Ce qui suit est une nouvelle de fiction, qui s’efforce de faire un peu d’humour sur cette pandémie qui nous a bien compliqué la vie ces deux dernières années. Il y a une part de risque à traiter de cette façon-là un sujet qui suscite souvent des jugements très tranchés. Mais aussi une certaine nécessité : si l’on veut pouvoir tirer des enseignements de cette expérience à la fois personnelle et collective – histoire qu’elle ait servi à quelque chose, ou même simplement histoire de retomber sur nos pieds après elle -, il faut arriver à mettre des mots dessus. Un récit imaginaire est une façon d’explorer ce registre des mots et des symboles.
Les mots ont de multiples usages : ils consolent, ils font rire, ils suggèrent des idées, des solutions, quand on en manque. Il y en a même qui soignent ! Mais ça ne fonctionne qu’à la condition de rester très modeste. Ils ouvrent parfois des perspectives, mais il ne faut pas les prendre trop au pied de la lettre… Pour accéder à des vérités moins attendues que celles du sens commun, il faut prendre des risques, là encore : celui du ridicule, peut-être, celui de la maladresse, celui de faire des erreurs.
Je ne demande pas d’indulgence. Je dirai juste que si vous cherchez des réponses à des questions que vous ne vous étiez jamais posées jusque là, vous êtes plutôt au bon endroit. Mais si vous cherchez des réponses précises, factuelles, et même techniques, à des questions importantes pour vous, interrogez votre médecin, lisez la presse qui fait souvent, quoi qu’on en dise, du bon travail, exercez votre esprit critique, vous serez mieux servis…
Enfin, j’apprécierai beaucoup vos commentaires, vos réflexions, vos critiques. Et j’adorerais lire à nouveau des récits, des poèmes, ce que vous choisirez comme moyen de vous exprimer, sur la pandémie, sur notre vie à Pénestin, ou sur des tas d’autres sujets.
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« Tous les grands événements et personnages historiques se répètent deux fois, la première comme tragédie et la deuxième comme farce. » C’est Marx qui écrivait cela, au moment où Louis-Napoléon Bonaparte, dit Napoléon le Petit, si loin d’égaler les qualités de son oncle Napoléon 1er, devenait Empereur à son tour, le 2 décembre 1852.
Ce qui vaut pour les personnages et pour les événements, vaut sans doute pour les variants du covid. Le variant Delta, plus encore que ceux qui l’ont précédé dans un crescendo dramatique, était un tueur : il choisissait ses cibles avec soin dans l’espoir de les envoyer direct en réa et de là au cimetière. Omicron, lui, est un clown triste qui laisse cois médecins, politiques et commentateurs.
Dès sa sortie d’Afrique du Sud, dans les derniers jours de novembre, chacun disposait déjà des éléments lui permettant de remettre le turlupin à sa place. Le diagnostic des médecins sud-africains était clair et précis : très contagieux, peu virulent. Tout était dit en 4 mots pour qui voulait l’entendre. Omicron gesticule, il fait beaucoup de bruit, mais peu de dégâts : ce ne sont que rodomontades, il brasse, il brasse, et ne porte que des coups bien mous et mal ajustés. Ces médecins avaient même annoncé que chez eux et dans le Malawi voisin, Omicron se répandait de façon fulgurante, mais agissait comme un édredon qui étouffe les variants précédents, signant probablement, enfin… sans doute, enfin… peut-être, la fin de la pandémie. Enfin, bon… la fin de la pandémie sous sa forme actuelle. Oui cela a été dit, il y a déjà plus d’un mois. D’autres variants arriveront, mais nous serons mieux capables de résister. En principe. Sous toutes réserves…
Ceux qui l’ont baptisé Omicron avaient, je crois, un sens aigu de la dérision que n’ont guère perçu ceux qui n’ont jamais pratiqué les langues anciennes. Le risible Omicron, de mikros, « petit », par opposition à Oméga, le grand, comme Napoléon le Petit face à Napoléon 1er… Qu’il est donc ridicule, ce petit o, un insignifiant petit cercle doté d’une minuscule queue, là où Delta arborait sa terminaison comme un gros hameçon, telle une épée vengeresse ! Les Grecs contemporains, et aussi les Roumains, ont sans doute compris la chose avant les autres, et commencé à chausser leurs souliers de fête et à réviser leurs pas de danse dans la pénombre des caves.
Entendons-nous bien. Il y a certainement des personnes qui souffrent dans leur chair de ce « petit » variant, et peut-être même qui en meurent. Si j’en rencontre un jour, je leur témoignerai toute ma sympathie et tout mon respect, et si je peux les aider d’une quelconque façon, je le ferai. Le problème est que seules les statistiques leur donnent un semblant d’existence. Si Omicron tue 10 fois moins que Delta, cela signifie qu’il y a quand même des victimes, même si elles sont moins nombreuses. Mais ces victimes ne prennent jamais un visage concret, elles sont invisibles au point qu’on en arrive à se demander si elles existent vraiment. A défaut de distinguer de façon fiable ceux qui sont atteints par Delta ou par Omicron, on se contente de supposer que les morts, qui se comptent encore par centaines, sont attribuables pour l’essentiel à Delta, de même que les malades admis en réanimation, qui se comptent par milliers. Parallèlement, les pays touchés avant nous par la dernière « vague » et qui sont en train d’en sortir annoncent, presque incrédules, qu’elle n’a fait qu’un nombre « limité » de victimes. Limité : que faut-il entendre par là ? Qu’elle aurait touché en priorité des patients immunodéprimés, atteints de comorbidités importantes ?
Et tandis que nous nous interrogeons sur ce variant que l’on nous décrit comme insaisissable, surprenant, et même farceur, les autorités adoptent des mesures parfois pires encore que pour les variants meurtriers des mois précédents. Les enfants des écoles subissent trois tests par semaine si l’un de leurs camarades est atteint par le virus blagueur – et pleurent à chaque fois qu’on leur triture les fosses nasales -. Leurs parents courent les pharmacies pendant des heures sous la pluie pour se procurer ces tests, ils attrapent froid et se croient eux aussi infectés par le covid. Des trains et des avions sont cloués au sol par manque de personnel. Les réfractaires au vaccin sont, quant à eux, cloués au pilori et les vaccinés se dressent contre eux de plus en plus. Certains se révoltent, d’autres dépriment. Tout cela au nom d’un variant qui n’en demandait pas tant, et qui, tout clown qu’il est, en devient de plus en plus morose.
Quelle injustice il est vrai ! Je viens vous tirer de ce mauvais pas qui vous fait clopiner depuis deux ans, s’exclame-t-il, et vous en profitez pour régler vos comptes sur mon dos ! Et le nôtre, ajoutent les millions de terriens qui subissent les affres d’une pandémie devenue presque illusoire, mais qui continue à réclamer son tribut de victimes, multiplie les contraintes, aiguise les conflits ! Omicron est vexé, il a de quoi. Pour un peu, il aurait des envies de revanche : vous qui me comparez à Napoléon III, savez-vous que, n’eussent été la plume sarcastique de Victor Hugo et les insinuations de la presse d’alors qui le décrivait comme « entêté dans l’indécision » – « pff ! », souffle Louis-Napoléon lui-même, que cette polémique a tiré de son long sommeil –, on aurait plutôt retenu sa belle prestance lorsqu’il dirigeait les armées à Magenta et Solferino.
Louis-Napoléon, bien réveillé à présent, affirme d’une voix sonore, avec son accent suisse-allemand : « Oui, il est vaillant, ce petit. Ce sont des fantassins comme lui qui ont gagné les batailles de l’Alma et de Sébastopol pendant la guerre de Crimée. Et d’ailleurs, ils ont résisté mieux que les Anglais au typhus et au choléra. Les batailles de mon oncle Napoléon 1er, le Grand, sont devenues comme les miennes des stations de métro : Austerlitz, Iéna, Wagram… On va faire un concours à celui qui en a le plus ! »
Omicron reprend : il est quand même taré, Louis-Nap. Et il n’a jamais accompli de prodiges comme les miens. Regardez les courbes de ma progression ! Elles montent à la verticale, vous croyez que ça va redescendre ? Mathématiquement, ce n’est pas possible de continuer à monter tout droit comme ça, mais je défie les lois de l’algèbre, c’est mon heure, j’imprime ma marque dans l’histoire des hommes. Et vous n’avez pas tout vu, j’ai même infecté des chats ! Je suis un phénomène. Oui, les chiffres ont perdu leur sens. En France, ils ont changé trois fois de mode de calcul au cours du mois de décembre. Ils criblent, ils criblent, et ne comprennent plus rien. Ah ! Vous me preniez pour un clown ? Je suis le maître du monde, je fais flamber la planète. Ils ne comprennent vraiment plus rien du tout. Ils prédisent, dans leur triste parler de technocrates : « Une pression accrue sur les services d’hospitalisation conventionnels, liée à la flambée d’Omicron, mais une pression proportionnellement plus faible sur les services de soins critiques liée à cette flambée. »
Je suis le premier virus artistique de l’histoire. Je suis là pour faire le show, pas pour tuer des pauvres gens. J’en tue bien quelques uns, que voulez-vous ? Ce n’est pas facile de séparer le monde de sa représentation, comme disent vos philosophes, les symboles se dandinent en lieu et place d’êtres morts et enterrés, et en voulant tuer ces symboles, je bave un peu : je tue quelques êtres et en estropie quelques autres. Mais reconnaissez que je suis adroit, quand même. Je ne vise que la célébrité. Vous auriez pu, vous auriez dû m’appeler « métavirus », « métavariant », « virus barthésien », « variant déconstructeur », « différance assumée », « impératif post-véridictionnel », « variant cataclysmique » ! Vous n’êtes que des petits-joueurs, indignes du spectacle grandiose que je vous offre. Vous assistez à la première pandémie purement spectaculaire. D’ailleurs, je vais faire un miracle : je vais réveiller Guy Debord, mort en 1994 à Bellevue-la-Montagne, il viendra bavarder avec nous. On verra si Louis-Nap nous fait une attaque cardiaque en découvrant le situationnisme !
« Guy ! Guy !! » Il répond pas, il fait du spectacle à rebours. De toutes façons, les théoriciens du spectacle ne savent pas faire le show eux-mêmes, regardez comme ses bouquins sont chiants ! On va appeler Baudrillard ! Il nous dira que « la pandémie de coronavirus n’a pas eu lieu », ha ! ha ! « Jean ! Jean !! » Il répond pas non plus. Salauds ! Vous me faites le coup du je t’ignore. Je vous vois venir, vous allez me baptiser « point final », mon petit o va se réduire à un point, plus petit encore que mon petit cercle. Vous allez me traiter de minus, minuscule, ridicule.
Ce que vous voulez, c’est oublier, oublier les morts des variants anglais, brésilien et indien, oublier les estropiés, oublier les deux années perdues de vos jeunesses sacrifiées, oublier les couples que la promiscuité a désunis, oublier les enfants qui ont grandi avec le covid comme horizon, oublier vos économies qui ont appris à effacer des barrières et à distribuer sans se soucier de ce qu’il en coûte, oublier ceux qui ont perdu leur job, ceux qui ont souffert, ceux qui ont inventé des solidarités. Votre idéal collectif, c’est l’amnésie ! Vous voulez retourner au business as usual, moi qui vous proposais un spectacle de paillettes et de strass, moi qui aurais fait de cette tragédie une farce mémorable.
Je ne vous tue pas, c’est vous qui me tuez. Quand je serai mort, emporté dans le silence glacé des espaces sidéraux, alors là, oui, vous ferez une fête, à votre façon, sur toute la planète. Une teuf pour dire : on est revenus à la « normale », on va« profiter », on va bâfrer à s’en faire « péter la panse » et rejeter ensuite tout ça dans la nature et dans l’océan. Une teuf avec des feux d’artifice sur toute la planète, que des yeux tristes contempleront peut-être, et leurs possesseurs marmonneront : « Décidément, ces terriens sont incorrigibles ! » Un jeune alien, s’exclamera : « Et pif ! Et paf ! Oh ! La belle rouge ! Oh ! La belle bleue ! Quel beau feu d’artif ! » Un ancien s’étonnera : « Tu crois ? On dirait des Scuds… »
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* *
« Cornu ! »
« Oui, Cornu ? »
« T’as écrit des conneries. »
« Comment ça ? »
« Tu as fait des modifs dans ta deuxième version, mais quand même, c’est pas suffisant ! »
« Ah ? »
« Au départ, tu disais : ‘La seule crainte serait que survienne un autre variant qui remettrait tout à plat’, alors que ce n’était pas une crainte, mais une certitude, il y aura d’autres variants. »
« Oui, Cornu, j’ai corrigé, j’ai mis ‘D’autres variants arriveront, mais nous serons mieux capables de résister.’ Je ne pouvais pas entrer dans tous les détails. Alors j’ai ajouté des modalisations : en principe, sous réserves. Il y avait un article hier matin dans Le Monde, qui parlait de l’’immunité cellulaire’, des ‘lymphocytes B et T’… Je ne pouvais pas parler de tout ça, j’aurais perdu le fil de ce que je voulais écrire : le virus spectaculaire, le feu d’artifice final, l’amnésie… »
« Oui, mais justement, Cornu, tu dis ‘final’. Dans le texte, tu évoques ‘la fin de la pandémie’, tu t’avances trop. »
« J’ai mis des bémols : ‘probablement, enfin… sans doute, enfin… peut-être, la fin de la pandémie’. Et puis Véran a déclaré le 2 janvier que ‘cette cinquième vague sera peut-être la dernière’. »
« Oui, mais tu sais bien que quand il dit ça, il fait de la com. »
« Oui, bien sûr, Cornu, mais… »
« Non, Tu pars de l’hypothèse que la pandémie va s’arrêter après Omicron. Tout ton texte repose là-dessus. Or, ce n’est qu’une hypothèse, et même pas la plus probable. Au mieux, le virus va devenir saisonnier, il continuera à tuer, parmi les immunodéprimés par exemple, mais dans des proportions comparables à la grippe. »
« Je comprends. Mais c’est pareil : trop technique. Si j ‘expliquais ça, je perdrais le fil de ma fiction, d’Omicron qui parle avec Napoléon 3… Mais je sens bien le problème. D’ailleurs, c’est pour ça que j’écris cet after. »
« Tu appelles ça un after ? »
« Oui, ha, ha! On peut dire un post-scriptum, mais c’est moins drôle. Mais tu sais, j’ai parlé de ça avec une amie hier matin, qui me disait que de toutes façons, j’écris de la fiction, donc ce n’est pas grave si ce que je dis est faux. Mais je n’étais pas d’accord avec elle. Pour moi, quand on mélange des faits réels et des faits inventés, il faut que les faits réels soient véridiques. »
« Oui, là, je suis d’accord. »
« C’est un peu un prolongement du vieux principe de vraisemblance. Comme tu sais, j’aime bien mêler la réalité et la fiction. En s’appuyant sur ce principe, on arrive mieux à les différencier, même si elles coexistent parfois dans une même phrase. Ce texte est un mélange de vraisemblance et d’invraisemblance : la première vaut pour les faits réels, la seconde pour les élucubrations. Avec la même amie, on a parlé d’un projet de roman que j’ai, où il y aura des sous-marins russes dans la baie de Quiberon. »
« Il ne faut pas dévoiler tes projets ! »
« Oh ! ça, je m’en fous… Mais mon amie a pris cette fois-là la position inverse : elle m’a dit qu’il faudra que je vérifie quelle est la profondeur de l’océan dans cette zone, parce que les sous-marins ne peuvent pas aller là où la mer n’est pas assez profonde. Eh ben, voilà, ça c’est un bon exemple. On pourrait dire qu’on s’en fout, mais non, c’est important. »
« Alors finalement, ce qui sauve ton texte, c’est son after. »
« Dans une certaine mesure. Ca permet de garder ce qu’il a de fantaisie dans le texte tout en soignant la véracité des faits, ou du moins, comme ce ne sont encore que des prévisions ou des anticipations, leur crédibilité. »
« Tu te rattrapes aux branches, quoi ! »
« Oui, ça aurait pu s’appeler ‘Chimpanzé story’… »
J’attendais un petit couplet sur le variant absent XI qui a été omis pour ne pas peiner l’empereur de Chine ! (populaire bien sûr)