Vous avez été à ce jour environ 1200 à lire l’article sur les Voeux du maire que j’ai publié il y a un mois. Cela laisse supposer qu’il existe un certain intérêt pour la présence d’une voix indépendante sur notre commune.
Aujourd’hui, je vais soumettre à votre sagacité quelques réflexions qui me tourmentent, je n’hésite pas à le dire.
Être « constructif »…
Quelques personnes avec qui j’ai parlé ces jours-ci m’ont dit que j’y étais « allé fort » dans l’article sur les Voeux. Certains m’ont trouvé polémique, d’autres non… Le sous-entendu, chez beaucoup, est que la critique est justifiée à condition d’être « constructive ». Hier, un ami me disait qu’en réalité, toute critique est constructive, car elle permet à celui qui la subit de réfléchir et de s’améliorer (s’il en a la capacité, bien entendu). Et d’ailleurs, que diriez-vous d’un prof qui renoncerait à critiquer ses élèves ? Qu’apprendraient ceux-ci si leurs copies leur étaient rendues sans commentaires et avec de bonnes notes ? Un de ces jours, la prise de conscience risquerait d’être douloureuse…
Mais en politique, on n’aime pas beaucoup le ton professoral, voire donneur de leçons. On n’aime pas toujours non plus le ton journalistique. Mon article sur les Voeux abordait 6 ou 7 thèmes et faisait ressortir la prépondérance des non-dits sur les dits dans le discours du maire. Dans mon esprit, il s’agissait d’un fil conducteur permettant de rétablir des vérités qui étaient occultées dans ce discours. Mais je sais que quand on accumule des points négatifs les uns à la suite des autres, cela donne une impression d’acharnement. L’exposé apparaît comme étant « à charge ».
Il existe une solution : j’aurais pu utiliser un artifice classique en journalisme, le principe d’impartialité. Une sorte de« moit-moit ». Faire place à deux sons de cloche différents. C’est d’ailleurs ce qu’on retrouve souvent dans les articles de Ouest-France et de la presse régionale d’une façon générale, avec une prime à celui qui est cité en dernier, qui« conclut » en quelque sorte. Et plus largement, à celui qu’avantagent le titre et les intertitres, dont le point de vue est exposé avec ses propres mots, dont les paroles sont rapportées entre guillemets (réécrites, souvent, si c’est mal formulé, ou sinon ben je te le laisse tel quel, tant pis pour ta pomme !), sans compter le choix de la photo et le guide de lecture qui représente la légende de cette photo. C’est tout un art ! Comment « ne pas nuire » à un institutionnel et garder de bonnes relations avec lui, sans paraître le soutenir trop explicitement…
L’honnêteté contre l’impartialité
Saviez-vous que c’est le type de question qui a fait exploser le journalisme aux Etats-Unis dans les années 1960 ? L’époque des marches pour les droits civiques et des mouvements de protestation contre la guerre du Vietnam. Comment rester impartial ? Comment donner le même accès à la parole à ceux qui se font arrêter, mutiler, voire assassiner, et aux gouvernants ? Seuls ces derniers sont en capacité de fournir une version construite, argumentée et crédible, « il a fallu donner l’ordre de tirer, nous n’avions pas le choix »… Certains journalistes, à Time Magazine par exemple, défendaient l’honnêteté, la « fairness », contre l’impartialité. D’autres, Norman Mailer, Tom Wolfe, Truman Capote, Joan Didion, sont allés au bout de la démarche et ont créé le « New Journalism » : on s’immerge sur les champs de bataille ou les campus universitaires en ébullition, on enquête, on collecte les faits en faisant usage de ses sens, par définition subjectifs, on les analyse, on les recoupe, on les met en perspective, puis on témoigne. On ne cherche pas l’équilibre, mais la vérité, même si ce n’est qu’une vérité partielle.
On en arrive même parfois à accepter d’être partial. Faut-il aujourd’hui mettre sur le même plan un président américain qui prétend, lors de sa campagne, que dans une petite ville des Etats-Unis, les migrants volent les chiens et les chats pour les manger, et le maire de cette même ville qui répond qu’il s’agit d’un fake ? Un vrai reportage va établir les faits dans leur « vérité », établir que le futur président a menti, analyser la stratégie de celui-ci, s’interroger sur la crédulité de ses partisans.
Le même principe s’applique, je pense, lorsqu’on traite des sujets de politique locale. Si un maire ment par omission plusieurs fois de suite dans un même discours, que faut-il faire ? Le dire de façon neutre et essayer d’équilibrer en citant d’autres exemples où il a dit des choses vraies, en ajoutant le cas échéant un petit compliment ? Certains trouveront cela objectif, mais c’est aussi ce qu’on appelle « un robinet d’eau tiède » ! C’est facile à expliquer : on appelle « information »un fait qui déroge à la norme. Un train qui arrive à l’heure n’est pas une information. Mais il n’y a pas que les accidents et les retards : une innovation positive concernant ce train est une information. Tout cela est expliqué dans les manuels de journalisme.
Plus qu’une mission, c’est un devoir de dénoncer les entraves à la démocratie
Par ailleurs, la mission du journaliste consiste à éclairer les citoyens, afin qu’ils soient pleinement citoyens. S’il se produit un événement « anormal » quelque part – accident, mensonge, injustice, mauvais fonctionnement… -, il faut en rechercher la cause (et parfois les responsables) pour pouvoir l’exposer aux citoyens qui se feront leur opinion sur le sujet. Si l’événement, par exemple le recours au mensonge par omission, se répète plusieurs fois dans des discours ou des écrits, cela finit par représenter une entrave au bon fonctionnement de la démocratie, une véritable « anomalie », et dès lors, c’est plus qu’une mission, c’est un devoir pour le journaliste de le dire et de l’analyser dans la mesure du possible. Evidemment, certains préfèreraient l’eau tiède.
Le problème est que tout cela, c’est négatif. Donc, pas constructif, du moins en apparence. Ceux qui préfèreraient « un journal des bonnes nouvelles » ont aussi de bonnes raisons pour cela. Des raisons souvent psychologiques, il me semble. On pourrait leur rétorquer qu’à force de ne pas vouloir regarder le négatif en face d’eux, on va déboucher sur des catastrophes sans les avoir vues venir : guerre, inondations ou incendies liés au réchauffement climatique, transformation de la démocratie en régime autoritaire… Mais il faut le leur dire gentiment, sans trop les effrayer. Pas si simple, en fin de compte.
En fait, plus l’équipe en place dans une collectivité locale a de défauts (manque de compétence, manque de consultation, recours abusif aux agences, mauvaise gestion, etc.), plus il s’avère difficile de rendre compte de son action : le lecteur aura l’impression que les articles sont systématiquement négatifs… parce que les sujets qu’ils traitent sont eux-mêmes négatifs. C’est comme si vous rendiez le thermomètre responsable du fait qu’il fait trop chaud ou trop froid ! Que faire ?
Je vous soumets pour conclure deux réflexions basées sur l’expérience.
1) Il ne faut pas écrire pour se faire plaisir et pour partager ses préjugés et ses présupposés avec un public acquis d’avance. Il faut écrire pour ceux avec qui on n’est pas d’accord et se demander en écrivant comment ceux-ci vont comprendre et ressentir vos propos.
2) Cela n’apporte rien de bon de haïr ceux avec qui on est en désaccord. On peut haïr certaines idées, on peut s’énerver devant des maladresses ou des comportements obtus, mais si on veut comprendre ceux à qui on en est venus à s’opposer, il est recommandé d’avoir un minimum d’empathie à leur égard.
J’aurais encore beaucoup de choses à ajouter. J’y reviendrai. Vos commentaires m’aideront peut-être à clarifier mes idées !
Bonjour,
De mon point de vue, on peut écrire pour se faire plaisir tout en exprimant ses désaccords, ce n’est pas opposable 🤷🏻♀️.
Je partage complètement la réflexion sur la haine et l’empathie.
Bonne et belle☀️ journée
Anne GUILLERME