Pascal Métayer est mort

Pascal Métayer est décédé le 30 décembre 2022. Il a succombé à une crise cardiaque, et a été incinéré sur place, en Espagne où il se trouvait. 

Né en 1946, il était une figure familière de Pénestin. Pour beaucoup, au fil des décennies, il a été « le patron » : il fournissait du travail aux paysans de la région, notamment ceux de l’Armor, la partie la plus pauvre de Pénestin, dans ses ateliers mytilicoles de la pointe du Bile, qu’il dirigea après Octave Métayer, le fondateur, décédé en 1960, puis son épouse Louise. Lorsqu’il en céda la direction à son fils Jean-Charles, il conserva de nombreuses responsabilités dans les différentes instances de la profession, dont la plus notable est celle de Grand Maître de la Confrérie des Bouchoteurs, en charge de la promotion des moules de bouchot de Pénestin.

En 2022, lui et son fils ont vendu une surface correspondant à la moitié des ateliers à Reynald Bernard, le jeune président de Breizh Coquillages. Auparavant, une grande part des parcs à moules avait été vendue à Gilles Fouché-Maury, mareyeur, président de plusieurs sociétés réparties entre La Plaine sur Mer, Paimboeuf et Pénestin, et président du Hameau de Loscolo, l’association chargée de gérer les intérêts des entreprises souhaitant s’installer sur le site du projet de Parc conchylicole de Loscolo (cf. article à venir). Pascal Métayer était un fervent partisan du projet Loscolo et un proche de l’ancien maire Jean-Claude Baudrais.

Une passion pour la création de sculptures en bois flotté

Comme la plupart des patrons « paternalistes » d’avant l’irruption massive du capital financier dans les entreprises, il connaissait sur le bout des doigts tous les rouages de la sienne et mettait volontiers la main à la pâte. Il suscitait cependant des sentiments contradictoires. Beaucoup d’anecdotes circulent encore sur ses accès de colère et son autoritarisme. Mais d’autres facettes de sa personnalité sont moins connues et font apparaître une sensibilité à fleur de peau. Il en est ainsi de ses sculptures créées à partir de bois flottés.

J’ai eu la chance de le connaître dès mon premier article pour L’Echo de la Presqu’île, en octobre 2017. Lorsque je lui téléphone, il me demande : « Vous êtes où ? », puis me dit : « Je passe. » Pendant deux heures, devant un verre de vin rouge, il me donne ma première leçon sur la mytiliculture. Bien sûr, il ne m’épargne pas les plaisanteries habituelles sur le byssus des moules, mais il se révèle un communicant hors pair. Ses formules épurées sont profondément ancrées dans le réel. 

« C’est le terroir qui fait la qualité. » « Les moules grandissent près des estuaires, dans une eau saumâtre, car la nourriture vient de la terre. » « Le secret pour bien communiquer, c’est d’être fier de son produit, tout en se montrant capable de manier l’humour. » Ces formules qui traduisent un riche savoir, je les avais reprises dans mon article, bien conscient d’avoir eu affaire à l’un de ces patrons qui, au-delà de leurs compétences, avaient aussi su laisser leur esprit vagabonder en quête des mots les plus justes.

Nous nous sommes revus à la mairie un 14 juillet. Il me parle de son projet de rédiger une biographie de son père Octave. Il me raconte que son éditeur lui a dit que son style « laissait à désirer ». Je me permets de le répéter ici, car il n’y a, je pense, aucune honte à cela : le mot juste se récuse parfois, ou alors il vous vient à l’oral, sans que vous parveniez à le fixer sur une feuille de papier. Nous tombons vite d’accord sur l’idée que je pourrais l’aider contre rémunération. Nous faisons un essai sur un chapitre. Il me l’envoie, je le corrige. Lorsque nous nous revoyons, je comprends vite que cela ne fonctionnera pas : un chef d’entreprise, habitué à commander, n’aime pas beaucoup qu’on le reprenne sur l’emplacement de ses virgules ou sur sa syntaxe. Je ne suis pour ma part sans doute pas non plus assez diplomate.

Quelqu’un qui a perdu son père à 14 ans et renoncé à ses études à 18 ans

Plus tard, une fois le livre paru, il me donne une autre explication : si j’étais intervenu dans la rédaction de son livre, il s’en serait senti dépossédé. Même avec ses défauts dont il est conscient, il préfère avoir fait ce livre ainsi, à sa façon, plutôt qu’un livre mieux écrit, mais qui n’aurait pas été le sien. J’en rédige une critique assez positive sur ce blog : http://www.penestin-infos.fr/la-vie-doctave-metayer-racontee-par-son-fil-pascal/ . Pour sa part, il me le dédicace avec des mots qui me font comprendre comment il me voit et pas seulement comment moi je le vois : « Pour compléter l’instruction de quelqu’un qui en a déjà beaucoup et qui se passionne pour la vie pénestinoise. » Ce mot d’« instruction » veut dire tellement de choses dans la bouche de quelqu’un qui a perdu son père à 14 ans et a renoncé à ses études à 18 ans pour aller aider sa mère à gérer l’entreprise familiale ! Le manque supposé d’instruction entre en résonance avec le manque de père, plus fort encore chez lui, comme beaucoup le savent.

Pour ma part, en feuilletant à nouveau ce livre aujourd’hui, je perçois d’autant plus la fierté qu’il a dû en éprouver et la dimension de « cadeau » posthume que ce livre a dû revêtir : « Regarde, Papa, j’ai écrit un livre, pour toi, sur toi ! » Ce père tellement imposant, cet homme, Octave Métayer, qui a marqué la vie de Pénestin et dont l’empreinte est encore visible. Un seul exemple : en 1925, le Conseil municipal prend position contre les demandes de concessions du Bile, qui « priveraient le canton et ses environs de ses belles plages, et les agriculteurs des coquillages qui entrent en grande partie dans la nourriture, et du goémon, engrais indispensable pour la fumure de leur terre ». Pascal Métayer conclut (p.11) : « Requête déboutée par les autorités maritimes au plus haut niveau. » L’administration vient au secours du « progrès » contre les forces obscures du passé.

Je me rends compte de la différence entre le « témoignage » qu’a laissé Pascal Métayer et le travail d’historien que j’aurais été tenté de mener : le témoignage dit « c’est / c’était comme cela » ; l’historien pose des questions, des tas de questions… Du style : qu’est-ce qui a amené Léon et Octave Métayer, issus d’une lignée d’agriculteurs pauvres, et non de conchyliculteurs comme les autres émigrants charentais, à quitter leur ferme pour devenir d’abord pêcheurs au Croisic, puis conchyliculteurs ? Comment ont-ils acquis ces réflexes d’entrepreneurs qui les ont conduits à saisir les opportunités, à acheter des terrains, à investir dans des techniques ? Pourquoi se sont-ils installés au Bile dès 1925, alors que le mouvement des parcs, puis des ateliers, de la Vilaine vers l’océan ne s’opèrera que beaucoup plus tard, avec l’envasement dû au barrage d’Arzal construit en 1970 ? Sur quelles forces se sont-ils appuyés, eux étrangers à Pénestin, pour imposer à ses habitants des transformations qui allaient souvent contre leurs intérêts et qui révolutionnaient leurs habitudes et leur vie quotidienne ?…

Le « témoignage » répond peut-être mieux aux attentes d’une partie du public qu’un travail d’historien

Le « témoignage » ne répond-il pas, après tout, à l’échelle locale, à une attente mieux cernée qu’un travail d’historien, nécessairement un peu plus difficile à lire ? Pourtant, sur les 250 ans de la paroisse de Pénestin, c’est un ouvrage d’historien que nous a livré Alain Pérais et il répondait à une demande, celle du Recteur Stéphane M’Bula. Et il reste malgré tout agréable à lire. Bref, ce sont les questions qui se ravivent dans mon esprit, quelques jours après le décès de Pascal Métayer.

Plus tard, il a cessé de me parler. Je crois que cela a fait suite au comité de pilotage tenu en septembre 2019 sur le projet Loscolo, auquel je participais comme l’un des représentants des riverains. J’y avais vivement protesté contre diverses tromperies sur les chiffres de la part de certains ingénieurs et élus, j’y avais réclamé du Maire, M. Baudrais, la remise de documents au comité, le Maire avait promis, les documents n’ont jamais été remis et cette assez longue discussion a été purement et simplement retranchée du compte-rendu de cette réunion. J’en ai déduit qu’un projet qui a besoin que l’on mente aux intéressés pour le faire accepter ne peut pas être bon. Tout ce qui s’est produit depuis concernant ce projet m’a conforté dans cette opinion, et j’ai continué à m’exprimer à ce sujet. Je n’ai fait là qu’exercer mon rôle de citoyen.

En tous cas, c’en était trop pour Pascal Métayer, qui était profondément partisan de ce qu’on appelait au 19e siècle le parti de l’Ordre. Je ne peux pas lui en vouloir : il ressemblait en cela à mon père. Je n’ai jamais rompu avec mon père, jusqu’à sa mort. On doit pouvoir se parler même si on a des idées différentes. C’est même à cela que sert le langage. J’aurais volontiers continué à parler avec Pascal Métayer. Je pense d’ailleurs qu’il aurait su m’apporter des réponses aux questions que j’ai formulées ci-dessus, et que ces réponses auraient suscité chez moi d’autres questions. Disons qu’il a fait preuve de constance à partir du moment où il a cessé de me parler, et cela malgré une ombre que je croyais déceler dans son regard qui m’évitait, qui semblait trahir une souffrance.

Pour ma part, je lui adresse mon respect et j’adresse ma sympathie et mon soutien à ses proches.

2 commentaires sur “Pascal Métayer est mort

  1. Hommage à un homme qui m’a fait découvrir la passion de son métier et dont j’ai fait la connaissance en 1980. Malheureusement les circonstances de la vie m’ont amené à quitter la région. C’est en 2022 qu’après 42 ans, j’ai revu Pascal par l’intermédiaire d’Alain, un ami commun à l’occasion de la brocante de Vielle-Roche en Camoël organisée par ‘Pêcheur d’Islande’.
    Il m’avait invité au Bile, j’aurai aimé le revoir.

    Christian

  2. Toutes nos sincères condoléances
    Pascal était un ami que nous aimions beaucoup
    Toutes nos pensées à son épouse Monique et à ses enfants
    Titoine Jacqueline REMYZEPHIR

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