Voici un nouveau polar dont l’action se déroule à Pénestin. Son titre : « La mort s’invite à Kerandré ». Il est disponible au Tabac-Presse de la rue de l’Église. L’auteure, Isabelle Piquelin, connaît Pénestin depuis de longues années.
Dès sa sortie, je suis très curieux de voir ce que réserve ce troisième polar situé dans notre commune (1). Ma première impression n’est pas bonne. L’extrait de quelques lignes destiné à présenter l’ouvrage contient une phrase qui, pour moi, ne passe pas :
« Devant moi, le grand large derrière les parcs à moules. »
C’est bizarre, vous ne trouvez pas ? « Devant » et « derrière » dans une même phrase… Ce qui est devant moi se trouve derrière autre chose. L’auteure choisit un point de repère : « moi », puis elle en change au milieu de la phrase : « les parcs à moules ». Et ceux-ci “regardent” dans la direction opposée. Vous me direz que ce n’est pas très grave. Non, bien sûr, ce n’est pas grave. S’il y a une « faute », elle ne relève pas de la grammaire. Plutôt, disons, de la logique, ou même, pour être plus précis, de la cohérence. Les éléments de la phrase sont ordonnés selon un référentiel spatial, et pour le respecter, on pourrait écrire, par exemple :
« Devant moi, le grand large au-delà des parcs à moules. »
Pas très joli non plus, pas vrai ? Et je commence à vous énerver… Pour moi, c’est là que le travail débute vraiment. Faut-il couper la phrase en deux, inverser ses deux parties, ajouter un verbe ? Le début est beau. Il est visuel, il parle à l’imagination du lecteur : « Devant moi, le grand large. » Comment poursuivre en faisant en sorte que la phrase coule toute seule, sans aspérités ? Ou au contraire, comment créer des aspérités délibérées ? On aime ou on n’aime pas jouer avec les mots. Ou bien on considère que cela dépend des types de textes. Certains mériteraient plus de soin que d’autres. Le polar ne serait qu’un sous-genre, après tout. Pour certains. Perso, j’aime bien cette idée du “soin” apporté à un texte, comme une sorte de bienveillance, de “care”, dirait un politiste.
L’auteure aime l’écriture et les mots
J’écris tout cela au risque de saborder cette critique. Une demi-page pour commenter une phrase de 10 mots : on me l’a déjà reproché. Mais 1) je crois que l’auteure, Isabelle Piquelin, aime l’écriture et les mots, et 2) je crois qu’on est au coeur du sujet, et je m’ennuierais si j’écrivais autre chose.
Alors faisons simple : si vous vous fichez du style et voulez juste savoir si ce polar va vous divertir, je vous rassure. Achetez-le, offrez-le. L’intrigue est bien menée, il y a du suspense, et les chances sont minimes que vous découvriez l’assassin avant le dénouement. C’est juste un peu cher : 16,90 euros.
Pour les autres, eh bien, commençons par dire que ce bouquin ne se contente pas d’être un polar. La protagoniste lutte contre une phobie grave et elle est assez attachante. Heureusement, d’ailleurs, car ses réflexions et ses états d’âme occupent autant de place que l’intrigue policière. Et le commissaire n’est pas en reste, confronté à ses problèmes personnels concernant les femmes et un garçonnet de 5 ans.
Il y a de belles pages, parfois plusieurs pages d’affilée, bien écrites, stylées, originales, même. Comme ces phrases, par moments, qui accumulent 6 ou 7 verbes à la suite. Un effet de style qui appartient en propre à l’auteure et qui nourrit la certitude qu’elle a un potentiel, que d’autres écrits suivront, de plus en plus convaincants. Mais il y a régulièrement d’autres phrases où l’on se dit : quand même, elle pousse, elle exagère. Un exemple : le fiston du flic dit « c’est trop bien ». Cela amuse son papa. Cela amuse l’auteure aussi. Faut-il qu’elle insiste à ce point ? 10 fois, peut-être en deux pages… Une amie qui a lu le livre en même temps que moi me dit qu’il est « en dents de scie ».
Revenons sur ma question de départ : que dit Isabelle Piquelin sur Pénestin ? Et de quels quartiers parle-t-elle, pour commencer ?
Les quartiers de Pénestin
– Kerandré, la plage. C’est le lieu de plusieurs événements, le point central où l’on revient. Isabelle nous parle des pêcheurs qui se garent au bord de la route à marée basse, et surtout de la mer. Elle a de belles expressions pour décrire la plage, les arbres sur la gauche, la mer qui recule très loin à marée basse.
– Kerandré, le hameau. A part la maison qu’elle y loue, Isabelle Piquelin ne dit rien du hameau, de la route qui zigzague entre les maisons fleuries, des paysages qui l’entourent, de l’école de langues « Keskeussè » très fréquentée en été par de jeunes Allemands, du fournil de Jean-Marc Bonavoir, encore en activité à l’époque où elle situe les faits. Le hameau de Kerandré est un site exceptionnel, je l’ai aimé dès le premier coup d’oeil et je suis un peu triste qu’elle ne lui rende pas justice.
– La Mine d’Or. L’allée qui descend à la plage, le promontoire, la plage en été, les deux Demoiselles, la falaise dorée. Rien à redire, la principale attraction touristique de Pénestin est aussi présente que sur les dépliants touristiques.
– La plage de la Source. Il y aurait beaucoup plus à dire que trois mots sur les parapentes, à propos de cette plage qui prolonge celle de la Mine d’Or en direction du Lomer et de la Vilaine. La végétation qui recouvre les falaises encore hautes et laisse apparaître les traces de l’embouchure d’un fleuve archaïque, peut-être la Proto-Loire. Ses deux sorties lointaines, à la limite de la Mine d’Or et à celle du Lomer, qui donnent à certains l’impression d’être enfermés, séquestrés, sur cette plage où les vagues sont parfois violentes. Une amie en fait, depuis son enfance, un rêve récurrent.
– Tréhiguier. Quelques mots trop rapides, pour un port en Vilaine dont le caractère, la vie, justifieraient un volume à eux tout seuls.
– Le centre-bourg et son marché du dimanche (et du mercredi). La variété des étals, la foule estivale où l’on peine à se frayer un chemin, les terrasses des cafés. Enfin une description ! Cela pourrait se trouver n’importe où, me direz-vous, d’où peut-être l’insistance sur un élément de couleur locale : les kouign amann. Faut-il pour autant parler de « kouign amann à perte de vue », qui ne correspondent à aucune réalité sur le marché de Pénestin ? Pourquoi Isabelle ne s’est-elle pas munie d’un carnet, comme Zola lorsqu’il préparait Le Ventre de Paris (ou pourquoi n’a-t-elle pas activé la fonction « dictaphone » de son portable ?), où elle aurait listé ce qui est local accompagné de quelques éléments de description ?
Pourquoi ne pas dire la vérité sur les personnages ?
J’en viens aux personnages, peu nombreux. Les gendarmes, installés dans une gendarmerie qui n’existe pas. Pourquoi ne pas dire la vérité : un policier municipal toute l’année et deux autres en renfort l’été, dans leur local exigu donnant sur la cour de la mairie ; la Réserve Civile ; les patrouilles des gendarmeries de Nivillac et Muzillac en été ; les pompiers volontaires et les Sauveteurs en mer. Cela supposerait que l’auteure « enquête » dans le village au lieu de vouloir tout réinventer.
Le médecin et sa secrétaire. Voilà qui pose un autre problème, d’autant plus que cette dernière se fait assassiner (désolé pour cette révélation mineure). Mieux vaut en tous cas, me semble-t-il, qu’ils ne soient pas ressemblants. Mais ne fallait-il pas les rencontrer, afin de nourrir le bouquin de quelques liens avec la réalité ?
Lorsqu’une fiction met en scène des personnages réels, on s’attend à ce qu’elle leur conserve une part de leur réalité. Cela fait partie du « pacte de lecture ». Un autre polar, il y a 3 ans, faisait parcourir à cheval par son héroïne tout le sentier côtier depuis le Bile jusqu’à Poudrantais, ce qui est à la fois interdit et impossible (!) Interrogé par mes soins, l’auteur avait répondu qu’il avait juste suivi son inspiration. Non, je ne suis pas d’accord !
Pour ma part, j’ai imaginé il y a quelques années l’irruption d’un sous-marin russe en baie de Vilaine. Une amie m’a aussitôt demandé si je m’étais renseigné sur la profondeur de l’eau à cet endroit et si cela correspondait à la profondeur minimale nécessaire à sa circulation. Bien sûr ! On peut faire tout réaliser à un sous-marin russe dans une fiction, à la seule condition que cela corresponde à ses caractéristiques physiques. Evidemment, cela aussi se discute : on pourrait imaginer un sous-marin qui fait des bonds hors de l’eau. C’est une conception où l’imagination de l’auteur se trouve affranchie de toute règle. Une imagination désincarnée et irresponsable qui ne se reconnaît ni contexte, ni volonté d’agir sur celui-ci.
Bizarrement, dans ce polar comme dans d’autres ouvrages de fiction, Pénestin n’accède pas au statut de véritable sujet. Seuls quelques livres d’histoire lui sauvent la mise. Pourtant, nous aurions tellement besoin de fictions qui traiteraient à leur juste valeur la nature hors du commun qui entoure notre village et sa population qui réserve tant de surprises. Isabelle Piquelin répondra que ce n’est pas son affaire : elle a ses propres histoires à raconter, la phobie, etc.
Finalement, on a l’impression que Pénestin n’est pour elle qu’un décor. Ou pire, un prétexte. Pourtant, elle connaît le village et y est attachée. Cela me fait penser aux séries télévisées à la française qui usent de tant d’artifices pour « faire réel ». Pourquoi ne pas tenter de saisir le réel là où il se trouve ? Pourquoi ne pas vouloir comprendre que dans une fiction, il y a un rapport à la vérité qui en fait un outil de connaissance, de compréhension, souvent plus attentif aux gens et aux faits que ne l’est déjà le reportage ?
(1) Yannick Loisel, Pénestin… Meurtres 5 étoiles, Ed. Ouest et Cie, avril 2021, 10 euros (http://www.penestin-infos.fr/penestin-en-noir/ )
Thierry Colombié, Les algues assassines, Polar Vert, Ed. Milan pour la jeunesse, août 2021, 14,90 euros(http://www.penestin-infos.fr/penestin-en-vert-sombre/ )
Je cite Wikipédia:
“Le texte romanesque est un récit de taille très variable mais assez long, aujourd’hui en prose, qui a pour objet la relation de situations et de faits présentés comme relevant de l’invention, même si l’auteur recherche souvent un effet de réel”
L’auteur n’a pas à se faire pardonner son imagination qui est le propre de l’écrivain et je pourrai comprendre une réaction de sa part car cela manque de courtoisie oubien il y a un autre mystère que nous ignorons.
Je n’ai pas répondu à ce commentaire lorsqu’il a été posté il y a trois jours, espérant que d’autres embraieraient et qu’un débat se développerait. Entre temps, j’ai fait quelques modifs sur mon article, et j’ai entre autres ajouté l’idée que l’imagination de l’auteur ne devrait être ni désincarnée, ni irresponsable. Elle s’inscrit dans un contexte et cherche à agir sur lui. Si vous écrivez une nouvelle ou un roman, vous vous souvenez qu’avant vous, il y a eu Homère, et puis Dante, Flaubert, Dostoïevski… Pour les post-modernes, “tout a déjà été dit”, on ne peut plus rien inventer. Mais eux-mêmes sont déjà emportés par le flot de l’histoire de la littérature. Si, on peut encore inventer ! Mais pas dans l’ignorance de ce qui nous a précédés, de ce qui nous entoure aujourd’hui, pas dans l’absence de tout projet face au monde qui court à sa perte.
Dans les années 1920, Buñuel, proche des Surréalistes, voulait à travers ses films choquer les bourgeois et ébranler leurs certitudes. Rappelez-vous le Chien andalou et l’Age d’or, coécrits avec Salvador Dali. Ils étaient persuadés que l’imagination pouvait changer le monde. Ils n’ont rien pu faire pour empêcher la guerre d’Espagne, ni la Seconde guerre mondiale : les mots et les images sont bien peu de choses. Mais que serions-nous sans ce projet dénommé “culture” et qui, dans toute la tradition occidentale, valorise la nuance, le débat, l’ouverture à l’autre ? L’imagination, l’invention, ne sont pas des exercices à pratiquer en chambre, dans sa tête, et en se protégeant du réel. Ils sont au contraire les moyens dont nous disposons pour affronter ce réel et lutter pour le changer.
Quant à la courtoisie, cher Monsieur (ou Madame), pourquoi ne pas débattre sereinement, s’intéresser aux différences, les écouter, échanger, plutôt que d’interpréter le moindre désaccord en termes de rapports de forces et de brandir des invectives ?
Faire la critique d’un livre ou d’un film est un exercice difficile. Certains vont trop loin dans la facilité et le manque de respect face à ceux qui ont bossé et mis une grande part d’eux-mêmes dans une oeuvre. D’autres ne sont que miel et renoncent à soumettre l’oeuvre au débat et à la critique. Parmi ceux qui créent, certains n’appréhendent les critiques qu’en faisant le décompte des éléments qui leur sont favorables et de ceux qu’ils jugent négatifs. Ils renoncent à apprendre à partir des réflexions d’un autre qu’eux-mêmes, ils se placent d’emblée en position défensive. Ils ne veulent pas faire l’effort de développer leur savoir ou leur savoir-faire de la façon la plus subtile, mais aussi la plus efficace qui soit : à partir de leurs erreurs.