Témoignage
Je voulais écrire un article humoristique sur « les politesses de la plage ». On m’a dit que c’était mieux, que pour toucher les lecteurs, il faut que les textes soient drôles, légers, que ça coule sans efforts. Dans mon texte, il y aurait eu d’abord les hirondelles de rivage, ces artistes, ces virtuoses, qui mènent un ballet incessant, qui attrapent au vol moucherons et autres insectes et rejoignent à tire d’ailes les galeries creusées dans le haut des falaises pour nourrir leurs oisillons affamés. Avec une précision presque miraculeuse, lancées à toute allure et multipliant courbes et virages subits tout en s’évitant les unes les autres avec adresse, chacune rejoint son trou parmi la centaine qui se jouxtent parfois à quelques centimètres. Comment ? Ne me le demandez pas.
Ce que j’ai toujours trouvé drôle, c’est que malgré leur savoir-faire qui frise la perfection, il leur arrive de se tromper. On les voit alors se poser, attendre quelques secondes durant lesquelles elles adoptent une mimique interrogative – de plus près, on les verrait froncer les sourcils ou ce qui leur en tient lieu – puis elles s’excusent et repartent. Elles s’excusent ? Oui, si vous parliez oiseau, vous reconnaîtriez dans leur pépiement des phrases telles que : « Oh ! Désolée. J’ai dû faire erreur. J’en suis sincèrement navrée. Veuillez poursuivre votre conversation comme si de rien n’était. Je m’éclipse ! »
Voilà les signes d’une politesse exquise, dont les humains, à quelques mètres de là, luttant parfois pour regagner quelques arpents de sable sur leurs voisins, et baffant généreusement leurs chiens et leurs enfants, sont bien éloignés. Voilà ce que jour après jour, je vois depuis des années. Hier cependant, lorsque je descends me baigner vers 20 h 30, le spectacle est tout autre.
Devant la rangée principale de trous ponctuant les falaises de plus en plus basses à mesure qu’on progresse vers le Nord, une tribu d’humains a choisi de s’installer, le verbe haut, les bières à portée de main, les glacières bien remplies. Ils sont une douzaine, deux hommes, deux femmes, des ados et des enfants, étalés sur une ligne faisant face à la mer, à un mètre à peine de distance de la falaise où volètent les hirondelles. L’un des deux hommes est assis au centre, sur une chaise qui le rehausse par rapport aux autres. Il parle et se comporte comme un chef de tribu. L’autre vaque auprès d’enfants qui l’appellent Papi.
Elles semblent chercher le trou où les attendent leurs oisillons
Derrière eux, le vol des hirondelles attire mon attention. Elles multiplient les traversées le long de la falaise, vont jusqu’au bout de la rangée des trous et reviennent en sens inverse à plusieurs reprises. Elles semblent chercher leur trou, le seul entre mille, où les attendent leurs oisillons. Souvent en vain. Lorsqu’elle se posent, il est très rare qu’elle entrent. Elles repartent dans 80 % des cas. Et bizarrement, lorsqu’elles restent, une ou deux autres hirondelles viennent se poser autour du même trou, comme si elles se le disputaient.
Je veux être sûr de bien comprendre. J’observe à une dizaine de mètres, quitte à surprendre un peu les membres de la tribu, qui font partie de ceux ayant appris à ne pas adresser la parole à un inconnu. Ils me laissent faire, et le diagnostic se confirme : les hirondelles sont désorientées ! Elles cherchent en vain leur trou, et dans leur trou, ce sont leurs oisillons qu’elles ne parviennent plus à resituer dans l’espace. C’est un drame qui se joue là pour ces oiseaux qui ont franchi des milliers de kilomètres, depuis le Sud-Sahel, et choisi nos falaises, année après année, pour être fin prêts, dès la fin mars, afin de passer là la saison des amours, de la reproduction et de l’élevage des petits. On dit aussi que la couleur claire d’une partie de leur plumage les protège contre les rapaces. Bref, ces volatiles aussi perfectionnés que les Javelin, ces missiles antichars que nous cédons aux Ukrainiens, mais voués, eux, à la vie, font face à un brouillage de leurs systèmes de repérage, de radar peut-être bien…
Je ne suis spécialiste ni en armements, ni en ornithologie. Il faudrait faire venir la LPO (Ligue de protection des oiseaux) ou des labos universitaires pour expertiser cette situation inédite. Je crois comprendre, sous réserve de confirmation, que l’écran de bruit, de présence humaine et de mouvements divers que constitue la tribu alignée parallèlement à la série des trous dans la falaise parasite leur sens de l’orientation pourtant exceptionnel. Visuellement, cela paraît évident, même s’il faut se méfier des évidences : c’est comme si les éclats de voix et les cris d’enfants, rassemblés en une masse sonore, montaient tout droit et formaient un écran à un mètre de la falaise. (1)
Au bout d’un moment, l’une des femmes, suivant sans doute l’orientation de mon regard, se retourne vers la falaise, puis saisit comme il se doit son appareil photo. Elle montre ses photos au chef de tribu qui s’est levé. Elle grimace : les photos sont floues, les hirondelles se déplacent trop vite. Le chef de tribu opine en pensant à autre chose. Je suis tenté de m’avancer de leur dire sur un ton détaché : « C’est pittoresque, hein ? » Mais j’ai choisi de ne pas intervenir. Les dernières fois où j’ai prévenu des personnes que la falaise était fragile, qu’il ne fallait pas laisser les enfants y jouer, y ramasser de l’argile à pleines mains, je me suis heurté à des réponses mi incrédules, mi moqueuses. Les humains, lorsqu’ils sont en vacances, veulent profiter : du soleil, de la plage, de la mer. Ils veulent « consommer ». Ils ne sont pas disponibles pour qu’on leur parle de leurs responsabilités, et lorsqu’on leur adresse la parole, ils mettent d’emblée leurs neurones en ordre de bataille, quoi qu’on leur dise, avec une ligne de défense digne du Milan AC.
Posez des ganivelles et vérifiez de façon tout aussi urgente ce qu’il en est sur les autres plages !
J’ai aussi choisi de ne pas intervenir en téléphonant à la mairie, à la LPO ou aux associations pénestinoises de protection de l’environnement, pour demander que l’on installe des ganivelles et des panneaux, comme il y a deux ans où le sable se trouvait à peu près à la même hauteur, 2 m à 2 m 50 des trous creusés par les hirondelles, alors que l’an dernier, cela n’a pas été nécessaire, car les trous étaient plus élevés par rapport au sol.
C’est bien ce que je demande, pourtant, et de façon urgente : posez à nouveau des ganivelles sur la plage du Maresclé, et vérifiez de façon tout aussi urgente ce qu’il en est sur les autres plages ! Mais j’ai choisi de le faire de façon publique, à travers cet article, car c’est, je pense, l’affaire de tous. Ce n’est pas la même chose de téléphoner à un élu ou un chef de service qui préviendra un technicien dans un délai… à sa convenance. L’idéal, en l’occurrence, serait que beaucoup de personnes aillent se rendre compte par elles-mêmes de ce que je dis dans cet article, et téléphonent toutes aux organisations que j’ai mentionnées !
Les hirondelles de rivage viennent en gros de la région de Tombouctou, au Mali. Elles ont traversé des zones de guerre, échappé aux prédateurs, franchi le Sahara et la Méditerranée, et voici qu’elles se retrouvent face à des vacanciers aussi ignares que ceux qui bronzaient dernièrement à Lesbos sans voir le camp de réfugiés à quelques kilomètres d’eux.
Aujourd’hui, il va faire 32 degrés. Un article de Reporterre nous explique que la vie sexuelle des oiseaux est perturbée par le réchauffement climatique ( https://reporterre.net/La-chaleur-ruine-la-vie-sexuelle-des-oiseaux?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne ). Cela commence à bien faire ! Il vous est peut-être arrivée de recevoir une crotte d’oiseau tombée du ciel, mais eux sont bien en droit de dire que les humains commencent à les faire sérieusement chier !!
Cela se fera, bien sûr : il y aura des ganivelles cet été au Maresclé. Mais combien de jours, de semaines peut-être, faudra-t-il avant que l’on réponde à l’urgence ? Il y a deux ans, Dominique Boccarossa, conseiller d’opposition à la mairie et président de l’association Cappenvironnement, est allé en personne aux Services techniques chercher le matériel pour l’installer lui-même, avec un membre de son équipe, et seuls des panneaux d’info « de base » ont été installés par la mairie : la réalisation des panneaux pédagogiques a été confiée à une stagiaire qui ne les a jamais terminés, et personne ne lui a dit que quand on s’engage à quelque chose, on mène son travail jusqu’au bout ou on laisse la place (https://www.penestin-infos.fr/des-ganivelles-pour-les-hirondelles-enfin/ ).
Il a quand même fallu pousser à la roue
La mairie sait-elle travailler face à des urgences ? Elle a fait curer in extremis, en janvier dernier, les canalisations du tout-à-l’égout à l’autre bout de la plage, après l’effondrement de la falaise, juste avant qu’elles rompent : elles auraient causé sinon une pollution majeure de la baie et de ses milliers de bouchots. Elle a ensuite préempté une bande de terrain derrière le sentier côtier et réussi à rétablir la circulation des randonneurs sur ce sentier avant les vacances de Pâques. Bravo ! Même s’il a tout de même fallu pousser à la roue.
La semaine dernière, la police municipale a rappelé au propriétaire d’un agréable terrain arboré visible depuis la plage, le long du même sentier côtier, que le mitage qui a fait pendant plusieurs décennies le bonheur des campeurs-caravaniers (qui avaient de multiples qualités, mais dénaturaient les paysages exceptionnels qui nous entourent) était interdit depuis 1986 par la Loi Littoral, et que l’installation d’une caravane déclencherait le règlement d’une astreinte journalière jusqu’à son retrait.
Tout cela sans oublier le projet de Parc conchylicole de Loscolo dont l’eau de mer nécessaire au nettoyage des moules sera pompée, mais aussi rejetée après usage, à quelques dizaines de mètres de la même plage du Maresclé. Ce rejet des eaux après usage est sévèrement encadré par une directive européenne, ce qui fait grimper les prix du matériel à installer et des contrôles à effectuer, que l’on n’est d’ailleurs pas encore parvenu à chiffrer. Pas top pour les entrepreneurs volontaires pour s’y installer et dont le nombre a été trafiqué par Cap Atlantique ! (https://www.penestin-infos.fr/cap-atlantique-presente-les-resultats-du-questionnaire-sur-loscolo-adresse-aux-mytiliculteurs-la-methode-coue/ ) D’ailleurs, est-il vrai qu’une nouvelle entreprise, importante, aurait déclaré forfait ? Des recours ont été engagés, par Cappenvironnement, des riverains et des mytiliculteurs. L’audience, prévue il y a plus de 6 mois, a été repoussée à nouveau à deux reprises ces dernières semaines, ce qui est paraît-il inédit : le rapporteur aurait du mal à livrer sa synthèse, face au nombre et à la hauteur des intérêts en jeu. L’audience est à présent prévue pour la semaine prochaine au Tribunal administratif de Rennes : jeudi 23 juin à 9 h 30 pour être précis. [ mardi 21 juin : ce matin, le tribunal a à nouveau repoussé l’audience qui était prévue jeudi. ] Selon le jugement qui sera prononcé, les travaux pourraient reprendre avant la fin de l’été.
Vous voyez qu’une plage, ce n’est pas seulement sea, sex and sun. C’est une vigilance constante afin de lui conserver ses qualités environnementales, sanitaires, paysagères. Le grand-père est allé se chercher une bière. Il tourne le dos à la falaise, répond distraitement aux enfants, ses petits-enfants. Je bondis intérieurement : un grand-père, en principe, c’est quelqu’un qui a accumulé de l’expérience et des connaissances au long de sa vie, et qui les transmet aux plus jeunes. Excusez-moi, mais je suis à cran…
(1) Retourné sur les lieux après la publication de cet article, je retrouve ce matin les hirondelles en pleine possession de leurs moyens et constate qu’elles engagent leurs manoeuvres d’approche une bonne dizaine de mètres avant d’arriver à la falaise, tout en continuant à virer encore à plusieurs reprises. Apparemment, ce qui était en cause hier soir était moins une défaillance de leur système de “radar”, que l’incapacité où elle sont de se repérer si l’ensemble de leurs manoeuvres doivent s’effectuer dans une bande située à moins d’un mètre de la falaise. Elles doivent voler alors parallèlement à la falaise, alors que la démarche efficace consiste à l’attaquer de façon perpendiculaire.
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Merci beaucoup pour ce beau texte. On y ressent votre passion !
J’aime bien la façon animée dont tu racontes l’histoire des hirondelles de rivages. Mon époux et moi pouvons témoigner de la façon dont des gens (touristes et locaux) accueillent les recommandations de ne pas s’installer tout près de la falaise; c’était au Lomer, une famille avec des tous petits enfants y était posée, nous nous sommes permis de leur dire qu’il valait mieux s’éloigner un peu, à cause du risque d’éboulement. Ils ont mal pris notre intrusion. Une autre fois, nous nous sommes permis de dire à ceux qui descendent directement du chemin côtier à travers la falaise, le long du blockhaus, que cette habitude risquait d’aggraver la chute de la falaise à cet endroit; Là aussi, nous avons été très mal reçus. On nous a dit “Vous vous prenez pour les gendarmes” ! Désormais, nous n’intervenons plus sur ces sujets.
J’aime beaucoup cette étude d’un microcosme (une simple plage!), reflet de notre société, de nos habitudes, de nos méconnaissances… Merci Gérard !
Merci François ! C’est effectivement un microcosme. Mais le Maresclé n’est pas “une simple plage” !! C’est aux dires de certains la plus belle à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Et certains viennent de loin pour la découvrir. D’où l’importance de la protéger contre tous les aléas auxquels elle est soumise… PS. Le Goulumer, le Palandrin, Loscolo, la Source, le Loguy, le Halguen… ne sont pas mal non plus !
Merci Monsieur Gérard de nous défendre sur votre blog, on aime beaucoup ce texte. Comme tous les êtres vivants, on supporte mal d’être expropriées et en plus l’idée que nos petits puissent être écrasés par l’effondrement des galeries que nous avons eu tant de mal à creuser dans la falaise, nous fait se dresser les plumes sur la tête.
Gigi l’hirondelle