîner.Un sujet de réflexion qui n’a jamais vraiment quitté Jean-Marc Bonavoir depuis lors. Le village ne se caractérise pas uniquement par sa taille et sa densité, mais par la présence d’« éléments de vie collective », indiquions-nous dans l’article « Virgules et compagnie » en citant une « Instruction » gouvernementale de 2015 : le village « accueille encore ou a accueilli des éléments de vie collective, une place de village, une église, quelques commerces de proximité ou services publics, même si ces derniers n’existent plus compte tenu de l’évolution des modes de vie ».
Ces « éléments de vie collective » ont une valeur juridique, ils contribuent à clarifier la distinction entre villages et hameaux. Mais la réflexion de Jean-Marc va au-delà. Il n’y a pas de raison qu’un hameau soit moins vivant qu’un village, et l’existence de commerces n’est pas le seul moyen d’accéder à cette qualité. Et concrètement, qu’entend-on par « la vie » ? La réponse fuse sans tarder : que les gens se parlent ! Rien de pire que ces lieux où chacun vit replié sur son intérieur, la télé allumée, les autres écrans en embuscade, la propriété opposant au voisin des limites infranchissables. Au-delà, la « vie » locale s’illustre encore par la convivialité – une table ouverte et partagée -, l’hospitalité, l’entraide, les moments festifs…
À Kerandré, la situation est nuancée. Certaines maisons ne s’animent qu’en été, deux mois par an, mais plutôt moins qu’ailleurs. D’autres se sont transformées en gîtes. Les Allemands jeunes et moins jeunes qui séjournent l’été à l’école de langues « Keskessäh » semblent continuer à trouver qu’on y vit « wie Gott in Frankreich », « comme Dieu en France », représentation d’un art de vivre qu’ils nous envient. Jean-Marc, qui connaît tout le monde, considère que la vie « se maintient » à peu près à Kerandré, mais que « c’est loin d’être gagné ! » Dans le passé, les gens du pays travaillaient sur place et l’unité était une évidence : Kerandré appartenait à une seule personne et comptait en tout et pour tout deux fermes qui se faisaient face des deux côtés de la route.
Il faut « qu’il y ait une limite »
Cela n’aurait pas de sens de vouloir revenir au passé, reconnaît-il, mais son visage s’illumine lorsqu’il dit que ce qui se perd, ce n’est pas « la vie », mais un mode de vie « campagnard ». Il ne dit pas « rural ». Non, pour lui, c’est « campagnard », comme s’il mordait à pleines dents dans chacune de ces trois syllabes, comme dans une large tranche de pain raisins-amandes-noisettes richement beurrée !
On l’aura compris, Kerandré fait en partie figure d’exception. Mais ailleurs où la situation est plus inquiétante, qui est responsable ? Le tourisme, les 65% de résidences secondaires ? Il n’est pas question pour lui de rechercher des coupables parmi les estivants, qu’il fréquente en bonne intelligence comme la plupart d’entre nous. Mais « il va falloir statuer », dit-il, tout en reconnaissant que « c’est compliqué ». Il faut « qu’il y ait une limite ». Le repoussoir, c’est le quartier de la Mine d’or où tout est fermé en hiver. Pour qu’il reste une vie, il faut qu’une proportion suffisante de gens vive sur place à l’année et participe à la vie collective. Et là, bien sûr, on entre sur le terrain de la politique. Où situer la limite ? Quels outils mettre en œuvre pour la faire respecter ? Quelles incitations financières mettre en place pour amener des jeunes, voire des moins jeunes, à s’installer en résidence principale dans ces hameaux ou ces villages ?
Politique toujours, le refus du « développement » à tout prix. Pour que les hameaux restent des hameaux, il faut leur conserver leur petite dimension, qu’ils continuent à correspondre à de « petites zones d’habitation ». Et cela d’autant plus qu’en s’étendant, les hameaux finissent par se rapprocher les uns des autres. Sans la loi Littoral, ils constitueraient déjà aujourd’hui un continuum qui aurait avalé les prés, les champs, les chemins bocagers, jusque là synonymes de ruralité. Mais il y faut une vigilance de tous les instants : combien de zones rurales se sont déjà normalisées, uniformisées, transformées en une vaste périphérie où alternent lotissements, entrepôts, grandes surfaces, voies de circulation ! La campagne s’urbanise de la pire façon : de la ville elle ne récupère que le plus détestable, le modèle déstructuré de son pourtour.
Les mots techniques reprennent leur sens premier
Dans le propos de Jean-Marc, on retrouve le vocabulaire propre à l’aménagement et au droit : pour éviter la transformation de la campagne en une vaste périphérie, il faut ménager des « ruptures d’urbanisation » ; l’urbanisation se caractérise par une « artificialisation des sols »… On a l’impression en l’écoutant que les mots techniques, ceux des politiques et des aménageurs, reprennent leur sens premier. Le signe, certainement, d’une longue réflexion, parvenue à opérer une synthèse. Entre les paroles et les actes ? Sans doute, mais plus encore entre la décision politique et ses effets pour les simples citoyens.
Il est plus modéré que je ne le croyais, conséquence de son sens de l’écoute et du compromis, et de l’usage qu’il fait de l’expérience accumulée au fil des années. Et bien sûr, de son souci de l’intérêt général. Mais attention ! Ne cherchez pas dans ce qu’il dit un quelconque dogme. Il aimerait, certes, que ses réflexions débouchent sur un débat, mais il est prudent et modeste. Pour ma part, j’ai appris des choses en l’écoutant. Vous aussi, peut-être !
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Oui, c’est vrai, les estivants, les parisiens et surtout “les autres” ils sont vraiment génants !
Il faut les supprimer à tout prix !
Ah Dame !
Cher Olivier, Jean-Marc dit le contraire ! Vous avez peut-être lu sans prêter suffisamment attention à une réflexion qui était nuancée, justement.
Jean-Marc répond à M. Coutrot :
Merci à Gérard d’avoir réagi rapidement. Je me sens profondément outré par cette interprétation extrême de ma pensée.