Je publie ci-dessous une contribution que j’envisage de poster sur le site du Débat National. Il s’agit donc par définition d’un texte d’opinion où je m’exprime avec une casquette différente de celle que je porte habituellement quand j’écris des articles qui s’efforcent au contraire de répondre à des normes d’impartialité.
Pourquoi la publier et pourquoi ici ? La première raison est qu’en adressant des contributions au site internet du Débat National, on renonce à la dimension locale qui a une valeur essentielle, me semble-t-il, pour ce type de discussion. Reporter ce texte sur le « Cahier de propositions » proposé par la mairie de Pénestin ne permet pas non plus d’engager un débat. Quant aux débats publics annoncés par la mairie, ils n’offrent pas de garantie suffisante, au vu de l’expérience passée, concernant l’obtention d’un compte rendu exhaustif et équitable (cf. article du 17.12.2018 sous l’intertitre “jamais trop tard pour bien faire”).
Ce blog permet de publier des contributions et de les rendre accessibles au public local. Il permet aussi bien entendu de publier des commentaires à leur propos et d’amorcer ainsi un débat. J’ai fait le nécessaire pour que les nom et adresse des auteurs de commentaires n’apparaissent plus (cf. page « Contacts »), ce qui garantit l’anonymat qui est, pour beaucoup d’habitants, la condition de leur participation.
Si vous avez aussi des choses à dire et souhaitez qu’elles fassent l’objet d’une discussion, n’hésitez pas à me proposer vos contributions sur différents sujets. Je m’engage à les publier (après modération le cas échéant), puis à les faire suivre si vous le souhaitez et lorsqu’elles auront été enrichies par les commentaires d’autres personnes, au site internet du Débat National.
La contribution ci-dessous se rattache, comme les propositions d’UFC – Que choisir (cf. article du 4.2) au thème du pouvoir d’achat, qui ne fait malheureusement pas partie des 4 thèmes proposés dans le cadre du Débat National officiel, mais dont l’importance est telle qu’il sera certainement rajouté au moment des conclusions. L’argent ne fait pas le bonheur, comme on le sait – et l’on peut réfléchir aux possibilités de satisfaire des besoins et des envies dans notre société sans passer nécessairement par les échanges marchands -, mais le manque d’argent impacte de façon évidente le bien-être des personnes.
Le thème du pouvoir d’achat peut être abordé sous l’angle des salaires et des pensions, sous celui des taxes et des impôts, ou du point de vue de la justice sociale et de la redistribution.
D’autres ponctions effectuées sur le pouvoir d’achat
Mais de façon moins classique, il faudrait considérer d’autres ponctions effectuées sur le pouvoir d’achat des personnes et qui ont acquis dans notre société un caractère massif. Il s’agit d’un ensemble de techniques qui ont pour but d’amener les consommateurs à dépenser plus qu’ils n’en avaient l’intention au départ, ou que ne l’exigent leurs besoins réels. Ces techniques relèvent pour une large part du marketing. Dans un premier temps, on peut se concentrer sur leur utilisation par les enseignes de la grande distribution.
Que celui qui souhaite faire une étude de marché avant d’ouvrir un petit commerce ou un restaurant se rassure. Il est dans son droit le plus strict : il collecte des informations et il les analyse afin d’adapter son action au contexte et de limiter les risques de son entreprise. En revanche, lorsqu’une grande surface règle le niveau et la nature de la musique en vue d’anesthésier l’esprit critique de ses clients, lorsqu’elle vaporise un parfum pour les conditionner, lorsqu’elle choisit d’éclairer faiblement les étiquettes de prix et de les tourner vers le bas (réponse d’une hôtesse de caisse : “C’est la politique de la maison”), lorsqu’elle propose des promotions incompréhensibles qui induisent les clients en erreur, il ne s’agit plus d’information, mais de manipulation. Certaines de ces manipulations sont naïves et existent de longue date. D’autres au contraire sont très sophistiquées et s’appuient sur les derniers résultats du marketing digital ou de l’analyse extensive de données.
Une action menée à l’insu de l’autre personne
Qu’est-ce qu’une manipulation ? Ce terme a un sens précis. On parle de manipulation lorsqu’on exerce une action d’influence sur une autre personne en vue de lui faire faire quelque chose, et de telle façon que cette action ne réussit que dans le cas où elle est menée à l’insu de l’autre personne.
Un exemple : combien de personnes parmi les plus bas revenus se laissent convaincre d’acheter des plats cuisinés ou des gâteaux d’apéritifs inutilement chers plutôt que des légumes et des fruits de saison ? Ou encore, combien dépensent en tabac une part non négligeable de leurs revenus limités au détriment des sorties, des vacances, ou même des activités de leurs enfants ?
Les a-t-on convaincus avec des arguments rationnels que les plats cuisinés et le tabac étaient bons pour eux ? C’est peu probable. Les plats cuisinés et les gâteaux d’apéritifs contiennent par exemple des ajouts de sel et de sucre destinés à flatter le goût des consommateurs, mais qui sont à l’évidence nocifs lorsqu’ils sont absorbés en trop grande quantité. Les cigarettes contiennent une centaine de produits dont l’ammoniac et l’arsenic, destinés à créer une dépendance, une accoutumance (c’est le socle matériel et efficace d’une politique marketing de « fidélisation » !), et les industriels ne se soucient guère de leurs effets sur la santé des fumeurs.
Dans d’autres domaines, on pourra observer les stratégies d’obsolescence programmée sur des produits relevant de la bureautique ou de l’électroménager : là encore, il s’agit de faire dépenser plus par des moyens qui restent cachés à la conscience des consommateurs. Cela correspond bien à la définition de la « manipulation ». On pourrait multiplier les exemples, mais il s’agit là de sujets assez bien connus et que des émissions de télévision comme « Cash Investigation » ou des magazines comme « 60 millions de consommateurs » s’efforcent de vulgariser. N’hésitez pas en tous cas à proposer d’autres exemples dans les commentaires pour enrichir cette présentation.
A la fois victimes et bourreaux
Ces techniques sont profondément immorales, et on peut s’étonner que le marketing représente une voie d’études et un débouché professionnel qui attirent autant de jeunes. Ils sont probablement sensibles à une certaine dimension humaine, à travers l’étude du comportement des utilisateurs, associée avec l’usage de technologies et la perspective d’un résultat mesurable de son action. Peut-être certains jeunes sont-ils même tentés par la sensation de puissance que procure l’action manipulatoire qu’ils exerceront lorsqu’ils seront devenus professionnels. On sait cependant que beaucoup d’entre eux exerceront à des postes peu valorisants et mal rémunérés, et qu’ils seront, comme c’est souvent le cas, à la fois victimes et bourreaux.
Dommage que l’on ne pense pas à investir cet intérêt pour la dimension humaine de la consommation dans des fonctions (à inventer…) visant à rapprocher les produits de consommation ou les commerces en général des réels besoins des consommateurs. Ce doit être passionnant de travailler, dans l’agroalimentaire par exemple, sur les problèmes complexes que pose l’adaptation des produits aux multiples contraintes de conception d’une nourriture satisfaisante pour la santé, satisfaisante pour l’environnement, satisfaisante pour le goût, tout en respectant une limite de prix et en se conformant aux besoins de la logistique, de la chaine du froid, de la conservation, et de bien d’autres paramètres encore. Voilà sans aucun doute de quoi occuper utilement de jeunes diplômés brillants. L’étude des comportements des consommateurs, quant à elle, aurait toujours sa place, mais à leur service, dans le but de leur offrir une satisfaction maximale et d’épouser au mieux leur contexte de vie, leurs contraintes et leurs aspirations.
Travailler sur la clarté et la lisibilité
Même chose pour toutes les dimensions associée à la vente. Plutôt que de soumettre l’étiquetage, par exemple, à la seule rentabilité, en lui fixant un objectif de promotion, de séduction et de différenciation, ne serait-il pas aussi intéressant de travailler sur la clarté et la lisibilité, auxquelles viendrait s’adjoindre la recherche de créativité et la valeur artistique ?
S’agissant des lieux de vente eux-mêmes, les « grandes surfaces », conçues aujourd’hui pour obliger les acheteurs à effectuer un parcours qui les soumet au plus grand nombre possible de stimulations et de tentations, on pourrait imaginer de reprendre la question du point de vue du confort des usagers, de la qualité de leur information, ou encore de la réduction du stress souvent associé aux courses, par exemple en améliorant les solutions proposées pour occuper les enfants ou en proposant des espaces de détente.
Un ami aveugle, pourtant très adroit dans l’utilisation de sa canne pour anticiper les obstacles, s’est récemment cogné la tête contre un pilier placé au milieu d’une allée dans le Carrefour Market de Pénestin. Réaliser un diagnostic en fonction des différents types de handicaps est souvent une façon de revisiter l’aménagement d’un lieu ouvert au public et d’en améliorer la signalétique, les parcours ou même l’esthétique d’une façon qui profite largement aux personnes « valides » !
Changer réellement la vie des gens
Dès que l’on réfléchit à ce type de questions, on est vite en mesure de faire une multitude de propositions susceptibles de changer réellement la vie des gens. Pourquoi les enseignes de la grande distribution ne créeraient-elles pas des sortes de commissions mixtes associant les clients et les employés ? Ces commissions deviendraient une force de propositions afin de suggérer des solutions face aux multiples travers du secteur, tels que l’abus du plastique, les emballages contenant eux-mêmes des emballages de portions individuelles, l’information sur les produits, celle sur les prix, la qualité esthétique des décors, le choix des musiques, etc.
Tout cela n’a rien d’une utopie. Transformer l’approche marketing, manipulatoire et orientée vers le profit, en une approche cherchant à conjuguer l’humain et la technologie, mise au service des consommateurs plutôt que d’intermédiaires qui ne se soucient ni de santé, ni d’environnement, ni de goût, ni bien sûr de l’intérêt financier des clients : voilà un vaste chantier dans lequel n’hésiteraient sans doute pas à s’investir les jeunes diplômés, les employés de la grande distribution, et beaucoup de citoyens soucieux d’exercer une action concrète sur leur cadre de vie.
Votre analyse est, si je l’ai bien comprise, proche de la mienne. Pour moi, le marketing est l’ennemi numéro un de la liberté.
Peut-on penser qu’un changement dans l’attitude des consommateurs, une éventuelle prise de conscience, des modifications dans la réglementation de notre pays changeront quelque chose ?
Non. Pour une raison extrêmement simple que je vais essayer d’exposer.
Qui fait du marketing ? Les multinationales.
Qui peut combattre le pouvoir des multinationales ?
Certainement pas les clients qui font leurs courses au supermarché le samedi et lisent avec avidité le prospectus des promotions. Ou bien profitent du faux gratuit qui règne sur internet.
Alors est-ce à l’échelon des états qu’on peut combattre le pouvoir des multinationales ? Ça dépend desquels. Les USA, la Chine, sans doute, du fait de leur puissance économique. La France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne certainement pas. Et encore moins les pays moins développés.
Pourquoi ? Parce qu’on a changé d’échelle au cours du 20ième siècle. LES MULTINATIONALES SONT PLUS PUISSANTES QUE LA PLUPART DES ÉTATS. Est-il besoin de le démontrer ?
Et dans ce cas, pourquoi demander à un petit état comme le notre de légiférer contre Ryan Air, Microsoft, Intermarché etc. alors qu’on sait que c’est largement inutile car ces marques vont se replier dans d’autres pays ce qui va nous faire mal économiquement ?
La seule solution consiste à ajuster au changement d’échelle le contre-pouvoir aux multinationales. Et donc à fusionner les nations pour leur donner une taille critique leur permettant de combattre à armes égales.
Les pays de l’Europe de l’ouest par exemple, en attendant plus. Qu’aurait-on à craindre – par exemple – d’une fusion de l’Allemagne, de la France, de la Belgique et de la Hollande ? Rien – et certainement pas une perte d’identité, car c’est au niveau régional que subsistent en grande partie ces identités. Mais en revanche, tout à gagner, et en particulier, une véritable autorité à opposer à tous ceux qui veulent “acheter le temps de cerveau humain disponible”.
Bravo pour cet article qui est un sujet central. Ce serait aussi intéressant de s’interroger sur le sens des mots “consommateurs”, et “pouvoir d’achat”.