Un exil sans retour

Les routes de l’exil, Thibaut Ismail Abakar et Nicole Fouque-Sadyn, A&L livres, déc. 2023, 20 euros, 7,99 euros en édition numérique (FNAC, Amazon, Babelio…)

L’odyssée sans retour, Thibaut Ismail Abakar et Nicole Fouque-Sadyn, A&L livres, déc. 2023, 20 euros, 7,99 euros en édition numérique (FNAC, Amazon, Babelio…)

Que vaut la vie d’une femme ou d’un homme ? Dans les villages du Darfour, à l’Ouest du Soudan, la naissance d’un enfant est fêtée par tout le quartier. On mange, on boit, on danse. Puis le petit est choyé. La maman l’allaite jusqu’à 18 mois, elle l’emmène partout, retenu sur son dos par une pièce de tissu.

A 9 ans, ce même enfant court. Il se cache. Des pick-ups ont envahi le village. Des pillards, les Janjawids, abattent à bout portant ceux qui ne courent pas assez vite, ceux qui se sont mal cachés. Pourquoi ? C’est un mystère pour un enfant de cet âge, comme pour vous et moi. Plus tard, après deux, trois, quatre autres attaques, il comprendra que pour ces hommes de la steppe, la vie d’une femme ou d’un homme vaut autant que celle d’une mouche. La leur ne vaut pas beaucoup plus, d’ailleurs. 

Le Darfour est le « pays des Fours », une ethnie de quelques millions d’âmes réparties sur un territoire vaste comme la France. « Les routes de l’exil » nous en décrit les coutumes : le quotidien et les fêtes, les jeux des enfants, comment on cuisine, comment on se réunit pour construire les cases… C’est Kinang, sous la plume de Nicole Fouque-Sadyn, qui nous guide dans cet univers plein de surprises, mêlant la précision d’un ethnographe de sa propre culture et la verve d’un conteur-né.

S’il erre sans but, c’est parce que d’autres tuent sans raison

Lorsque le récit bascule dans la violence et la guerre, on est frappé par une sauvagerie que rien n’explique. On tue sans raison. Pour voler les troupeaux, au départ. Mais le prétexte est bien mince devant ces meurtres gratuits, ces violences, ces viols, ces tortures, droit sortis de l’enfer. 

Il y a des Arabes d’un côté, les Janjawids, et des Noirs de l’autre. Mais cela n’a que peu à voir avec le déferlement d’une telle violence. D’ailleurs, ils sont musulmans les uns et les autres, les Fours juste de façon un peu moins rigoureuse. Kinang, qui s’est enfui vers le Nord, renonce finalement à sa religion, constatant qu’elle exclut les exilés au lieu de les accueillir. 

Il devient un fugitif à part entière : il voyage sans but, il fuit la violence aveugle de ceux qui, lorsqu’ils ne le pourchassent pas, l’exploitent de façon insensée, le battent, le méprisent. Toujours plus loin. A Khartoum, en Libye où les conditions sont encore pires. Mais s’il revenait, on le tuerait. 

Sous le vernis d’autres histoires qui nous bercent et nous endorment

Seul son instinct de survie le pousse en avant. S’il erre sans but, c’est parce que d’autres tuent sans raison. Il n’attend rien, n’espère rien. Il n’y a pas de limites à la souffrance humaine. Pas de limites non plus à la cruauté. Pour le jeune homme, la vie est une lutte de chaque instant. Cela dure des années. Il a appris l’anglais. Il lit, lorsqu’un livre lui tombe entre les mains. C’est peut-être là qu’il trouve la force de continuer lorsqu’il voudrait mourir.

Un enchaînement de hasards le ballotte de pays en pays jusqu’en France. Il y rencontre Nicole, son père, Frédéric, bien d’autres. Il apprend. Il lit, écoute, partage. Puis l’idée de raconter prend forme, avec l’aide de Nicole, ancienne professeur de Lettres. De tous temps, les voyageurs ont raconté des histoires. Des histoires de pays lointains. Des histoires qui prodiguent du sens à un monde qui n’en a guère. 

Font-elles écho, ces histoires, au monde qui nous est familier ? Non ! Elles viennent se joindre à d’autres, déjà là, cachées sous un vernis de récits mièvres qui nous bercent et nous endorment. Elles sont à dormir debout, à faire se dresser les cheveux sur nos têtes. Elles disent ce que le monde – le nôtre y compris – a toujours été. Et que, selon toute probabilité, il redeviendra. 

Nicole et Frédéric Fouque vivent à Pénestin. La guerre se poursuit avec la même cruauté au Soudan. Elle s’est étendue désormais à tout le pays.

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