Grand débat national : Pénestin méritait mieux que cela !

18 heures, le maire semble inquiet : la grande salle du complexe Petit Breton où ont été installées 12 tables de 8, avec de grandes feuilles, des photocopies et des stylos, est encore quasiment vide. Puis les participants arrivent, peu à peu. Ils sont finalement 35 et occupent 5 tables. L’animateur, Roland Le Sauce, président du conseil de développement du pays d’Auray, expose les règles : « la parole est libre et elle doit circuler. Vous êtes des experts d’usage de votre territoire. » Vous aurez reconnu le vocabulaire de base de la démocratie participative recyclé ici pour le meilleur et pour le pire.

« On va procéder en deux temps : d’abord le travail de groupe aux différentes tables pout formuler des propositions sur les deux thèmes du jour, la fiscalité et la transition écologique. » Le questionnaire disponible sur les tables n’est qu’un outil d’aide, on peut ajouter des questions. « Puis on procèdera à leur validation par l’ensemble de la salle, et on s’efforcera de les prioriser. »

Pour, contre, blanc

Pendant une heure et 15 minutes, les Pénestinois triment. Ils réfléchissent, discutent, notent. Dans ces moments-là, le moindre mot acquiert une importance démesurée. Une distinction, une image : des gens qui parfois ne se connaissaient pas débattent comme si leur vie en dépendait. Puis on remet les feuilles à une dame souriante, Gaëlle Roche, salariée de l’association alréenne, qui entre les questions dans un logiciel. Il y en aura finalement 70 qui apparaissent chacune sur une fiche laissant 3 options : pour, contre, blanc. Une 4e option consiste à ne pas voter.

Roland Le Sauce distribue des boitiers qui vont permettre à chacun d’exprimer son opinion sur les différentes propositions. C’est à peu près à ce moment-là que les animateurs commencent à perdre pied. Certains boitiers fonctionnent mal, on demande à reformuler les questions, parfois même on s’aperçoit qu’il y a deux questions en une. « Si on est pour l’une et pas pour l’autre, on ne peut pas voter ? » Certains se font insistants : « Pourquoi vous ne corrigez pas ? » En fait, explique Gaëlle qui ne se départit pas de son sourire, « il faudrait sortir du logiciel. Mais on fera toutes les corrections ensuite. »

Cette jeune femme, qui écrit « service publique », ou encore « les français » sans majuscules, est visiblement dépassée par la tâche ardue de formuler et de classer en un temps limité les questions des participants. Certaines questions, sur les niches fiscales ou sur la décentralisation des services publics, reviennent jusqu’à 4 fois. Parfois, elle n’a simplement pas compris la proposition et écrit « diversifier les services publics » alors qu’il s’agissait de les « densifier ».

Un art consommé de la tautologie

Roland Le Sauce tempère : « C’est la première fois qu’on fait l’exercice en direct. » « La prochaine fois, indiquez au moins le thème avec les questions », lui conseille un participant. « Oui, on a fait vite. On a mélangé un peu toutes les questions et je les ai prises au fur et à mesure. » Manque de préparation, amateurisme ? Lui aussi multiplie les erreurs. Il reformule les questions avec un art consommé de la tautologie : « ‘Passer aux actes rapidement’ : ça reflète la question que ça va pas assez vite » ; « Consommer local : pour cela, il faut qu’il y ait de la production locale. Par exemple, il est difficile de trouver du Bordeaux en Bretagne » ; « C’est sûr que c’est une question qui est posée. »

Puis il s’efforce de regagner le temps passé ainsi en commentaires en pressant les votants : « Allez, votez vite fait ! » ; « Adjugé, vendu ! » Il contredit parfois le public : « – La proposition venait de votre table. – C’est pas nous ! – Si, si ! – Bon, laissez, c’est pas grave. » Pire, il commente les votes, outrepassant à l’évidence son rôle : « Le respect des normes, vous êtes pour, évidemment », puis cet « évidemment » revient à plusieurs reprises pour ponctuer les résultats des votes, généralement positifs ; « Vous êtes plusieurs tables à avoir formulé la même question, c’est bien ! »

« Alors, vous retrouvez un peu vos propositions ? »

Face à un public somme toute très indulgent, cet élu Front de gauche qui siège dans l’opposition au conseil municipal d’Auray semble s’inquiéter par moments : « Alors, vous retrouvez un peu vos propositions ? » Et là, il a raison ! Tant mieux, car je n’aime pas écrire des paragraphes comme ceux que vous venez de lire. Je le fais, car il faut bien conserver une mémoire des événements et j’étais le seul journaliste présent ce soir. Mais toute personne mérite le respect et je préfère pouvoir dire qu’elle a raté sa prestation plutôt que mettre en cause ses capacités.

Il y a peu de chances que les participants retrouvent leurs propositions, au-delà de la maladresse des animateurs, car c’est l’exercice lui-même qui est biaisé. Les sujets débattus le sont avec de multiples nuances, chacun y investit son expérience et ses réflexions. Comment imaginer que des questions fermées, demandant une réponse par oui ou non, pour ou contre, rendront compte du contenu de tels débats ? Périclès doit se retourner dans sa tombe. 25 siècles d’une longue histoire de la démocratie, de combats, de sang et de larmes, pour en arriver là !! Pénestin méritait mieux que cela.

Un débat comme celui-ci n’est qu’un vulgaire sous-produit de ceux que l’on voit à la télé. Pourquoi piéger ainsi le public et les animateurs, obligés de se transformer en Inspecteurs Gadget pour vanter les mérites d’une technologie ridicule ? Les boitiers ne servent qu’à faire passer la richesse du débat par la moulinette d’une logique plébiscitaire : pour ou contre. On en est revenus au degré zéro de la démocratie. Il faut tout de même savoir que la démocratie participative réclame du travail, de l’engagement, de la préparation, et que ceux qui la défendent réellement (il y en a à Pénestin !) ne se contentent pas de gadgets et de slogans.

« Dans 10 minutes, je vous libère. »

J’attendais de voir si certains participants allaient protester à la fin, comme l’on fait ceux de La Baule par exemple. Je n’y croyais pas vraiment, car ils seraient certainement abattus après 3 heures de cet exercice. Roland Le Sauce a annoncé à un moment : « On a presque fini. Dans 10 minutes, je vous libère. » J’ai eu tort, mais je suis parti, épuisé alors que je n’avais fait qu’observer et prendre des notes. La démocratie qu’ont inventée les Grecs, ce n’était pas cela. Ils étaient des Méditerranéens, avec le verbe haut. Ils ont inventé la rhétorique en même temps que la démocratie et la politique. Les échanges d’arguments devaient être quelque chose de goûteux, de savoureux, de pêchu. Pas cet ennui insupportable que rien ne peut justifier !

Je suis tenté d’implorer Monsieur le maire : trouvez-nous un autre animateur pour le prochain débat vendredi prochain ! Je ne le ferai pas. Par égard pour M. Le Sauce qui a certainement de multiples qualités par ailleurs. Mais je vous annonce dès aujourd’hui que mon sens du sacrifice et de l’abnégation a des limites : je n’irai pas au prochain débat vendredi 22 même lieu même heure. Et je crains que quelques autres fassent de même.

7 commentaires sur “Grand débat national : Pénestin méritait mieux que cela !”

  1. Bonjour mon cher Gerard,
    J’ai eu l’heureuse chance de vous croiser lors du débat organisé par monsieur le maire de Penestin, débat que j’ai essayé d’animer et mal animé à vous lire. Quel compte rendu me direz vous et excusez moi si ce commentaire se trouvait truffé de fautes, voyez vous mon cher père ne parlait que breton, son père blessé en 1915 n’a pas survecu à cette boucherie aussi mon brave papa a tenu la ferme des ces 9 ans et voyez vous je l’adorre mon papa bien qu’il nous a quitté lorsque je n’avais que 17 ans par accident, mais il a veillé a ce que je fasse quelques etudes mais sans doute insuffisantes a vos yeux de bien sachant car vous êtes intelligent bien évidemment . Alors vos airs de “je sais tout” car journaliste (Jaurès doit se retourner dans sa tombe, et oui j’ai quelques convictions) ne m’affectent pas car l’adversité je l’ai surmontée toute ma vie, je n’ai pas attendu que l’on me serve du tout cuit, ce que je suis je l’ai acquit avec quelques difficultés , je me suis engagé très tôt pour dénoncer les injustices de ce monde, et manifestez sans gilet jaune, avec respect des valeurs républicaines, sans être menaçant et menacé. Car voyez vous mes parents qui ont abrité des FFI en 1944 ont su me transmettre des valeurs: la solidarité et le respect de l’autre. Aussi je sais que vous êtes quelqu’un de bon, qui croit en l’être humain, alors croyez en l’homme et acceptez le tel qu’il est et non tel que vous voudriez qu’il soit. Et pour finir, organisez en un débat, soyez au moins vous même et non pas un spectateur censeur. SVP, invitez moi à votre débat , j’ai une certaine expérience pour pourrir et faire chier le monde. En espérant vous revoir vendredi car vous n’y résisterez pas, sinon que dire sur votre blog!

    1. Bonsoir Roland,

      Prenez le temps de parcourir les articles de ce blog et reconnaissez que j’aime les gens et que je les respecte.

      Je suis sincèrement admiratif, à vous lire, de votre passé et de votre parcours, alors de votre côté, ne me reprochez pas les études que j’ai financées en travaillant de la première à la dernière année.

      Oui, je considère que vous vous êtes planté dans l’animation de ce débat, en raison d’un manque de préparation sérieuse, mais plus encore en raison de la méthodologie que vous avez acceptée et qui était biaisée dès le départ. Tout cela est développé dans cet article.

      Acceptez la critique ! La mienne est pondérée et elle s’applique à votre « prestation » de vendredi et non à votre personne. C’est comme cela que l’on apprend et que l’on se bonifie, comme le vin de Bordeaux !

      Vous m’accusez en retour d’être trop sûr de moi. Vous ne me connaissez pas, Roland : vous n’imaginez pas à quel point je suis perfectionniste, et à quel point j’ai toute ma vie douté de moi-même.

      Je confirme que je n’irai pas au prochain débat, mais passez donc boire un verre, manger un morceau et discuter le bout de gras avant ou après le débat, et faisons connaissance !

  2. Je pense que le logiciel a été mal conçu. Une synthèse des questions redondantes aurait pu être prévue et la distinction faite entre les 2 axes du débat.
    D’autre part, en ce qui concerne le questionnaire, il n’en sort pas autre chose que ce que le Président souhaite tant certaines questions sont “très dirigées”. On se croirait presque à l’école avec des QCM !
    J’attends le compte rendu avec impatience en espérant vivement qu’il tienne compte des rectifications demandées et surtout….moins de fautes. Pitié.

    1. Madame,
      Vendredi prochain aidez nous pour la saisie en directe, ma collègue est disposée à vous céder sa place et je suis sur que celà ira mieux.

  3. Premier commentaire que je fais sur ce blog que je suis régulièrement. Je retrouve tout à fait les différentes impressions qui m’ont traversé tout au long de la soirée. De l’espoir très modéré que cette soirée serait utile jusqu’à la désillusion finale. Appeler cela un grand débat est un abus de langage dont ne sont pas responsables les animateurs ni le Conseil Municipal qui l’a organisé.
    Je regrettais de ne pas pouvoir assister au prochain débat vendredi mais après cette soirée, ce regret s’est envolé.
    Considérant que je ne peux pas me résigner à rester muet quand on me donne ou que l’on fait semblant de me donner la parole, je vais essayer d’exprimer mes idées et mes attentes par le site internet.
    Mes premières visites sur le site officiel ne me donnent pas grand espoir qu’il en sorte autre chose que ce que le Président souhaite tant les questions fermées sont majoritaires.
    Qui peux croire que la technologie aussi sophistiquée soit-elle puisse exprimer utilement ce que veulent des citoyens qui pour la plupart ne dominent pas la complexité des sujets (moi y compris) et sont obligés de répondre par une courte phrase qui tient plus du slogan que d’une proposition réfléchie.
    Pierre Blaize

    1. Merci pour ce message. J’espérais recevoir des commentaires de ce type pour m’assurer que j’étais bien resté fidèle aux faits et ne m’étais pas laissé emporter par une part inévitable de subjectivité. Je reprécise ici que je propose de publier (anonymement le cas échéant) sur ce blog des contributions au Grand débat émanant des citoyens de la commune, qui pourront être commentées (anonymement), puis adressées au site gouvernemental avec les éventuels ajouts inspirés par ces commentaires.

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